Entretien avec Vincent Gicquel, pour son exposition C’est pas grave à La Criée (juin 2018)
La peinture et l’aquarelle
Vous avez passé beaucoup de temps à étudier la peinture en recopiant les tableaux des grands maîtres : qu’est-ce qui fait selon vous une « bonne peinture » ?
Hergé, Bosch, Caravage, Picasso, Van Gogh, etc. Tous ont peuplé mon enfance ! S’il y a un point commun à toutes les grandes œuvres ? Sans doute leur intemporalité.
Qu’est-ce qui inspire et motive chez vous l’acte de peindre ou de dessiner ?
Malgré tous les chefs-d’œuvre qui peuplaient cette enfance, il me manquait quelque chose. Je n’ai fait que peindre les images qui me manquaient. J’avais besoin de voir des Gicquel.
Vous avez développé un attachement très fort à la peinture à l’huile. Pourquoi avoir choisi de réaliser treize aquarelles pour votre exposition à La Criée ? Et quels liens faites-vous entre vos aquarelles et vos peintures ?
Le choix du médium importe peu. Même si je suis très attaché à la peinture à l’huile, j’ai toujours utilisé l’aquarelle pour des dessins, des études de postures, etc. Les liens se font tout seul. Ce qui ressort de mes œuvres c’est l’humain ; l’Homme dans le monde. Les questions que pose ma peinture vont, je l’espère, bien au-delà des questions de médium. Ce qui lie tout cela c’est l’amour, la mort, l’humour, la vie.
Pourquoi avoir choisi de devenir peintre aujourd’hui ?
Je n’ai rien choisi du tout, j’ai juste écouté mon corps, mon instinct. Et j’ai accepté les choses. Je suis né peintre comme d’autres naissent aveugles. Pour le reste, on s’adapte.
La figure au centre
Le sujet de prédilection de vos aquarelles (et de vos peintures) est la figure humaine. Pour quelle raison cette attention au Sujet ?
Car l’Homme est intrinsèquement lié à la mort, qui est pour moi le seul sujet possible. J’ai souvent dis que la mort est mon sujet favori parce que la vie est mon sujet favori.
Pourquoi vos figures apparaissent-elles toujours masculines, comme « masquées » ? S’agit-il des masques tragi-comiques de la Comédie humaine, une façon de transfigurer la mort ?
Tout simplement parce que je suis un homme, et qu’au fond je n’ai toujours peins que moi. Vous parlez de masque ; pour moi c’est tout le contraire. On a justement ôté tous les masques. Reste la figure vivante. Mes personnages n’ont pas besoin de masque pour jouer la comédie, ils aiment la vie telle qu’elle est. Sans avoir à transfigurer quoi que ce soit.
Pour quelle raison les figures de vos peintures nous regardent-elles toujours ?
Le regard est une notion importante dans mon travail. Une des raisons pour lesquelles ces figures nous regardent, c’est qu’au-delà du spectateur, c’est l’humanité toute entière qu’elles regardent. C’est sans doute pour cela qu’elles semblent catastrophées. Elles découvrent soudain l’Homme tel qu’il est ! Nous pensons surprendre mes personnages, être témoins de leurs occupations étranges. Mais ce sont eux qui nous surprennent ; ils sont les témoins immortels de notre passage sur la terre. À travers leurs regards, nous sommes soudain pris en compte ! Pris en flagrant délit de vie.
Inspirations
Vous citez parmi vos références les philosophes Nietzsche et Schopenhauer, mais aussi la psychanalyse. Quelles influences ont eu ces lectures sur votre pratique ?
Je ne pense pas que l’on puisse vraiment parler d’influence, mais les grandes œuvres littéraires, philosophiques ou psychanalytiques m’ont beaucoup apporté dans le sens où elles ont conforté mes ressentis. Je me sentais moins seul à leurs côtés. Ils ont, en quelque sorte, approuvé ma vision du monde et conforté la confiance que j’avais déjà en moi. Ils sont ma famille, non pas des influences mais bel et bien des frères d’armes.
Vous avez dit : « le seul sujet possible, c’est moi, c’est mon rapport au monde ». Quel est votre rapport au monde, votre vision de vous-même et de l’Homme aujourd’hui ?
Mon rapport au monde est assez naturel, je n’essaie pas de nager à contre-courant, je vais où le vent m’emmène. J’accepte tout, tout, tout de cet univers ! Je suis intensément conscient de l’opportunité que j’ai de vivre.
L’ironie est très présente dans votre travail : qu’est-ce qui vous fait rire ?
Tout est risible quand on pense à la mort.
Pourquoi avez-vous choisi le titre C’est pas grave pour l’exposition et l’ensemble des aquarelles ? Qu’est ce qui n’est pas grave ?
Pour son côté enfantin sans doute, tout cela n’est qu’un jeu aux règles incompréhensibles. On sait juste une chose, c’est qu’à la fin, tout le monde sera perdant… alors jouons car rien n’est grave…