L’Aïta est un art poétique et musical ancestral pratiqué dans les régions de Abda, Chaouia et Doukkala, c’est-à-dire dans l’axe Casablanca – Safi au Maroc. Le chant mêle des apports berbère, arabe, parler andalou, à la préciosité de la darija. Ode à la mémoire, aux joies et plaisirs de la vie, aux souffrances et espoirs du quotidien, l’Aïta fait l’objet aujourd’hui d’une tentative de sauvegarde et d’archivage, menée notamment par le poète Hassan Nejmi (auteur de Étude de la poésie orale et de la musique traditionnelle à partir de Aïta) qui a conduit Meriem Bennani à la rencontre de Siham et Hafida.
LE MIROIR D’UNE SOCIÉTÉ
«…Nommée aïta (cri ou appel), cette musique, s’affichant sous des formes variées et surprenant par sa liberté de ton, a émergé à la fin du XIXe siècle dans les régions agricoles du Maroc. L’Aïta cristallise les sentiments amoureux et personnalise les souffrances et espoirs du peuple à travers le chant. Véritable source historique et sociologique, elle renvoie à une critique affinée de la société, à travers une intensification quasi-tragique des sentiments populaires. L’art de l’Aïta est d’autant plus remarquable quand il s’instaure porte-parole du peuple qui s’exprime. Principalement le fait d’artistes femmes, l’Aïta suscite un renouveau d’intérêt au XXIe siècle. Une nouvelle génération, représentée par des artistes comme Ouled El Bouâzaoui, Khadija Margoum ou Oueld M’Barek, a repris le flambeau et conserve l’authenticité de cet art… ».
UNE AFFAIRE DE FEMMES
« …Malgré sa dimension féminine, l’aïta s’est caractérisée un certain temps par l’absence de femmes sur scène. Parmi les grandes dames qui ont su réconcilier les citadins avec leurs racines paysannes ou montagnardes, on peut citer la regrettée Fatna Bent l’Houcine. Mais l’expansion de l’art de l’Aïta dans les villes émergentes a eu lieu dans les années 1950 grâce à d’éminents artistes tel que le jovial violoniste Maréchal Mohamed Kibbou et Bouchaïb El Bidaoui. La dimension orale en est une composante fondamentale. Elle est incarnée par la profonde voix des « cheikhates », porte-paroles de leur communauté ».
UNE TRANSCIPTION ORALE DE LA MÉMOIRE
L’art de Aïta veut dire, selon son acception traditionnelle, l’Appel, c’est-à-dire l’Appel de la tribu et le retour aux ancêtres pour semer la volonté dans le cœur des hommes et inviter la Muse de la poésie et de la chanson.
L’Aïta a rythmé la vie des populations rurales au grès des célébrations, des fêtes et des moussems. Mais pas seulement, car l’Aïta, qui est à la fois cri d’amour, d’espérance et appel au dépassement de soi, a revêtu, à une certaine époque de l’histoire du Maroc, un caractère revendicatif d’opposition et de résistance. À cet égard, la figure légendaire et mythique de cheikha Kherboucha illustre à merveille, par ses chants et paroles, le côté contestataire et farouche de ce genre musical. C’est dans la région de Safi, que cette chikha exceptionnelle, se lèvera, avec une force et une rage que rien n’arrête, contre l’injustice. Elle s’opposera par son chant au caïd Aïssa Ben Omar, âme tyrannique, inféodé au pouvoir des colonisateurs français. Il finira par la réduire au silence par un acte sauvage qui fera d’elle un mythe. Hamid Zoughi en a fait un film, « Kharboucha ou rien n’est éternel ».