En menant leur recherche autour des collections patrimoniales rennaises, les artistes Aurélie Ferruel et Florentine Guédon ont eu l’occasion de rencontrer François Coulon, conservateur au musée des beaux-arts, qui leur a fait découvrir l’histoire de la collection privée De Robien, devenue collection publique.
Christophe-Paul de Robien (1698-1756) était un intellectuel et collectionneur amateur breton. Né dans une grande famille de Parlementaires, il succède à son père au titre de Président à mortier du Parlement de Bretagne. Son fils occupera également cette place après lui.
Durant près de quarante ans, De Robien constitue une collection qui compte des milliers d’objets. Parmi ces objets on trouve des peintures, des dessins, des objets d’histoire naturelle, du monde et archéologique, des gravures, des livres, des monnaies… Il conserve son cabinet de curiosité dans son hôtel particulier, rue du Champ-Jacquet, à Rennes. Lui-même ne se déplace pas mais fait venir des objets du monde entier, qu’il achète, troc, commande… Il ordonne des fouilles, et publie notamment un inventaire des recherches mégalithiques en Bretagne. Christophe-Paul De Robien récupère également des objets issus de collections d’autres collectionneurs, qui comptaient s’en débarrasser.
Le XVIIIe siècle annonce le début d’une certaine déchristianisation de l’Europe. Une nouvelle vision du monde se développe, qui s’appuie sur le naturalisme : la matière est ce qui lie tous les êtres vivants. Les cabinets de curiosités s’inscrivent dans cette nouvelle pensée. Le cabinet de Robien témoigne en effet de cette quête de sens, de cette volonté de comprendre le monde qui amène les collectionneurs à rassembler des naturalia (règne minéral, végétal et animal) et à en tenter une classification. On perçoit également chez Robien l’influence encore présente du XVIIeme siècle, et ce goût pour le fantastique, le mystérieux. Il affiche la volonté de sauvegarder des reliques d’un passé perçu comme révolu. Se croisent alors naturalia et artificialia (créations humaines : productions artistiques ou antiquités, ou encore exotiques).
Les cabinets de curiosité sont construits selon la méthode de l’ars memoriae : « l’art de la mémoire », ou encore mnémotechnique. Cette méthode s’appuie sur la logique d’association d’idées basée sur le système des loci (lieux) : associer des éléments à des lieux afin de les garder en mémoire. Il s’agit tout d’abord de choisir un lieu, ou monument, par exemple un temple, et d’en mémoriser tous les éléments (les colonnes, chapiteaux, frontons…). On vient alors « disposer » mentalement les connaissances ou objets à retenir sur le lieu, en catégories emboîtées : une colonne = une catégorie, chaque étage de cette colonne = une sous-catégorie etc. Une fois ceci mémorisé, il suffit d’activer mentalement le chemin conduisant à un élément pour s’en rappeler.
Suivant cette méthode, le cabinet de Robien cherche à présenter une trame des croyances : en quoi croient les gens, et comment le montrer par des objets ?
A la mort de Christophe-Paul de Robien, son fils Paul-Christophe de Robien conserve sa collection et l’enrichit.
En 1794, c’est la saisie révolutionnaire : l’appropriation des collections privées par la nation. Par chance, le cabinet de Robien est conservé dans son ensemble. Cependant, la ville ne dispose d’aucune compétence locale pour s’en occuper. La collection est alors entreposée et déplacée cinq ou six fois, et beaucoup de pièces sont détruites ou disparaissent.
A la fin des années 1850, on construit un grand bâtiment pour les stocker. Les objets y sont classés par catégories : beaux-arts, archéologie…
Cette collection est à la source des tous les fonds Rennais : Bibliothèque de Rennes Métropole, Musée des Beaux-arts, Musée de Bretagne et Universités de Rennes.
Une partie du cabinet est aujourd’hui présentée au Musée des Beaux-arts, tel qu’il l’était à l’époque par de Robien. Celui-ci avait en effet réalisé un inventaire manuscrit de sa collection, et fait trace de son agencement dans l’espace. Le parti pris de conserver ce cabinet intact est presque unique en Europe, les autres musées ayant choisi de disséminer les pièces sous vitrine ou par département.
A l’opposé des musées répondant à la nécessité d’une compréhension plus immédiate de l’objet présenté, le cabinet restaure en effet les étapes essentielles d’initiation, de découvertes et d’émerveillement de tout processus d’apprentissage. Les objets et leur sens ne sont pas donnés, il faut d’abord s’étonner, puis s’interroger et chercher pour découvrir.
Sources : entretien avec François Coulon, conservateur au musée des beaux-arts ; livret du cabinet de curiosités de Robien ; site internet du musée des beaux-arts : http://mba.rennes.fr/