Polichinelle, un personnage aux multiples facettes.
La commedia dell’arte est un genre de théâtre populaire apparu en Italie vers 1550. Ce genre théâtral se caractérise par des personnages stéréotypés et des situations burlesques. À l’exception des rôles amoureux, tous les acteurs portent des masques. Parmi ce panel de personnages, Mathis Collins choisit d’utiliser Polichinelle. Sous son nom italien Pulcinella, il est un serviteur tantôt idiot, astucieux, courageux ou poltron. Il a un caractère retors, inquiétant, un peu diabolique et magouilleur. Il aime se battre, est fanfaron, naïf et enfantin dans le langage. Il peut adopter plusieurs rôles: valet, boulanger, aubergiste, gardien de monastère, paysan, marchand, soldat, bandit, voleur. Il ne garde aucun secret, de là l’expression « un secret de Polichinelle ». Du côté de son physique, il est bossu, ventru, et difforme avec un nez crochu. Pour son costume, il a une chemise blanche, serrée dans une ceinture. Il porte également un long chapeau typique gris et un masque noir ridé et au nez crochu. Il ne se sépare jamais d’un énorme gourdin. Ce personnage n’occupe pas une grande place dans la littérature dramatique mais est beaucoup plus présent dans le théâtre de marionnettes.
Au XVIIe et XVIIIe siècle, Jean Brioché importe Polichinelle dans le monde de la marionnette. Les interdits royaux sur la parole provoquent l’émergence d’une littérature consacrée au théâtre de marionnettes, portées par des auteurs comme Fuzelier, Lesage et d’Orneval, séduits par une liberté d’expression retrouvée. En 1808, Laurent Mourguet s’inspire du théâtre italien et notamment de Polichinelle issue de la Commedia Dell’arte pour donner vie à ses personnages de marionnettes dans son théâtre, Guignol. Emblème de la ville de Lyon, Guignol est tout à la fois l’héritier des traditions du XIXe et un support vivant des traditions théâtrales du spectacle français de la marionnette. À cette époque, le théâtre de marionnettes est souvent improvisé selon l’humeur du marionnettiste et l’actualité, il remplit une fonction de gazette et se dresse de manière ludique et drôle contre les injustices que subissent le peuple. Guignol apparaît donc comme le porte-parole du peuple, prenant la place d’un Polichinelle qui laisse le public dans le courant individualiste et libertaire du Premier Empire.
On retrouve cette revendication populaire et cet engagement politique dans le travail de Mathis Collins au travers du personnage de Polichinelle qu’il utilise dans ses œuvres accompagnées de son gourdin. Dans son tableau Artiste policier danseur de corde la figure du polichinelle est représentée en équilibre tel un funambule. Cette représentation fait écho aux artistes de rue italiens de la Commedia dell’arte, qui pour éviter la censure devaient s’élever. En effet, au-delà d’une certaine hauteur la liberté de parole leur était accordée. Les comédiens ont dû s’adapter pour contourner la censure qui sévissait à cette époque.
Ainsi donc, le travail de Mathis Collins s’inscrit dans une continuité vis à vis des valeurs et de l’esthétique des personnages de la commedia dell arte. De par l’emploi de ces codes visuels qui ont su traverser le temps, Collins s’amuse à les réemployer dans un contexte politique et social actuel complexe.
Jeanne Hannecart, Morgane Bigot