Comment Charbel-Joseph H.Boutros retranscrit la temporalité à différents niveaux à travers des objets du quotidien ?
La temporalité entre l’artiste et ses oeuvres
Charbel-joseph H. Boutros partage une histoire intime avec ses œuvres. Né au Mont-Liban en 1981, ses œuvres retrace ses voyages, ses amitiés ainsi que le lien émotionnel avec sa famille et son pays natal, à travers des objets du quotidien mis en scène lors de cette exposition. Nombre de ses productions comportent un lien personnel avec l’artiste comme l’œuvre «Amitié» qui explore la temporalité à travers l’affection que l’artiste partage avec son meilleur ami. Ils ont chacun porté pendant six mois une paire de Stan Smith. Elle évoque leur trajet, leurs vies qui se rassemblent lors de l’expo avec la paire de gauche appartenant à l’artiste et celle de droite à son ami, comme une symbiose, une rencontre de leurs deux vies vécues.
L’œuvre «The Marble, The Ring and The Continents» évoque un fort lien émotionnel brisé qui est retranscrit à travers cinq stèles de marbre, provenant de cinq pays différents (Brésil, Liban, France, Belgique, Grèce), où chacune d’entre elles est incrusté d’un morceau d’une alliance qui a été divisé en cinq. Au-delà de cela, ce lien est encore amené à se séparer puisque à la suite de l’exposition, les cinq stèles doivent trouver acquéreurs dans leur pays d’origine.
«Three Abstractions on Three Histories» retrace également un fort lien à sa famille. Trois chemises sont exposées : l’une appartenant à son grand-père, l’autre à son père et la dernière est celle de l’artiste. La temporalité est représentée avec la présence de trois générations, trois guerres, trois histoires familiales vécues.
Charbel-joseph H. Boutros, Three Abstractions on Three Histories, 2016
trois chemises blanches, structure métallique
La temporalité est au cœur de cette exposition, dû au fait qu’elle est était présentée dans trois lieux d’expositions mais aussi avec sa production «Days Under Their Own Sun» qui expose chaque jour la feuille du calendrier libanais aux rayons du soleil et selon son impact UV, le jaunissement de la date du jour varie.
La temporalité du cycle dans l’exposition
L’ensemble de ces œuvres, de la plus poétique à la plus abstraite, marquées d’histoires intimes témoignent d’un cycle. Un cycle affecté par notre histoire tangible. Saisir l’immatériel, prendre en considération l’invisibilité pour s’imprégner entre autre du message mémoriel. The Sun Is My Only Ally débute en 2019 à Beyrouth au Liban, mais s’arrête brusquement, indépendamment de l’artiste, suite au mouvement social qu’impose le début de la guerre civile. Comme un ricochet, un souvenir amer de son enfance, qui ressurgit, qui remémore une vie, une enfance à grandir entre deux retentissements.
L’exposition poursuit son itinéraire au S.M.A.C.K Gand en Belgique, 2020, où elle est de nouveau impactée, dû à la propagation sans frontière du Covid19. Les œuvres vivent au gré de l’évolution sociale imposée par la société. La temporalité est ainsi gravée différemment dans l’histoire de ce que l’artiste pouvait imaginer.
Chaque exposition dispose de ces œuvres, certaines évoluent de pays en pays et subissent des transformations afin d’asseoir leur fragilité. Les œuvres articulées par la cire «The Booth,The Gallerist, and The Mausoleum», «If Close to the Sun a Drop May Fall» ou encore «Night Cartography» sont remodelées, ainsi une couche de cire est fondue de nouveau, suivant les arrêts de ceux-ci expositions ; naît alors une couche de plus en plus épaisse pour contrer les faiblesses de ce matériau. Une cire, à l’histoire invisible mais remplie de prières, d’offrandes recueillies à l’origine, dans une église du Mont Liban par le parent de Charbel-joseph H. Boutros.
Charbel-joseph H. Boutros, Three Songs, Three Exhibitions, 2022
trois bouzouks, support métallique, moquette, vidéo, son, trois expositions, coucher de soleil
L’auteur à pour souhait d’inclure, d’immerger le visiteur au cœur de l’exposition, d’ainsi marquer encore une fois un arrêt temporel par deux dalles en granit en attente d’être gravées du premier et dernier noms des visiteurs. De même pour «Three Songs, Three Exhibitions», trois bouzouks, trois sons, fabriqués par le même luthier, conçus comme le reflet des expositions réalisées par l’artiste. Ils interviennent à travers une mélodie d’adieu jouée une seule fois à chaque fin d’exposition, aux heures du coucher du soleil à Gand et Beyrouth.
On est donc face à une exposition qui s’est construite autour de l’évolution sociale qui l’entourait, marquée par des points forts inattendus. Ressortent alors différentes temporalités, à la fois marquée dans les œuvres, des temporalités choisies par l’artiste et des temporalité extérieures, subies.
L’évolution des matériaux dans le temps
Comment l’artiste nous raconte ses souvenirs et expériences par divers niveaux de temporalité ?
La nature des matériaux présents dans les œuvres de cette exposition évoque plus ou moins directement la relation de l’artiste à la temporalité, qui elle, marque visiblement les matériaux, par sa transcription physique et son action concrète sur l’état et l’évolution des œuvres.
Là où «The Booth,The Gallerist, and The Mausoleum», ou encore «If Close to the Sun a Drop May Fall», arborent explicitement l’influence du soleil et du temps, déjà par le matériau en lui même ; le cire coulée, mais également par son caractère éphémère, révélant le cycle de la cire dans les oeuvres, et au cours des trois différentes expositions.
Certains matériaux dépassent d’ailleurs la matérialité, tel que le soleil, qui est omniprésent dans cette exposition, et que l’on peut considérer comme un matériau, ici le matériau principal, étant donné son influence sur plusieurs oeuvres de l’exposition et sur son principe même, ainsi que sur sa construction et sa diffusion.
Le soleil donc, et la lumière qui en découle, constitue l’élément qui, dans «No Light In White Light», permet au prêtre de lire jusqu’à ce que le soleil se couche et ne lui permette ainsi plus la lecture du livre.
Par ailleurs, le personnel de l’exposition et le visiteur entrent également en jeu dans le processus de création de l’artiste, par exemple le personnel joue un rôle en empruntant l’oeuvre «Catwalk» afin de se déplacer au sein de l’espace et de présenter l’exposition. En effet, les visiteurs et le personnel d’exposition sont inclus comme acteurs, ils interagissent et participent à la matérialité de l’exposition.
Pour conclure, à travers cette temporalité, Charbel Joseph H. Boutros convoque ses souvenirs et les inscrit parfois littéralement au sein de ses œuvres, avec des matériaux qui font sens pour lui, et qui font écho aux souvenirs, à une sorte de mémoire évolutive et en même temps éphémère.
Solène Maubert, Auriane Barbier, Maël Janvier