Dans la mythologie grecque, Sisyphe est condamné à faire rouler un rocher en haut d’une montagne jusqu’à la fin des temps puisque ce rocher finit toujours par redescendre. Il est obligé de répéter et reproduire éternellement cette même action. Ce geste de répétition peut paraitre absurde. Pourtant il peut aussi avoir un rôle libérateur dans la mesure ou celui qui le répète prend conscience de son absurdité et l’utilise à des fins créatrices et émancipatrices.
Certains artistes, dans leur carrière entière ou durant une certaine période décident de reproduire la même idée, la même forme, la même technique.
Parfois, ils travaillent en série pour répéter les mêmes images. C’est le cas d’Andy Warhol en 1962 avec Campbell’s Soup Cans qui reproduit par exemple 32 fois un pot de soupe Campbell. Il réalise ceci grâce à la sérigraphie : une technique d’imprimerie fonctionnant avec des pochoirs interposés entre l’encre et le support. Il lance grâce à ce genre de série le mouvement du pop art. Il aligne aussi 210 bouteilles de Coca cola en 7 rangées sur une toile sérigraphiée dans Green Coca-Cola Bottles de 1962. Le motif publicitaire est à nouveau répété.
Cette répétition se retrouve dans l’œuvre de Bill Viola, ce qui lui permet d’interroger l’insignifiant. En effet, il questionne les gestes les plus simples et quotidiens, ceux que l’on fait sans même y penser. Frustrated Actions and Futile Gestures de 2013, présente 9 scènes où l’on peut voir des actions se répéter perpétuellement. Il y a par exemple un homme qui charge une brouette avant de la vider pour recommencer ou un saladier plein qui laisse l’eau se répandre avant qu’il ne soit remplit à nouveau.
Ismaïl Barhi lui, froisse le papier dans sa vidéo Revers qui tourne en boucle à La Criée. Le geste simple se répète dans une atmosphère sonore minimaliste et englobante qui captive le spectateur à la manière d’un tour de magie.
Niele Toroni fonde son identité artistique sur la répétition. Il reproduit toute sa carrière le même geste artistique en peignant des formes simples presque carrées sur les murs ou sur de grandes toiles et envahit ainsi les espaces comme au musée d’Art Moderne de la ville de Paris. Daniel Buren quant à lui, joue avec la rayure. Claude Viallat utilise de la même façon, une forme géométrique répétée indéfiniment lui permettant de travailler autour de la couleur. Il réalise même des vitraux plongeant les édifices religieux dans une atmosphère vivante et bariolée.
Karolina Krasouli multiplie de manière ordonnée un même motif dans ses peintures exposée à La Criée : celui de l’enveloppe. Elle le décline grâce à l’utilisation délicate de la feuille d’or et le rehausse de couleurs vives.
Matisse aussi joue de la répétition. Il peint des motifs qu’il nuance ensuite ou réinterprète. Il en fait différentes versions à travers les années comme pour Capucines à la danse qu’il réalise une première fois en 1909 puis une seconde fois en 1910. Les tonalités et les aplats ne sont plus les mêmes et pourtant, la première œuvre est bien répétée dans la seconde. Ce rappel permet de prendre conscience d’une évolution dans la peinture de l’artiste.
Enfin, la photographie est l’un des médiums privilégié de la répétition. A la fin du 19ème siècle, Eadweard Muybridge décompose le mouvement dans ses séries de chronophotographies. Il capture par exemple chaque étape du mouvement d’une femme nue descendant des escaliers qui inspirent par la suite des peintures comme Nu descendant un escalier de Duchamp. Nicholas Dixon dans sa série The Brown Sisters photographie chaque année depuis 37 ans, sa femme et ses sœurs. Bien que les poses ne soient pas toujours identiques, le fait de répéter cette image chaque année donne à voir la longévité et l’union de ces 4 sœurs.
La répétition est donc un moyen de questionner l’Homme et sa vie. De mieux comprendre certains mouvements en les décomposant, d’avancer vers un nouveau style toujours plus personnel, d’essayer de nouvelles techniques, de questionner le spectateur…