Bicorne ou l’Art contemporain en mouvement //

mercredi 10 mars 2021, par DSAA Brequigny

Dans l’exposition Mime consacrée à un ensemble de triptyques de Mathis Collins, l’une des œuvres présentées se démarque par le fait qu’elle soit en mouvement. Celle-ci se nomme Bicorne. C’est un panneau peint et teinté sur bois. Conçu en premier dans la série, il est plus sombre visuellement, et répète un motif de bicorne. Le mouvement de l’œuvre réside dans l’apparition et la disparition des cocardes, grâce à un système de rouages rudimentaires piloté par une carte électronique. Comme une cible dans un stand de tir lors d’une foire, ce bas-relief cinétique hypnotise par le mouvement imprévisible de ses cocardes. Les enfants avaient d’ailleurs introduit un jeu lors de l’exposition, l’objectif étant de deviner quand la cible allait surgir.

Bicorne de Mathis Collins

Ce système cinétique est en réalité un principe repris de nombreuses fois dans l’histoire de l’art contemporain. On peut noter par exemple le mouvement d’Art cinétique, introduit dans les années 60, qui propose des œuvres contenant des parties en mouvement. Les procédés employés dans l’Art cinétique captent l’attention de manière prolongée. Les motifs complexes, les répétitions, les mouvements aléatoires, les anamorphoses et les illusions d’optique participent a un effet d’hypnose, de fascination, que l’on retrouve dans Bicorne.

Trame altérée (1968), de Julio le parc (1928-), un artiste associé à l’art cinétique

Pourtant fortuit, le son produit par le panneau de Mathis Collins participe à l’immersion dans l’œuvre : le déclenchement aléatoire du mécanisme et de son vrombissement surprend et attire l’attention. On peut comparer ce procédé aux œuvres de Jean Tinguely. Cet artiste a produit des sculptures-machines, à la frontière entre industrie et art, qui produisent des sons stridents et répétés, en référence au monde industriel. Le chanteur Woodkid reprend d’ailleurs des échantillons sonores de ces machines comme matière première dans son dernier album S16

L’une des machines de l’artiste Jean Tinguely exposée à Bâle en Suisse.

D’autres artistes ont exploré des manières différentes de créer du mouvement au sein d’une sculpture. À défaut d’utiliser de l’électricité, Theo Jansen a lui employé l’énergie éolienne pour animer ses sculptures anthropomorphiques : ces myriapodes faits de plastiques et de bouteilles recyclées se déplacent au gré du vent. Theo Jansen les prénomme d’ailleurs les “strandbeest”, les bêtes de plages. 

L’une des “strandbeest » de Theo Jansen

Dans cette idée de biomimétisme, on remarque également les sculptures de Bob Potts qui imitent les mouvements, les rythmes que l’on retrouve dans la nature : battements d’ailes ou mouvements de rames de bateaux. Pour réaliser ses créations pleines de légèreté, quasi hypnotiques, il utilise pourtant des assemblages complexes de boulons, de rotors, de rouages de pièces mécaniques et métalliques en tout genre.

De son côté, David C. Roy propose des sculptures cinétiques qui reposent sur la mécanique de remontage. Comme dans l’horlogerie, il suffit de charger en énergie cinétique une pièce de la sculpture pour qu’elle s’anime en autonomie pendant plusieurs heures.

Bicorne fait donc partie d’un ensemble d’œuvres mouvantes conçues tout au long du XXIème siècle. Avec la démocratisation de l’électronique, il est aujourd’hui beaucoup plus accessible de mettre en mouvement les œuvres plastiques, permettant d’explorer une dimension toujours plus immersive des Beaux-Arts. Cette accessibilité nécessite néanmoins une certaine polyvalence, autour d’une pratique qui allie plasticité, ingénierie et artisanat. 

–  Lisa Ladent et Lilian Bruerre