Classe de DSAA1 et Carole Brulard, Molusma, Elvia Teotski, 2021
L’exposition Molusma du 25 septembre au 19 décembre 2021, imaginée par Elvia Teotski, interroge très rapidement sur l’exposition du vivant.
Plus d’une centaine de criquets vivant (400 environs) ont trouvé résidence dans l’enceinte de la Criée, pour cette exposition qui explore les possibilités des matériaux vivants, mais aussi dits « rebuts » dans notre quotidien. Déchets, moisissures et insectes cohabitent donc dans l’espace d’exposition sans aucune restriction d’évolution, de mouvement.
Cette utilisation du vivant n’est certes pas nouvelle, mais demande à chaque artiste, lieux d’exposition et visiteurs une attention particulière. Il convient alors de s’intéresser aux contraintes qui peuvent naître d’une telle collaboration humain/vivant et les intérêts qui peuvent ressortir de cette pratique.
Après discussion avec Carole Brulard, il a été plus facile pour nous de comprendre les enjeux d’une telle installation. Il est tout d’abord important de noter que parce que le vivant est aussi synonyme de fragilité et d’éphémérité les quelques 400 criquets n’étaient plus qu’une dizaine lors de notre visite (novembre), ce qui a à la fois modifié notre comportement (déambulation moins hésitante, vigilance décrue), mais en disait aussi beaucoup sur le facteur “hasard” d’une exposition avec des éléments vivants. L’exposition est évolutive et de plusieurs manières, contrôlée à différents degrés.
Pour le cas des criquets, ce n’était pas intentionnel, le centre d’art a dû faire face à des éléments qu’ils ne pouvaient que partiellement contrôler, la chute de température, la taille de l’espace d’exposition, et évidemment l’intervention humaine. Même avec de nombreuses précautions prises (augmentation du chauffage, lente chauffantes, partenariat avec des producteurs locaux des Halles à côté pour l’alimentation, l’installation de rideaux pour délimiter leur espace) le caractère aléatoire de l’installation s’en est trouvé impacté.
Cependant d’autres aspects du vivant on eût été une belle surprise pour l’artiste, le public et le lieu d’exposition. Comme les pièces en alginates moulées sur des algues, qui ont pu montrer une évolution (moisissure) due à l’humidité du matériau moulé et les conditions d’exposition. Il est donc possible d’observer pour les personnes ayant vu ces pièces en début d’exposition et enfin une différence notoire. Ce caractère évolutif montre l’impossibilité qu’à l’homme à contrôler l’ensemble du vivant qui l’entoure et permet un « renouvellement » dans les installations présentées, sur une certaine temporalité.
Elvia Teoski n’est pas la seule artiste à avoir fait intervenir le vivant dans son exposition et certains artistes se sont plongés dans cette dimension parfois beaucoup plus frontalement. Exposer le vivant veut aussi dire intéractif, il y a un lien étroit entre le public et l’œuvre et/ou artiste. Et cette interaction entre êtres vivants est aussi synonyme de hasards, ressentis particuliers. Abraham Pointcheval adepte des performances dont il fait partie intégrante a dû faire face au public pour la première fois lors de son installation “Oeuf” au Palais de Tokyo (2017). L’objectif est de faire éclore des œufs de poule en les couvant à 37° durant toute la période de couvaison. C’est peu commun qu’un artiste soit confronté au public à la manière d’une oeuvre, intouchable, sans possibilité d’intéraction (parole) directe. L’artiste a exprimé son malaise quant au fait de se retrouver autant exposé (enfermé dans une boîte en plexiglass) “Avant, je faisais corps, j’étais à l’intérieur des choses. Là, c’est une véritable transformation, je suis à l’extérieur, je suis celui qui entoure.”. Mais quelle réaction du public quand on floute la frontière de l’exposition en exposant le vivant Humain ?
Un malaise, des questionnements, de l’incompréhension, de la compassion peuvent être relevées, mais aussi et surtout de la curiosité. C’est ce qui a pu être observé lors de l’exposition Carte blanche à Tino Sehgal au Palais de Tokyo en 2016. Imaginez vous trouver dans un espace d’exposition totalement vide, aucune œuvre accrochée au mur, aucune installation déployée, aucune signalétique, toutes les portes sont ouvertes. Seuls les visiteurs en grand nombre sont présents, sont-ils vraiment tous.tes des visiteurs ?
C’est l’interrogation tout le long de la visite passant de pièce en pièce, chacunes animées par des groupes de personnes qui ne portent aucun signe distinctif et pourtant ça émerveille parce qu’au fur et à mesure le public se rend compte qu’il fait partie intégrante de l’installation vivante. Cette liberté donnée au public a cependant été un challenge pour le personnel du Palais de Tokyo, des spectateurs perdus dans les salles techniques, difficulté pour identifier les personnes ayant payé (pas de ticket), gestion de la centaine de figurants guidant les installations humaines. Toutes ces problématiques sont propres aux expositions interactives et faisant intervenir le vivant. Pourtant ces nouvelles pratiques se font de plus en plus nombreuses, nous questionnant sur ce qui pousse les artistes et lieux d’expositions à explorer ces pistes.
Exposer le vivant. Exposer signifie disposer de manière à mettre en vue une matière qui vit ; dont les fonctions de la vie se manifestent de manière perceptible.
Molusma, exposition de la Criée, Abraham Pointcheval en poule humaine ou encore Tino Sehgal au Palais de Tokyo, nous ont montré la complexité de travailler avec le vivant et ses résultats. Mais finalement, pourquoi l’utiliser ? Quels intérêts et qu’est ce que ces performances apportent-elles vraiment ? À travers la déambulation dans l’exposition de la Criée, le spectateur a pu se confronter et se questionner sur son rapport au vivant dans l’art contemporain. Mais aussi une confrontation avec les problèmes environnementaux. Le spectateur est mis face à des matériaux vivants qui re-questionnent nos pratiques et nos habitudes face à la nature. On comprend alors que le vivant est utilisé ici pour réveiller les consciences et proposer des alternatives. Il en est de même dans les performances de Michel Blazy. Artiste contemporain, Michel Blazy travaille avec l’organique et le spatiotemporel. Ses installations sont souvent vivantes : elles incluent, respectueusement, des formes de vie en train de persévérer dans leur être. Insectes, moisissures (fungi), végétaux… Michel Blazy explore les interstices du vivant, les formes évolutives (solitaires, grégaires) et les distributions des entités animées, dans le temps et l’espace (celui des lieux d’exposition). En ouvrant l’environnement contrôlé du musée à l’imprévisibilité des processus naturels, en créant ainsi une expérience multi-sensorielle et en constante évolution à mesure que ces matériaux périssables changent physiquement, les installations de Blazy encouragent le public à remettre en question les notions de répulsion et de dégoût et à repenser nos hypothèses sur la beauté esthétique. L’intérêt d’utiliser le vivant chez ses artistes relèvent donc de problématiques et enjeux sociétaux qui les animent et tentent de s’exprimer à travers ces œuvres.
Cependant, utiliser le vivant n’est pas uniquement utilisé pour provoquer le spectateur. Il est également envisagé pour l’artiste lui-même. Lors de ses performances en solitaire, Abraham Poincheval repousse ses limites physiques et mentales. Dans cette performance, Abraham Poincheval se confronte pour la première fois au monde vivant. À travers son intention étonnante de couver des œufs de poules jusqu’à leur éclosion, A. Poincheval y voit un moyen de défier le temps et les lois naturels.
Dispositifs évolutifs et installations éphémères leur permettent d’explorer la prolifération incontrôlée de micro-organismes dont les métamorphoses, transformations et changements d’état sont autant de moments nécessaires à l’activation des œuvres de ces artistes et à leur développement. Exposer le vivant est ainsi une expérience imprévisible qui ne dépend plus de l’artiste après sa conception, provoquant de nouvelles interrogations et de nouveaux intérêts supplémentaires. Utilisés de manière réfléchie et conceptuelle, ces dispositifs sont le fruit de plusieurs interrogations auxquels les artistes tentent d’apporter solutions ou analyses en provoquant, questionnant le spectateur ou eux-mêmes. Et vous, dans l’exposition Molusma, quelles contraintes et intérêts y avez-vous vécu ?
Marie et Romane