L’aléatoire dans l’art et le design //

mercredi 10 mars 2021, par DSAA Brequigny

 

L’exposition inédite s’intitulant “Mime”, réuni père et fils au centre d’art contemporain La Criée, à Rennes. Via l’expression de pantins directement inspirés de la Commedia dell’arte, les deux artistes illustrent et dénoncent les nouveaux enjeux de leurs contemporains liés à la transmission des connaissances dans l’art. Tirés en satire, les personnages aux gags exagérés s’illustrent sur de larges panneaux en bois de Tilleul.

 

Proche des procédés de création d’un sculpteur, Mathis Collins révèle ces différentes saynètes en dégrossissant et en ponçant la matière. Cette révélation de l’œuvre, couche par couche, a su attiser notre curiosité et nous questionner sur l’intégration des opérations liées à l’aléatoires dans l’art et le design.  Tout en considérant l’aléatoire comme un fait imprévisible lié au hasard, comment peut-il apporter une plus-value à la finalité de la production de par son résultat incertain ?

 

Ce qui ne peut être prévu apporte une dimension supplémentaire à l’œuvre, elle lui attribue une histoire annexe et parfois être force de proposition. En effet, l’un des seuls artefacts aléatoires dénotés par la commissaire d’exposition, était la réaction du bois dans la salle d’exposition. Sa déformation légère pendant le confinement a permis à ce panneau de se démarquer des autres et d’apporter une irrégularité dans la série.

 

L’intégration de l’aléatoire dans le procédé créatif a été plus affirmée dans les œuvres du père, Paul Collins. En outre, il incorpore l’imprévisible dans la trame de ses œuvres. Pour ce faire, il s’arme d’une moustiquaire qu’il viendra froisser pour additionner un rendu moiré à sa peinture. C’est de ces effets d’ondulations aléatoires qu’un certain sentiment de surprise peut voir le jour. Ce sentiment de surprise a longtemps été recherché dans les créations artistiques car il permet de créer un lien direct avec le spectateur. C’est aussi le meilleur moyen de lui proposer une expérience unique et ainsi, de marquer ses souvenirs. 

 

De nombreux artistes se sont essayés à cette problématique dans le traitement de leurs œuvres. À travers de multiples outils (logiciels,…) ou machines, chacun a pu s’essayer à une nouvelle expression de leur art tout en rendant leur signature unique et inimitable.

 

 

 

César, Compression automobile, 1962

César, dans son œuvre Compression automobile, introduit l’aléatoire en n’intervenant pas directement sur le métal, mais en dirigeant une presse qui réduit en blocs des voitures, symboles du progrès technologique et des produits de consommation de la société industrielle. La nouvelle composition est organisée avec un enchevêtrement de morceaux métalliques polychromes et devient ainsi une sculpture très organique.
Le processus de compression est donc toujours le même, de par la technique,  mais le résultat sera toujours différent.

 

Raoul Ubac, Nébuleuse, 1939
Raoul Ubac, Sans titre, « Penthesilée », 1938

Dès les années 1930, Raoul Ubac joue sur la matière photographique pour déformer la figure humaine. Il utilise la technique de solarisation qui lui permet de figurer des corps flous, incomplets, informes, rongés par la lumière ou la chaleur. La solarisation consiste à réexposer un négatif au cours du développement d’un sujet photographié. Les valeurs sont alors inversées. Le corps se déréalise et devient fantasmatique. C’est un procédé incontrôlable lié au hasard qui révèle un caché graphique artistique.

 

Marcel Duchamps, 3 stoppages-étalon

Pour Marcel Duchamp et ses Stoppages Etalon « hasard en conserve », le hasard occupe une place fondamentale dans le processus de sa création. Pour cette œuvre, l’artiste a laissé tomber sur des panneaux peints en bleu de Prusse, depuis une hauteur d’un mètre, trois fils d’un mètre chacun. Ensuite, trois règles en bois ont été réalisées d’après le dessin formé par ces fils, qui servent à Duchamp de « gabarit du hasard ».
C’est donc grâce à la chute de ces cordes et de leurs “atterrissages” aléatoires qu’est créé l’ensemble de l’œuvre, formant cet assemblage, entre peinture et readymade.

 

« Pour faire un poème dadaïste Prenez un journal.
Prenez des ciseaux.
Choisissez dans ce journal un article ayant la longueur que vous comptez donner à votre poème. Découpez l’article.
Découpez ensuite avec soin chacun des mots qui forment cet article et mettez-les dans un sac. Agitez doucement.
Sortez ensuite chaque coupure l’une après l’autre.
Copiez consciencieusement dans l’ordre où elles ont quitté le sac.
Le poème vous ressemblera.
Et vous voilà un écrivain infiniment original et d’une sensibilité charmante, encore qu’incomprise du vulgaire. »

Tristan Tzara, Pour Faire Un Poème Dadaïste

Le dadaïsme ou dada est un mouvement littéraire et artistique fondé à Zurich en 1916 par Hugo Ball, Emmy Hennings, Tristan Tzara, Richard Huelsenbeck, Marcel Janco et Hans Arp. Ce mouvement avait pour principe de rejeter l’Art ‘conventionnel’ tel qu’il avait été connu et toutes les autres formes d’art – souvent parodiées – et idéalisés par la classe bourgeoise.
Pour comprendre ce que l’esthétique dadaïste dans le monde de la poésie, rien de mieux que de retenir le conseil que Tzara propose pour faire un poème dadaïste. Le poème en question Pour Faire Un Poème Dadaïste a été publié dans son recueil Manifeste de Dada sur l’Amour Faible et l’Amour Amer.
Grâce à cette “recette”, la méthode de réalisation d’un poème sera toujours la même mais son rendu en sera différent et aléatoire.

 

Jannis Maroscheck, Shape Grammars

Sur la base des travaux de Sol LeWitt, le graphiste Jannis Maroscheck a conçu et programmé ses propres algorithmes permettant de construire un nombre illimité de formes graphiques uniques et individuelles.
Le résultat de ces recherches est mis en forme dans ce catalogue systématique — une sorte de dictionnaire des formes — pour explorer et naviguer dans les différents systèmes géométriques, dans lesquels on peut toujours découvrir quelque chose de nouveau.
Shape Grammars est conçu tel un manuel pour les graphistes, aidant à la conception de polices de caractères, de logos et de pictogrammes. En plus des 150 000 formes générées grâce aux algorithmes en seulement une minute, cet ouvrage nous montre certaines possibilités et limites du design génératif. Dans un même temps, l’ouvrage sert de base à des recherches plus approfondies sur des systèmes plus complexes et sur l’intelligence artificielle. L’ordinateur peut donc déjà, de nos jours, fonctionner comme un partenaire de dialogue dans le processus de création.
Le but était ici d’observer combien de formes uniques peuvent être produites en masse grâce à un ordinateur et 12 systèmes différents.

 

Pollock

Jackson Pollock est le peintre représentant le mieux le hasard. Pour ses créations, il lance et laisse tomber des coulures de peinture sur ses toiles. Le tableau devient un champ d’actions où s’exprime un processus graphique dynamique sans accorder une préférence à une partie du tableau plutôt qu’une autre, à une orientation. Tâches, coulures, traces, lignes envahissent la totalité de l’espace au rythme des gestes et mouvements de l’artiste.

 

Rédigé par Agathe Prévot et Tristan Regnault