La fête foraine, véritable phénomène social //

mardi 10 novembre 2020, par lacriee
Atelier_d'_Art_Forain_Lafayette_Anticipations_2018-2019

L’univers que Mathis Collins déploie pour Mime s’inspire des jeux et de l’esthétique des arts forains. Il est intéressant de revenir plus précisément sur ces références. [1]

  • Bref historique de la fête foraine

Les fêtes foraines trouvent leur origine dans les foires, espaces privilégiés d’échanges qui deviennent au XIXe siècle des lieux festifs de divertissement. La Révolution française insuffle un esprit libre et laïc aux manifestations populaires succédant aux fêtes religieuses, puis la révolution industrielle entraîne des déplacements massifs des populations rurales vers les grandes villes. De ces mouvements d’urbanisation, déracinant des populations locales depuis longtemps établies, résulte la perte de valeurs traditionnelles. Ce vide sera comblé par de nouvelles idées laïques basées sur la modernité. C’est la naissance de la fête foraine, véritable phénomène social.

Produits de la société moderne, ces endroits festifs véhiculent une nouvelle idée du bonheur, en lien avec la notion de progrès qui fleurit au moment de l’ère industrielle entre 1850 et 1900. La fête foraine est comme une échappatoire à la vie qui se fait rude en ville, pour aller vers un univers de liberté et de rêverie, bien souvent d’excès. Ces lieux hors normes connaissent leur apogée à la « Belle époque », période allant de la fin du XIXe siècle au début de la première guerre mondiale.

Après la seconde guerre mondiale, les fêtes foraines connaissent un déclin car les spectacles jusqu’alors nomades se sédentarisent. Désormais, les manèges à sensations sont au cœur des animations. L’invitation au voyage hors du temps d’autrefois s’est transformée en une aventure physique suscitant des sensations extrêmes.

  • Les sens à l’affût dans les attractions

Pionnier.ère.s dans l’invention de la publicité, les forain.e.s utilisent des techniques pour envouter nos sens. Par exemple, l’ouïe est sollicitée par les voix éloquentes, la musique diffusée ou encore par les bruits des stands de tirs, des roues de loterie ; la vue est excitée par les nombreuses affiches, les lumières étourdissantes, les décors aux torsades et volutes hypnotisantes ; l’odorat est quant à lui stimulé par des senteurs propres à ces lieux, les confiseries telles que les barbes à papa, guimauves et autres pommes d’amour.

Les arts forains, considérés comme un art populaire, sont perméables à tous les courants. Ils se nourrissent à la fois de l’universel et des traditions locales, pourvu que le résultat soit extravagant, excessif et flamboyant, parfois nostalgique. La sculpture, centrale dans les décors, est caractéristique de la surcharge de l’art forain. Toujours figuratives, se jouant de nos sens avec des trompes l’œil, ces sculptures polychromes sont réalisées sur du bois tendre comme le tilleul ou le sapin. On retrouve de nombreuses références à ces éléments dans le travail de Mathis Collins, notamment dans sa technique de sculpture sur tilleul, dans ses compositions denses ainsi que par son style figuratif caricatural – que l’on pourrait rapprocher de l’art brut. À propos des jeux forains auxquels l’artiste fait référence on peut citer cette idée : « Au même titre que les cibles, les massacres sont très proches de l’art brut[2] ». Les cibles de tir et les jeux de massacre désignent des attractions présentes dans les fêtes foraines.

  • Les arts forains dans le travail de Mathis Collins

L’univers de Mathis Collins emprunte aux arts forains ces deux types de jeux, ainsi que les théâtres de marionnettes. Dans les fêtes foraines, de nombreux stands permettent au public de tenter sa chance en se défoulant et en exerçant son adresse sur des jeux de cibles. Dans Mime, des cibles sont présentes sur toutes les œuvres de Mathis Collins, notamment dans Bicornes (stand de tirs) (2020) qui reproduit le fonctionnement de cibles mécaniques[3]. Mime convoque également l’univers des théâtres de marionnettes[4]. Outre ces éléments, Mathis Collins fait référence aux jeux de massacre. Le but varie selon chaque jeu. Par exemple dans le passe-boule[5], il s’agit de jeter des balles dans la bouche de personnages caricaturés. L’artiste fait référence à ces jeux dans Artiste policier mime (2020) et dans l’œuvre qu’il réalise avec son père, History of Modern Art (for D. R.) (2020).

Mathis Collins organise des ateliers collectifs et des manifestations publiques autour de pratiques artisanales populaires. De ces moments collectifs naissent des créations qui contribuent à renouveler les arts populaires. Par exemple, en 2018-2019 l’artiste est invité par Lafayette Anticipations pour imaginer des ateliers autour de l’histoire des arts forains. À l’issu de ce travail collectif, deux stands de tirs ont été créés et ouverts au public, le Clash-Boule et le Passe-Boule des Maboules.

© Musée des arts forains des pavillons de Bercy

© Lafayette Anticipations

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[1] Cet article s’appuie sur le site du Musée des arts forains des pavillons de Bercy, qui propose une présentation développée des arts forains : http://arts-forains.com/notre-histoire/histoire-de-la-fete-foraine

[2] Site internet du musée des arts forains, pavillons de Bercy, http://arts-forains.com/notre-histoire/histoire-de-la-fete-foraine.

[3] Voir l’article sur le blog Correspondances : « Le bicorne et la cocarde ».

[4] Voir l’article sur le blog Correspondances : « Théâtre de marionnettes et Guignol ».

[5] Voir l’article sur le blog Correspondances : « Le bicorne et la cocarde ».