Pierre Jean Giloux, Biomimetic Stories #3 Dholera (capture d’écran du film), 2024, © adagp, courtesy de l’artiste et Solang Production.
Le film Biomimetic Stories #3 Dholera de Pierre Jean Giloux présente une projection virtuelle de ce que pourrait être la ville nouvelle de Dholera, demeurée à l’état de chantier. En 2015, le gouvernement indien a lancé le programme de construction « 100 smart cities » (des villes intelligentes) et a annoncé l’investissement de 1,2 milliard de dollars dans les vingt prochaines années. Parmi elles, la ville de Dholera a été imaginée sur 920 km2 dans l’état du Gujarat. Elle est située à 100 kms de la ville d’Ahmedabad, où Pierre Jean Giloux a tourné Biomimetic Stories #2 Pirana Dump Yard.
À l’origine, Dholera était une petite ville portuaire avec des maisons de pêcheurs. L’ancien gouverneur du Gujarat, l’actuel premier ministre Narendra Mody, a lancé en 2009 l’idée de construire une ville high-tech dans l’axe du corridor industriel Delhi-Mumbai. La ville marque l’évolution vers une « urbanisation entrepreneuriale »[1] ; elle a été planifiée par le cabinet de conseil international Halcrow, basé au Royaume-Uni, financée par l’état indien qui en a fait une « région spéciale d’investissement » (SIR) et des entreprises étrangères[2]. Le site de Dholera SIR (région spéciale d’investissement) présente la future « smart city » comme « une « ville verte » spectaculaire qui prendra en compte tous les composants nécessaires au développement d’un environnement vert vivant avec une empreinte carbone minimale. […] Dholera aspire à se développer comme une ville intelligente qui s’engage durablement pour le bien-être de la terre mère, de son environnement et des personnes qui y vivent. » Le site promeut une ville indienne où chaque maison est connectée à internet, au gaz, à l’eau et à l’électricité via un réseau intelligent. Tous les citoyens seront reliés les uns aux autres et aux installations municipales en temps réel. La ville utilisera des énergies renouvelables et ses systèmes de transport seront contrôlés par des centres de commande centraux afin de réduire le trafic et la pollution. C’est l’utopie urbaine du 21e siècle, une « smart city » semblable à celles développées en Chine, au Japon ou à Dubaï.
Le chantier a débuté avec l’installation de pilonnes et de bornes électriques, l’assèchement des zones inondées avec du béton et la plantation de quelques arbres. Le film de Pierre Jean Giloux montre l’état actuel du chantier qui lui est apparu comme « la promesse non tenue d’un futur envisagé[3] ».
La « smart city » de Dholera est actuellement en suspens. La viabilité économique du projet a été remise en cause par des organisations paysannes. Plusieurs investisseurs qui avaient initialement signé le protocole d’accord pour développer le projet se sont retirés et ont refusé d’investir.
Depuis, le gouvernement du Gujarat a lancé la construction d’un nouvel aéroport international pour la ville d’Ahmedabad à Dholera et projette la construction d’une autoroute reliant les deux villes.
Aujourd’hui, seul un petit panneau le long de l’autoroute indique la direction de Dholera SIR et comme le montre les images du film de Pierre Jean Giloux, la ville est une étendue de terre basse et stérile.
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[1] Ce concept est développé par la Dr Ayona Datta, professeure de géographie à l’université de Leeds, dans son article « Nouvelles utopies urbaines de l’Inde postcoloniale : l’urbanisation entrepreneuriale dans la ville intelligente de Dholera, Gujarat », 2015
[2] « En tant que ville intelligente, Dholera n’est pas pilotée par des architectes et des planificateurs visionnaires, mais plutôt par le secteur des entreprises qui cherchent à créer de nouveaux marchés mondiaux en Inde (comme par IBM).», Dr Ayona Datta dans l’article cité ci-dessus.
[3] extrait d’une interview de Pierre Jean Giloux dans « Biomimetic stories », in L’Art-Même N°94, sept-déc 2024