Le hasard peut être défini comme une circonstance imprévue ou imprévisible, dont les effets peuvent être favorables ou non. Certains artistes jouent de cette notion afin d’introduire de l’aléatoire dans l’art.
Il semble que le premier à véritablement insérer cette idée au sein de son processus de création soit Marcel Duchamp. Dans 3 stoppages-étalon, il lâche des fils de coutures qui forment trois lignes courbes au hasard et qui définissent ensuite la forme de trois planches de bois. Pour lui « cette expérience fut faite en 1913 pour emprisonner et conserver des formes obtenues par le hasard, par son hasard ».
Ismaïl Barhi installe La coulée douce à La Criée sur ce principe de forme et de hasard. En effet, les gouttes qui perlent sur le fil de couture tout en traçant une élégante courbe, finissent par tomber et former une flaque qui s’étend sur le sol de manière incontrôlable.
Dans la chronologie de l’Histoire de l’Art, viennent ensuite les poèmes dadaïstes composés de manière aléatoire. Tristan Tzara, l’un des fondateurs du mouvement Dada, dont le nom a d’ailleurs été trouvé au hasard dans le dictionnaire, raconte comment les écrire :
« Pour faire un poème dadaïste : Prenez un journal. Prenez des ciseaux. Choisissez dans ce journal un article ayant la longueur que vous comptez donner à votre poème. Découpez l’article. Découpez ensuite avec soin chacun des mots qui forment cet article et mettez-les dans un sac. Agitez doucement. Sortez ensuite chaque coupure l’une après l’autre dans l’ordre où elles ont quitté le sac. Copiez consciencieusement. Le poème vous ressemblera. Et vous voici un écrivain infiniment original et d’une sensibilité charmante, encore qu’incomprise du vulgaire. »
Ces poèmes annoncent le jeu qu’inventent les surréalistes en 1925, le cadavre exquis. Celui-ci est défini par André Breton comme « un jeu de papier plié qui consiste à faire composer une phrase ou un dessin par plusieurs personnes, sans qu’aucune d’elles puisse tenir compte de la collaboration ou des collaborations précédentes ».
Dans le même temps que les poèmes dadaïstes, Hans Arp (ou Jean Arp) intègre aussi le hasard dans la composition de manière formelle. En 1917, il laisse tomber sur des feuilles des fragments de papiers déchirés comme dans Collage with squares arranged according to the laws of chance.
Karolina Krasouli travaille la composition aléatoire à La Criée dans son installation composée de tasseaux de bois colorés. Elle les assemble sans réflexion préalable donnant à voir au spectateur un paysage abstrait aux couleurs douces et pastelles qui s’harmonisent parfaitement malgré le hasard des combinaisons.
John Cage joue aussi beaucoup avec l’aléatoire et l’imprévu. Avec le Black Mountain College créé en 1933 par Jonathan Price, il propose « Events » en 1952 à partir de pianos préparés et avec des artistes qui improvisent leurs œuvres devant un public venu assister à une performance. Chaque interprète a reçu en amont une sorte de partition, dans laquelle sont indiqués des moments, à remplir par une action quelconque, une inaction ou un silence (chaque moment ou incident n’ayant aucun rapport les uns avec les autres).
L’exemple le plus significatif de sa carrière pourrait être Not Wanting to Say About Marcel de 1969, une production plastique en cent vingt-cinq exemplaires, chacun présentant une superposition de huit plaques de plexiglas imprimées de mots et de motifs issus du dictionnaire, choisis de manière aléatoire puisqu’il s’en remet à un tirage au sort. Il fait donc à la fois des œuvres et des performances où tout est imprévisible, même la réaction du spectateur.
Darielle Tillon, elle aussi laisse place au hasard dans la réalisation de son film projeté à La Criée. En effet, elle ne prépare pas de scénario avant de filmer et laisse s’imposer l’imprévu, créant ainsi un long-métrage original et surprenant.
L’aléatoire dans l’art et dans les productions des artistes de la Biennale Incorporated n’est donc pas totalement un hasard…Il découle d’un intérêt très vif dès le 20ème siècle, comme en dénote la création artistique.
Source : Sarah Troche, Le hasard comme méthode, Presses universitaires de Rennes, 2015