Dans son exposition Grand Air, Judith Kakon s’intéresse à la fabrication, la circulation et le devenir des objets manufacturés. Comment ces objets du quotidien fabriqués en série, produits de la société de consommation actuelle, peuvent devenir une nouvelle matière artistique, des œuvres d’art uniques dans le contexte d’une exposition ?
Dans les années 1910, Marcel Duchamp a initié la démarche du réemploi d’objets utilitaires en tant qu’objets artistiques avec ses célèbres ready-made. Sa démarche, encore transgressive à cette époque, a ensuite ouvert la voie à de nombreux artistes qui ont cherché eux aussi à puiser dans le quotidien de nouveaux matériaux artistiques.
Au-delà de la réutilisation d’un objet manufacturé ou d’une publicité présentés dans un espace qui ne leur sont pas initialement dédiés, Judith Kakon opérer un détournement qui questionne leurs usages au sein de nos sociétés globalisées, standardisées. Cette réflexion sur la société de consommation et la circulation des objets produits a déjà été portée par des courants artistiques, comme le Pop Art aux États-Unis et le Nouveau Réalisme en France dans les années 1960.
En 1960 en France, Pierre Restany (critique d’art), fonde avec plusieurs artistes le mouvement appelé « Nouveau Réalisme ». Après sa rencontre avec Yves Klein en 1958, il commence à s’intéresser à ces artistes réutilisant des objets du quotidien dans leurs productions, mettant au premier plan dans leurs œuvres des matériaux et des images reflétant la société de consommation, à l’instar des artistes du Pop Art aux États-Unis. Le critique d’art conçoit alors ce terme de « Nouveau Réalisme », souhaitant ancrer le mouvement dans une continuité avec le Réalisme du XIXe siècle, qui prend appui sur la réalité brute et banale du quotidien, avec ce qualificatif de « nouveau », pour situer ce mouvement dans une nouvelle période historique contemporaine régie par la consommation et le capitalisme. En octobre 1960, un collectif d’artistes s’unit aux côtés de Pierre Restany en signant une déclaration commune. Ces artistes sont Yves Klein, Arman, François Dufrêne, Raymond Hains, Martial Raysse, Daniel Spoerri, Jean Tinguely et Jacques de la Villeglé. Un an plus tard, en 1961, ils sont rejoints par César, Mimmo Rotella, Niki de Saint Phalle et Gérard Deschamps. Bien que tous ces artistes possèdent un langage plastique assez différent les uns des autres, ils ont cette caractéristique en commun de travailler autour des objets du réel, ramassés notamment dans les rues de la ville tels des déchets, des objets abandonnés par une société de consommation recherchant toujours plus de nouveauté et de perfection. Pierre Restany qualifiera lui-même cette technique commune de « recyclage poétique du réel urbain, industriel, publicitaire » (Pierre Restany, 60/90. Trente ans de Nouveau Réalisme, édition La Différence, 1990, p.76).
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De 1959 à 1970, Arman, dans ce qu’il appelle lui-même les Accumulations, récupère une grande quantité d’objets identiques assimilés à des déchets, les juxtapose et les entoure de plexiglas.
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À partir de 1958, César commence à réaliser ses œuvres les plus célèbres, appelées les Compressions. Il récupère chez un ferrailleur de Gennevilliers des pièces de voitures destinées à être jetées et les compresse en blocs rectangulaires. La maîtrise de cette technique l’amènera à créer le célèbre trophée remis pendant la cérémonie des Césars pour le cinéma en France.
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Raymond Hains est affichiste dans le groupe des nouveaux réalistes, aux côtés de Jacques de la Villeglé, François Dufrêne et Mimmo Rotella. À partir de 1949 et avec l’aide de Jacques de la Villeglé, Il récupère des affiches publicitaires abîmées et lacérées dans les rues de Paris pour les exposer telles quelles ou sur des supports comme des panneaux en tôle galvanisée.
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Le travail de Judith Kakon pourrait être qualifié de la même manière, « un recyclage poétique du réel urbain et publicitaire ». À travers ses œuvres, elle s’intéresse à la circulation et au devenir des produits de consommation. Par exemple, avec sa série des Disparate images, elle photographie des parapluies cassés qu’elle croise au détour des rues, objet de notre quotidien produit en série, devenant unique au moment où il se brise et par le geste artistique de la capture photographique.
Source :
Dossier sur le Nouveau Réalisme : http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-nouvrea/ENS-nouvrea.htm.