mercredi 16 novembre 2016, par lacriee

 

Si l’erreur, du latin errare, touche les questions de la maîtrise technique, de la vérité et de l’interprétation, elle témoigne aussi des errances de l’artiste. Francis Ponge, écrivain et poète français, soulignait son importance en 1984 en écrivant : « Vivre, être, créer, c’est errer… Vivent donc les erreurs »¹. L’auteur insistait alors sur l’importance de l’erreur dans le processus de création des artistes et publiait les brouillons raturés de ses poèmes. L’erreur est une notion importante pour l’artiste qui cherche constamment à bouleverser ses acquis et faire évoluer sa pratique.

Si l’erreur touche toutes les disciplines, les archéologues et les historiens doivent être vigilants face à l’erreur pour que leurs découvertes et leurs interprétations ne soient pas détournées à des fins idéologiques. François Bordes, préhistorien français, évoque d’ailleurs cette marge d’interprétation de l’archéologue expliquant que dans une couche paléolithique, deux objets peuvent être distant de seulement quelques centimètres mais que des dizaines d’années peuvent les séparer². Cette marge d’interprétation représente pour Clémence Estève un espace producteur de narration puisque contrairement aux archéologues ou aux historiens qui cherchent à vérifier des hypothèses et remettent sans cesse en question le passé, l’artiste est libre de sa création. Pour Clémence, l’artiste est dans un entre deux entre l’archéologue et l’enfant qui ont deux approches du savoir « en construction », entre remise en question et apprentissage.

Pour le projet Remise en jeu, l’artiste est partie d’une expérience réalisée au début des années 1970 par un groupe d’étudiants en anthropologie de l’Université d’Alberta au Canada : celle du campement de Millie³. Sous la direction de Robson Bonnischen, le groupe d’étudiants devaient fouiller et étudier un campement indien des Rocheuses récemment habité par une indienne Cree et sa famille. Ils devaient ensuite soumettre leurs interprétations aux anciens habitants du campement pour voir si ils avaient vu juste. Le site se révéla particulièrement riche et les archéologues trouvèrent entre autre près de 150 détritus, des restes de feux et d’animaux, des symboles gravés, etc…

Bien qu’ils aient correctement identifié les zones d’activités du lieu et le fait que différentes personnes aient occupé le lieu, il se sont complètement trompés sur la nature et la fonction de certains objets prenant notamment pour des outils de chasse des cordons de dynamites avec lesquels les enfants de Millie jouaient. Ayant trouvés du crottin de cheval sur le site, ils en avaient aussi déduits que le groupe de Millie en possédait un, ce qui n’était pas le cas. Le hasard leur a parfois joué des tours donnant naissance à des interprétations erronées.

Clémence Estève s’intéresse à ces erreurs d’interprétations qui trouvent leurs origines dans ce qu’elle nomme des éléments parasites. Ces derniers peuvent être à l’origine d’autant de points de départ de narrations.

 

¹ Jean-Marie Gleize, Bernard Veck, Francis Ponge, 1984, « Actes ou textes », Lille, p. 12.

² François Bordes, Sur la notion de sol d’habitat en préhistoire paléolithique, 1975, Bulletin de la Société préhistorique française, Vol. 72, p.139-144.

³ Laurent Olivier, Le sombre abîme du temps, 2008, édition du seuil, Paris.