En Europe, le paysage et sa représentation ont su progressivement s’imposer en tant que genre. Absent jusqu’au haut moyen-âge, il apparait comme arrière-plan sous le pinceau des primitifs italiens.
En France, le paysage est notifié en tant que genre par André Félibien en1667 dans la préface des Conférences de l’Académie des Beaux-Arts qui postule la hiérarchie des genres en peinture avec dans l’ordre : la peinture historique et mythologique, le portrait, la scène de genre, le paysage puis en dernier la nature morte. Bien souvent, et particulièrement sous l’influence du Romantisme, le regard du peintre est tourné vers l’horizon. Le paysage est souvent associé à des représentations d’une nature fantasmée, chatoyante, s’étendant à perte de vue, une scène ou encore un jardin à l’anglaise. Tandis que le sol et ses aspérités, ses volumes, ses différentes topologies en somme, sont délaissées.
Au XIXe siècle pourtant, certains peintres vont se tourner vers la roche, les grottes et d’autres éléments relevant plus de la géologie. On pourrait citer la série des grottes de la Loue de Courbet, ou encore la représentation de la caverne de Bibemus par Cézanne. Dans ces tableaux, comme dans un microscope, le regard du peintre se rapproche pour privilégier la transcription d’un effet de matière, la topographie des sols devient alors un élément central du tableau.
Cette fascination pour les sols se poursuit au XXe siècle, on peut citer par exemple les cinq volumes de lithographies de Jean Dubuffet composants sa série des Phénomènes. Cet ensemble est composé de 82 lithographies réalisées entre 1957 et 1958, représentant la topographie de sols réels ou fantasmés.
Parallèlement, la conception de ce qu’est une « œuvre d’art » évolue. Des matériaux jusque-là inexplorés apparaissent : des matériaux ordinaires voire pauvres, périssables etc. L’œuvre sort des galeries et musées pour s’ancrer parfois directement dans la nature. Ainsi, le XXe siècle et plus précisément l’art à partir des années soixante est marqué par l’irruption de la nature, non plus fantasmée et représentée, mais brute, moulée voire directement prélevée jusqu’à en devenir périssable.
Certains vont se concentrer sur la transcription de relief terrestre, comme Yves Klein et ses séries des reliefs qu’il réalise en résine synthétique et pigment pur qu’il agrémente cependant de cailloux et éponges naturelles. Moins de dix ans plus tard, en 1967, l’artiste italien Piero Gilardi, proche de l’Arte Povera, commence sa série des « tapis-nature » réalisés avec du polyuréthane expansé et peint collé. Dans le groupe de l’Arte Povera, des artistes vont également directement prélever la roche dans la nature pour l’emmener dans l’espace d’exposition comme Janis Kounellis, à l’instar des artistes du Land Art Richard Long et Robert Smithson.
Ces exemples se multiplient au cours de la seconde partie du XXe, et aujourd’hui encore les artistes s’intéressent à la représentation des sols, comme Didier Marcel qui moule la terre pour réaliser sa série des Labour Bleu et ainsi donner l’impression d’une nature réellement capturée.
Aller plus loin :
- Didier Marcel : catalogue monographique, Dijon, Les presses du réel, 2006
- Roger Alain, Court traité du paysage, Paris, Gallimard, 2017 |1997]
- Tiberghien Gilles A., Le Paysage est une traversée, Marseille, Éditions Parenthèses, 2020
- Urfer Maximilien, Agrisculpture, Lausanne, Art&Fiction, 2020
- Visite guidée par Maria Stavrinaki, commissaire de l’exposition La Préhistoire, une énigme moderne. Une exposition s’étant tenue en 2019 au Musée National de l’Art Moderne à Paris et visible sur : https://www.youtube.com/watch?v=LZuunOFpUgY