Le récit et la narration dans l’histoire de l’art //

lundi 13 février 2017, par lacriee

Le récit est la forme ancestrale de transmission des savoirs entre les hommes.

L’art du récit est un art premier dans sa capacité à nourrir d’autres expressions artistiques comme le théâtre, la danse, le cinéma, les arts visuels… Du point de vue de la création artistique, il existe trois types d’œuvres narratives: « Les œuvres qui racontent leur propre histoire », « Les œuvres qui racontent l’histoire des artistes », « Les œuvres qui inventent des histoires». On pourrait distinguer deux grandes catégories d’œuvres usant du récit: celles qui témoignent de la réalité et celles qui convoquent des données fictionnelles.

L’exemple le plus archaïque d’œuvre illustrant la vie quotidienne demeure les fresques des hommes préhistoriques comme dans les grottes de Lascaux. Bien plus tard, durant les années soixante-dix, la montée en puissance des œuvres narratives donne naissance au Narrative art, qui, tout comme les peintures des premiers hommes, relate le quotidien et choisit pour thème l’environnement immédiat.

Digne représentant de ce non-mouvement (davantage revendiqué comme un terrain de jeu), Christian Boltanski réalise en 1974 Les Saynètes Comiques. Il s’agit d’un ensemble de 25 œuvres, composées de photographies retouchées au crayon ou au pastel, dans lesquelles il raconte son histoire sur un mode clownesque. Chaque cliché représente un événement familial marquant (enterrement, mariage, anniversaire…) qu’il rejoue pour la prise de vue. Tous les personnages sont incarnés par l’artiste lui-même, à peine déguisé par quelques accessoires, ceci dans un décor modeste accentuant la dimension humoristique voire grotesque.

Dans cette même volonté autobiographique, Sophie Calle est passée maître du genre. Artiste plasticienne, photographe, femme de lettres, elle s’évertue à faire de sa vie et son intimité une œuvre. Son travail Douleur Exquise (1984-2003), est constitué de neuf panneaux, alliant photographies et textes brodés sur de grands supports en lin. L’artiste y relate quinze ans après, l’histoire d’une douloureuse rupture amoureuse, y associant l’image fixe de ce souvenir.

Choisir de raconter une histoire au sein d’une œuvre est également prétexte à y insérer de la fiction. Les artistes peuvent ainsi puiser et se réapproprier dans l’Histoire, les mythes et les légendes en tous genres. Réécrivant l’histoire: Maurizio Cattelan décide de mettre Adolphe Hitler à genoux dans sa sculpture Him en 2001. Usant du passage biblique sur le déluge, David Lachapelle offre dans la série photographique du même nom (2006), une projection catastrophique de l’avenir de l’être humain s’il continuait de surconsommer ses ressources.

S’éloignant de toute forme de réalité, Jacques Monory, en tête de file des artistes de la figuration narrative, emprunte des scènes figées au cinéma et par sa palette de couleur réduite; une dominante bleutée évoquant le rêve éveillé, il accentue le contraste avec le réalisme de la figuration. (Meurtre #21, 1968)

L’artiste lui-même peut jouer de la fiction pour se dissimuler derrière un tiers. Familier du genre, Marcel Duchamp avec l’humour qu’on lui connait, se rebaptise R. Mutt en signant son illustre Fontaine (1917), avec l’idée de présenter ce ready-made anonymement. Cindy Sherman pour sa part, témoigne des différentes facettes de la vie des femmes se déguisant tour à tour en actrice, femme-enfant, prostituée, femme au foyer, utilisant son corps uniquement comme un medium à modeler et transformer.

Au paroxysme du principe de fiction, Philippe Thomas créé en 1985 le Fictionnalisme: un mouvement artistique fictif. De 1987 à 1993, il fonde et développe l’agence Readymades Belong to Everyone. Basée à la Cable Gallery de New York, une succursale sera ouverte à Paris galerie Claire Burrus. L’agence propose un protocole commercial inédit: la transaction transforme l’acquéreur d’une œuvre en son auteur. Le nom Philippe Thomas est donc occulté par celui des collectionneurs et de l’agence. Émancipée du cadre dans lequel elle s’élabore traditionnellement (le roman ou le cinéma), cette fiction prend ici place directement dans l’espace réel, dans un jeu de contaminations réciproques. Apparaissant ainsi à la fois comme thème et structure de son œuvre, elle répond à un schéma narratif qui emprunte aux lectures dont l’artiste se nourrit. Une pratique citationnelle qui permet à Philippe Thomas de semer des indices dans chacune de ses pièces, créant un véritable jeu de pistes pour le regardeur.

Typhaine Rouillard.

Sources:

La figuration narrative

Parcours autour de la narration

Réalité et fiction dans l’art contemporain

Philippe Thomas et le Fictionnalisme