« Chère Marion,
Je n’arrête pas d’effacer ce que je viens
d’enregistrer, sans l’écouter, en recommençant
rien qu’avec le souvenir de ce que je viens
d’effacer.
J’ai du mal à décrire l’exposition ou ses œuvres.
J’ai du mal à les faire entrer dans l’espace du
langage de cette manière là, à cet endroit là.
Je préfère vous raconter autre chose. Je préfère
vous parler du titre par exemple. La sibylle est
une figure de la mythologie grecque. C’est une
prophétesse, dont les prédictions sont écrites
sous forme énigmatique sur des feuilles de chêne,
qui sont ensuite dispersées par le vent. Héraclite
parle de sa « bouche délirante ». Virgile décrit
les « cent portes immenses » de sa demeure qui
« s’ouvrent spontanément et lancent dans les airs
les réponses » de la sibylle.
Je voulais accrocher cette exposition à un
nom comme on accroche un manteau à un
portemanteau. Je voulais que ce nom soit celui
d’une figure et la figure qui m’est venue à l’esprit
fut celle de la sibylle. Il y en a en fait plusieurs.
Je pourrai vous décrire les oeuvres en cours.
Je pourrai vous dire qu’il y aura une vidéo, des
images, des objets, mais aussi des marques et
des traces au mur, au sol, aux fenêtres ou aux
portes. Et que je montrerai aussi des collections,
des collections de choses que je croise et que je
récolte, et qui prennent domicile dans mon atelier,
et servent de jalons à mes pensées.
Mais je préfère continuer à parler de la sibylle.
J’aime l’idée d’un texte qui est reçu, capté. J’aime
l’idée d’un texte en fragments dispersés. Il y a
une passivité dans ce qu’on appelle le processus
créatif. Une réceptivité qui permet de recevoir ou
de rencontrer une phrase, une forme, une idée.
Une chose aveugle, à tâtons de sa forme. »
Julien Bismuth, mai 2017
lacriee