Le geste artisanal dans les oeuvres d’art de Mathis Collins // Les correspondants

jeudi 4 mars 2021, par DSAA Brequigny

Ci dessus : Mathis Collins,
Artiste policier contre l’art et l’artisanat (détail), 2020
tilleul et teinte à bois, 200 × 120 × 3 cm

 

Intéressons-nous plus particulièrement à la façon dont le geste artisan de Mathis Collins participe à brouiller la frontière entre arts majeurs et arts mineurs.

 

          Le geste est un mouvement du corps, révélant un état d’esprit ou visant à exprimer quelque chose. L’artisan en tant que véritable technicien du geste utilise ce dernier pour exercer un art mécanique ou un métier manuel exigeant des savoir-faire particuliers. Pendant longtemps art et artisanat ont été deux termes presque opposés : le terme “majeur” attribué à certaines formes d’art était destiné aux activités comme l’architecture, la sculpture, la musique… et l’appellation “mineur” était liée aux activités comme la joaillerie, l’ébénisterie… À l’origine ces termes étaient surtout utilisés pour définir le degré d’investissement et d’apprentissage nécessaire (supposé) pour maîtriser l’art en question. Ainsi en mélangeant travail du bois et sculpture, représentation du réel et thématiques populaires, c’est la limite entre ces deux typologies que Mathis Collins vient brouiller dans ses travaux. 

 

                                     

 

Artisan du bois ©artisanat-marocain.fr

 

          Le geste artisanal est très visible dans le travail de Mathis Collins, il s’agit d’un geste instinctif. Il dessine la scène au préalable puis il sculpte directement dans le bois en dégrossissant dans l’épaisseur et en creusant à la gouge. Le dessin se révèle alors sous ses gestes répétés. Une fois le dessin gravé, il souligne et insiste sur les détails qui lui paraissent importants en peignant et en ponçant. De ce fait, il réalise un véritable travail de technicien du bois au service d’une œuvre d’art et de son sujet. Ce type de geste du créateur est également visible dans de nombreuses oeuvres connues dans l’histoire des arts. On y retrouve des artistes comme Giacometti dont les sculptures arborent les traces de leur façonnage : ses oeuvres traduisent le geste créateur de l’artiste/artisan grâce à la fabrication des moules dans lesquels est coulé le bronze des sculptures. Les aspérités créées dans le métal par les irrégularités du moule sont volontairement visibles. Cette technique autour du moulage remonte à l’antiquité, c’est un savoir faire qui a su se transmettre de siècle en siècle tout comme le travail du bois et qui a permis à l’artiste de créer des oeuvres originales et singulières. 

 

                         

 

Mathis Collins,
zooms issus d’oeuvres diverses :
Traces de peinture, de ponçage, de gravure à la gouge et à la pointe

 

 

Alberto GIACOMETTI
Buste de Diego, 1954 bronze 26.2 x 19.2 x 10.0 cm

 

          Mathis Collins est dans une démarche d’appropriation d’un savoir-faire artisanal, celui du travail du bois, pour le réemployer dans sa propre pratique artistique et sa narration. Au delà
de la sculpture, il modèle les surfaces. Le geste raconte ici des histoires,
il ancre l’œuvre d’art dans ce qu’elle a de singulier : les traces de gouges, de pinceaux et de ponçage ajoutent à ses tableaux  une surface brute qui participe véritablement à la communication de son sujet. Cette narration du geste complète ses choix de personnages, d’histoires qu’il souhaite raconter. La mise en scène de ses peintures et de ses tableaux est induite et dépendante du geste d’artisan du bois. Ainsi on peut réellement affirmer que, même au delà des histoires racontées, tout dans son œuvre réfère aux cultures populaires. On pourrait ici comparer son travail à celui de Pierre di Sciullo qui réalise un travail à l’image d’un ancien peintre en lettres à l’heure des typographies numériques normées. Se servant de sa connaissance des signes typographiques et exploitant une dimension instinctive de la peinture Di Sciullo propose de vraies expériences graphiques dont le geste manuel assumé et visible vient appuyer la lecture de l’oeuvre. Collins et di Sciullo racontent des histoires, non seulement grâce aux images qu’ils produisent mais grâce au procédé. di Sciullo peint des mots, Collins ponçe et grave mais tout deux produisent des oeuvres. Est-ce alors un geste artisan ? Ou un geste d’artiste ? Peut-on dire qu’il s’agit des deux ?

 

 

Pierre DI SCIULLO
« Tout foutre par terre », photo de l’artiste en action

 

             

Julien RAOUT, peintre en lettres ©étapes

 

          Cet intérêt tout particulier pour les arts mineurs est propre à Mathis Collins, cela fait partie des différences notables entre son travail et le travail de son père, Paul Collins. Dans toutes ses œuvres il fait référence aux arts mineurs (théâtre de boulevard, spectacles populaires, artisanat) ce qui témoigne de sa volonté de s’intéresser à ce qui est “en marge” et de se réapproprier le geste qui va avec. La réappropriation est ici presque une revalorisation, les outils se voient et c’est volontaire. En cela on peut comparer le travail de l’artiste avec celui de Thomas Trum qui a pris le choix de montrer son appropriation de l’outil industriel : bras mécaniques et machines viennent tracer l’oeuvre d’art. Si Trum est considéré par tous comme un artiste est-il pour autant commun de qualifier un travail fait à l’outil industriel d’oeuvre d’art (au sens majeur du terme) ? Il établit un parallèle entre le monde de l’industrie et le monde de l’art tout comme Mathis Collins établit un lien entre les arts majeurs et l’artisanat. Dans leur façon d’envisager leur pratique artistique, ces deux artistes rendent leur noblesse à des procédés originaux et innovants pour Trum, et artisanaux et historiques pour Collins.

 

 

Thomas TRUM en pleine réalisation dans son atelier.
Il est équipé d’une machine industrielle de peinture pour réaliser ses aplats.

 

          L’art et l’artisanat ne sont pas opposés. Nous avons prouvé grâce à Mathis Collins et les autres artistes cités que la qualification d’une œuvre en tant que telle reposait davantage sur le geste au service de l’idée que sur la nature de ce dernier. Dans Système des Beaux-arts, Alain souligne que “la peinture naît sous le pinceau”. C’est quand l’imagination et la réalisation ne font plus qu’un et qu’outil et geste sont au service de l’idée que Mathis Collins crée de véritables œuvres d’art.

 

Laure & Lucie

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