Le 6 décembre 2023, nous nous sommes rendus au centre d’art contemporain La Criée, pour visiter l’exposition Avaler les cyclones de l’artiste contemporain Evariste Richer. Cette exposition propose de nombreuses œuvres spécialement conçues pour cette occasion, abordant de nombreux sujets différents.
Parmi l’ensemble de ces œuvres on peut notamment identifier un sujet particulièrement récurrent qui semble fasciner l’artiste : les phénomènes météorologiques démesurés. Cette observation se vérifie jusque dans le titre énigmatique de cette exposition, Avaler les cyclones, qui intrigue par la nature irréalisable de sa proposition.
Les cyclones sont des phénomènes météorologiques dévastateurs et incontrôlables qui peuvent atteindre plusieurs centaines de kilomètres de diamètre. Ces phénomènes météorologiques ont fasciné un grand nombre d’artistes à travers l’ensemble de l’histoire de l’art, des peintures de Turner au film Mad Max : Fury Road du réalisateur George Miller, Evarist Richer fait partie de ces nombreux artistes qui ont tenté de capter l’essence de ces phénomènes destructeurs.
Ainsi, nous avons tenté de comprendre comment les phénomènes météorologiques démesurés peuvent prendre place dans un espace clos ? Nous tenterons de répondre à cette question en présentant tout d’abord les différentes œuvres que nous analyserons dans notre développement. Puis, nous nous intéresserons plus précisément aux moyens utilisés par l’artiste pour représenter ces phénomènes et les liens qui peuvent être fait avec d’autres œuvres d’artistes traitant de ce sujet. Enfin nous tenterons de comprendre les effets particuliers que ces œuvres peuvent susciter chez le spectateurs et les associations que nous pouvons identifier avec des œuvres, abordant les mêmes thématiques, qui cherchent également à susciter des réactions du public.
Quels sont les différents phénomènes météorologiques démesurés représentés dans l’exposition ?
Durant notre visite à La Criée, nous avons pu identifier divers phénomènes météorologiques au sein de l’exposition. Une grande partie des œuvres présentes dans cette exposition peuvent se répartir en deux catégories correspondant à deux phénomènes météorologiques démesurés. Ainsi, on retrouve la première catégorie, rassemblant les œuvres représentant un cyclone avec : Cyclone et sa composition de dés à jouer, mais aussi Apocalypse et Histoire avec chacune leur pale d’hélicoptère associée à un objets beaucoup plus petit tenant dans la paume de la main. Dans la deuxième catégorie, on peut retrouver un ensemble d’œuvres représentant la foudre avec : Monument à la dernière plume composée d’un paratonnerre et d’une canne, tous deux suspendus, et Le monde foudroyé, représentant les zones les plus frappées par la foudre dans le monde.
Par quels moyens sont-ils représentés ?
Le phénomène dans son action
D’abord, ces phénomènes peuvent être représentés dans leur action, venant ainsi les immortaliser, ce qui offre une lecture nouvelle puisque ces phénomènes sont souvent d’ampleur et dévastateurs. Cet aspect figé, on peut le retrouver dans la célèbre estampe La Grande Vague de Kanagawa d’Hokusai, ou encore dans les photographies de Marko Korošec représentant un mouvement figé par le vent. Cependant, ce n’est pas parce que le support initial ne permet de représenter qu’une version, un instant de ce phénomène, que cette représentation est nécessairement figée. On peut prendre pour exemple le tableau Snow Storm, Steam-Boat off a Harbour’s Mouth de J.M.W. Turner. Cette œuvre est une représentation figée d’un phénomène (d’un point de vue technique) : la peinture à l’huile ne bouge pas sur la toile, pourtant une impression de vitesse et de mouvement se dégage du tableau.
De plus, avec les avancées technologiques nous pouvons désormais réaliser une captation plus globale de ces phénomènes météorologiques, grâce à la vidéo. Ce nouveau support permet un mouvement visible et animé du phénomène, et peut rendre le tout plus réel aux yeux des spectateurs.
La résultante du phénomène
Cependant, au sein de cette exposition, il nous a été donné à voir diverses manières de représenter les phénomènes météorologiques. Le deuxième type de représentation que nous avons pu observer est l’expression de la résultante du phénomène météorologique. La résultante des phénomènes météorologiques démesurés dans l’exposition peut se comprendre par l’utilisation de “débris” démesurés dans les œuvres Apocalypse et Histoire, faisant ainsi écho à la violence et l’importance de ces phénomènes (ici les cyclones). Cette mise en valeur des débris permet de donner à voir les conséquences d’un désastre monumental. Ces deux œuvres de l’exposition peuvent également être mises en relation avec des œuvres présentes hors de cette exposition, comme La tempête de Pierre Ardouvin, ou encore le tableau Le déluge exposé au Musée d’Arts de Nantes, qui donne à voir une population prise au piège par une pluie torrentielle.
Jeu d’échelle, jeu de rapport
Au sein de l’exposition, nous avons pu identifier un troisième principe de mise en œuvre qui s’appuie sur le principe de jeu d’échelle et de jeu de rapport entre deux éléments n’ayant au premier abord aucun lien établi, ce qui est le cas pour l’œuvre Cyclone par exemple. En effet Cyclone met en œuvre un jeu d’échelle puisque cette installation est composée de 69 750 dés à jouer, formant grâce aux différentes faces utilisées des nuances, créant l’image d’un cyclone vu du ciel. Cette œuvre met donc en relation deux éléments opposés de par leur taille et leur champ d’action/de dégradation possible. Le dé lui n’aura que peu d’impact, même s’il est mal lancé, alors que le cyclone lui, a un pouvoir destructeur immense. Cependant il est possible de rapprocher ces deux éléments, puisqu’ils comportent tout les deux une notion de hasard : le dé, lorsqu’on le lance pour jouer et le cyclone dans sa trajectoire car on ne sait jamais exactement où celui-ci va se diriger, on ne peut qu’estimer des directions et faire des hypothèses.
Il est aussi possible d’identifier un jeu d’échelle mais également un jeu de rapport dans les œuvres Apocalypse et Histoire puisqu’elle associe des pales d’hélicoptère et une baguette de direction ou un crayon. Ces deux objets sont habituellement utilisés et portés par une main venant les animés et agir sur un orchestre ou un support papier. Ici, ils sont sortis de leur contexte et pourraient donner l’impression d’un certain contrôle opéré sur les cyclones, venant ainsi rythmer ou dessiner ce phénomène.
En sont-ils plus impressionnants ou alarmants ?
Générer un vertige inquiétant chez le spectateur
L’Évocation de phénomènes météorologiques monumentaux dans cette exposition, a pour effet de provoquer une forme de vertige. En effet, ces phénomènes destructeurs sont source d’inquiétude chez les être humains et l’utilisation des dés qui sont des objets dont le résultat est aléatoire, nous renvoient à la nature profondément incontrôlable de ces phénomènes. De plus, les jeux d’échelle, entre la monumentalité des phénomènes météorologiques et les outils formels réduits (dés, canne), avec lesquels ils sont mis en relation, créent des associations déstabilisantes, qui accentuent cet effet de vertige par la nature hétérogène des éléments qui composent les œuvres. C’est notamment le cas dans les œuvres qui lient un paratonnerre et une canne d’aveugle, ou encore dans l’œuvre qui représente le phénomène du cyclone avec des dés, ou une nouvelle fois dans la carte du monde foudroyé réalisée à l’aquarelle.
Pousser à la réflexion du spectateur sur ces phénomènes et leur impact
Le spectateur de cette exposition peut être amené à opérer une forme de réflexion sur ces phénomènes monumentaux, leur impact dévastateur sur l’environnement, ainsi que sur sa vie quotidienne. De nos jours, les phénomènes météorologiques destructeurs sont de plus en plus fréquents et liés aux problématiques environnementales. Ces œuvres, ainsi que la visibilité qu’elles apportent sur ces phénomènes et leurs conséquences, peuvent pousser le spectateur à la réflexion. Une réflexion sur le rôle de l’être humain vis à vis de ces phénomènes et l’impact que ceux-ci peuvent engendrer sur l’environnement.
Cependant, les œuvres de cette exposition ne sont pas les premières à avoir cette approche. En effet, en 2021 la ville de Bilbao a vu son fleuve changer et accueillir une œuvre surnommée « La noyée de Bilbao ». Cette œuvre représentait le visage d’une femme à moitié plongé dans l’eau du fleuve, amenant une certaine inquiétude due à l’hyperréalisme du visage de cette femme. Le but de cette œuvre était d’interpeller le public sur les dangers liés au dérèglement climatique.
Créer une atmosphère qui participe à une forme de narration
Atmosphère (synonyme d’ambiance) def : Ensemble des caractères définissant le contexte dans lequel se trouve quelqu’un, un groupe ; climat, atmosphère. (ex : Une atmosphère chaleureuse.)
La représentation de phénomènes météorologiques participe à l’installation d’une atmosphère, créée par une forme de narration entre les différents éléments au sein des œuvres. Cette narration, créée par l’atmosphère des phénomènes météorologiques, prend particulièrement son importance dans les œuvres cinématographiques. Les films ont l’avantage de pouvoir mêler l’image et le son et de produire un effet bien plus imposant et immersif sur le spectateur, ce qui lui demande moins d’effort d’imagination et l’aide ainsi à se projeter au sein d’une narration. Ces phénomènes participent ainsi à la narration et à la création d’une atmosphère au sein de laquelle le spectateur peut s’immerger. La nature incontrôlable de ces événements peut susciter une forme de fascination en rapport avec la fatalité et la monumentalité de ceux-ci.
C’est notamment le cas dans les films Le cheval de Turin, Mad Max : Fury Road ou encore The Lighthouse, qui installent une atmosphère angoissante dans les films par le biais de phénomènes météorologiques signifiés par l’image, mais également par le son caractéristique de chacun de ces phénomènes. Le son possède une importance capitale dans les œuvres cinématographiques et la manière dont il est lié à l’image varie énormément selon les films, ce qui crée des effets très différents. Par exemple, l’utilisation du son “réel” du phénomène crée une forme de mise en situation de ce phénomène et le son vient souligner le visuel offrant une expérience plus immersive. Dans d’autres cas, le son du phénomène est remplacé par de la musique qui vient créer une contradiction avec l’ampleur et/ou la violence du phénomène, ce qui peut apporter une seconde lecture. Cette musique peut également renforcer cet aspect de violence du phénomène en contrastant avec son aspect grandiose et monumental. Une autre possibilité est l’absence de son qui vient souligner le visuel d’un phénomène météorologique d’ampleur. Cette démarche peut rendre l’image du phénomène plus saisissante ou bien à l’inverse, venir atténuer son impact et sa violence en retirant le son.
Au sein de cet article, nous avons exploré différentes réponses permettant de comprendre comment les phénomènes météorologiques démesurés peuvent prendre place dans un espace clos. Nous nous sommes intéressés aux moyens utilisés par Evariste Richer au sein de ses œuvres pour représenter les phénomènes météorologiques que nous avons lié aux œuvres d’autres d’artistes ayant également exploré ce sujet. Nous avons également tenté d’appréhender les effets qui peuvent être produits par ces œuvres chez le spectateurs et les différentes filiation avec des œuvres abordant des thématiques similaires, et qui suscitent elles aussi des réactions auprès du public.
Grâce à notre recherche, nous avons pu conclure que les phénomènes météorologiques démesurés ont toujours été source d’inspiration dans l’histoire de l’art, par le vertige qu’ils génèrent dans l’esprit des artistes qui tentent d’immortaliser et de représenter ces événements éphémères par différents moyens plastiques et techniques, pour en garder une trace. Car sans une représentation, qu’elle soit par le biais d’un tableau, d’une esquisse, d’une sculpture, d’une photographie ou d’une vidéo, ces phénomènes disparaissent et ne laissent sur leur passage que des débris et un espace marqué et accidenté.
E.E & L.G
Sources :
- Artsplastiques. (2020, 6 septembre). La tempête dans l’art. Arts Plastiques. https://perezartsplastiques.com/2019/04/22/la-tempete-dans-lart/
- Stiefel, H. (2021, 24 décembre). Bihar, la noyée de Bilbao pour alerter sur le climat. TV5MONDE – Informations https://information.tv5monde.com/international/bihar-la-noyee-de-bilbao-pour-alerter-sur-le-climat-15070
- 500px. (s. d.). https://500px.com/p/weather-photosnet?view=photos