OUR SUN : Cet astre qui (nous) influence tant // Les correspondants

vendredi 16 décembre 2022, par DSAA Brequigny

L’aube : le soleil, un matériau mystique qui fascine les artistes

La Criée nous propose l’exposition de Charbel-Joseph H. Boutros intitulée The sun is my only Ally qui rassemble un ensemble d’œuvres abstraites et poétiques qui créent un espace dans lequel des éléments habituellement insaisissables tels que le rêve ou le temps, deviennent ici tangibles. Le soleil semble alors venir ici comme un guide qui vient influencer la plupart des œuvres de l’artiste par ses propriétés matérielles et mystiques, lui imposant même parfois des contraintes. Il est donc intéressant de se demander en quoi le soleil, par son absence ou par sa présence, influence les œuvres de l’artiste ?

En effet, depuis la nuit des temps, le soleil fascine les gens par le pouvoir cosmique, intemporel et naturel qu’il dégage et qui est à l’origine de nombreux mythes et croyances. Selon la civilisation, il incarnera des rôles différents mais il reste le seul astre avec la Lune, à avoir été doté de traits humains dans les représentations religieuses ou savantes. 

Le soleil inspira de nombreux artistes classiques et néo-impressionnistes pour ses effets de lumière et plus tard, les artistes contemporains se réappropriront ses qualités symboliques et poétiques. Ainsi, Charbel-Joseph H. Boutros utilise toutes les facettes du soleil au sein de ses œuvres. Effectivement, il utilise des propriétés telles que la chaleur, la lumière et la temporalité qui viennent parfois modifier un matériau, dicter ses œuvres ponctuellement ou au contraire faire partie intégrante d’une performance.

Boutros n’est pas le seul artiste contemporain à utiliser et mélanger les propriétés physiques et symboliques de cet astre. En effet, le plasticien Olafur Eliasson porte un grand intérêt à la lumière et joue avec ses effets, ses couleurs, en utilisant des formes géométriques et des déformations pour donner une dimension narrative. Il crée une interaction physique entre les spectateurs et l’installation. Il est connu pour proposer des installations mettant en lumière des phénomènes naturels.

Nous pouvons citer par exemple son œuvre intitulée “The Weather Project” qu’il créa en 2003. Il a fait la reconstruction d’un élément de la nature, ici un coucher ou lever de soleil, évoquant chez les spectateurs des émotions diverses. La réaction du public face à cette installation est surprenante, certains contemplent ces phénomènes comme dans la nature, d’autres encore se couchent par terre et jouent avec les formes, et d’autres admirent leurs reflets la tête en bas et accèdent à une autre dimension.

Olafur Eliasson, The Weather Project, 2003

 

Le zénith : comment l’artiste exploite le soleil 

Charbel-joseph H. Boutros, Days Under Their Own Sun, 2013-2016
feuilles de calendrier libanais, soleils

Phénomène de la décoloration

Days Under Their Own Sun, est trois feuilles de calendrier libanais exposées à la lumière et aux rayons du soleil selon où se trouve géographiquement l’artiste. Par leur exposition aux soleils du monde (le soleil de Beyrouth et celui de Paris par exemple), ces trois feuilles se ternissent, se détendent. Ici l’artiste fixe des règles, une démarche à suivre (une fois par jour, exposer une feuille à la lumière du soleil).

Son allié le soleil l’accompagne dans sa création et agit directement sur son œuvre. Par sa démarche, Charbel-Joseph H.Boutros évoque autant le passage du temps à l’échelle humaine par l’utilisation d’un signe iconique (le calendrier) que la relation du temps avec le soleil (cycle éternel jour/nuit). Un phénomène qui a tendance à être perçu comme particulièrement gênant au quotidien et qui peut “ternir la beauté” des objets auxquels nous tenons, semble être réinterprété par l’artiste. La trace laissée par le soleil évoque ce phénomène lent, mais pourrait témoigner poétiquement le temps qui passe et l’influence du soleil sur l’être humain et le monde vivant. 

Ce rapport entre le temps et le soleil se retrouve subtilement dans l’œuvre Three Abstractions on Three Histories. Ici l’artiste suspend trois chemises blanches, une des chemises est terne, jaunâtre, une autre semble être neuve, puis la troisième est un entre-deux. Cette œuvre est intergénérationnelle, les chemises appartiennent au grand-père de Charbel-Joseph H.Boutros, son père et l’artiste lui-même. On retrouve comme le nom de l’œuvre l’indique trois abstractions et trois histoires, d’un lien paternel créé par une exposition au soleil variant de l’échelle d’une vie à ce qui pourrait être quelques années voire quelques mois.

Charbel-joseph H. Boutros, Three Abstractions on Three Histories, 2016
trois chemises blanches, structure métallique

Caractéristiques physiques (thermiques, chaleur)

Tout comme le phénomène de décoloration, la chaleur du soleil est aussi présente dans l’exposition. If Close to the Sun a Drop May Fall, est une cassette de musique extraite de sa bobine, couverte de cire de bougie votive ainsi que des souhaits. Autant que la cire, le soleil semble suspendu, l’œuvre pourrait être une action en attente d’un événement déclencheur. On pourrait imaginer alors que si on approche la cire et la cassette du soleil, l’œuvre prendrait un autre sens, d’autant par la matière sensible à la chaleur qui est la cire. On pourrait tracer des parallèles avec la légende d’Icare aux “dangers” mais surtout les répercussions de la chaleur du soleil. Un certain équilibre de la distance semble être évoqué dans l’œuvre.

Charbel-joseph H. Boutros, If Close to the Sun a Drop May Fall, 2019-2020
bobine d’une cassette, album de musique, cire de bougie votive, souhaits

 

Le crépuscule : l’absence du soleil comme approche créative

Charbel-joseph H. Boutros, NO LIGHT IN WHITE LIGHT, 2014
vidéo, 11 min

« Pense l’obscurité autant comme une expérience physique qu’un espace physique. L’obscurité efface nos différences, efface le temps, efface le présent. »

Charbel-joseph H. Boutros, extrait du communiqué de presse sur l’exposition « Crisis Practice », juin 2013, Workshop Gallery, Beirut (LB).

Selon la définition du Larousse, le crépuscule correspond à une lumière faible et incertaine qui subsiste après le coucher du soleil avant que la nuit ne tombe complètement. Dans les œuvres de l’artiste, la tombée de la nuit est très présente. Il joue de cette lueur atmosphérique en déclin et exploite le début de la pénombre. 

No Light in White Light est une vidéo de onze minutes qui exploite ce déclin lumineux du coucher de soleil. Cette vidéo montre un prêtre syriaque en pleine lecture de la Genèse dans une forêt au Liban, filmée dans les dernières minutes avant la tombée de la nuit. Ainsi, la lecture devient de plus en plus difficile pour le prêtre puisque les mots tombent les uns après les autres dans l’obscurité. Lorsque les mots du livre se plongent dans la pénombre, la blancheur des pages se voit d’autant plus, laissant apparaître une lueur assez intense dans cette obscurité fortement présente. L’exploitation de la tombée de la nuit est dans cette vidéo très intéressante, et il faut réellement regarder les onze minutes pour se rendre compte de ce doux contraste qui devient de plus en plus prononcé.

Une autre œuvre filmée joue avec la lueur du coucher de soleil, c’est Three songs, three exhibitions. Dans cette vidéo, un luthier joue trois mélodies avec trois bouzouks différents, assis sur une chaise dans une forêt. Il joue une première mélodie puis range le premier bouzouk pour aller chercher le deuxième et ainsi de suite. Je pense que la faible luminosité permet de se concentrer d’autant plus sur la musique jouée. Les trois bouzouks représentent chacun le portrait d’une exposition passée réalisée par l’artiste. Le premier est marron clair, le deuxième est rayé marron clair et marron foncé et le dernier est entièrement marron foncé. J’y vois dans ces couleurs une allusion à la tombée de la nuit, qui commence en étant encore claire, puis s’assombrit pour enfin devenir totalement obscure.


mine et acrylique en spray sur papier blanc, cadre

Dans l’œuvre, No light in White Light / Night Cartography, l’artiste rassemble ses nuits de 2011 à 2020. Chaque heure passée à dormir est effacée par un spray d’acrylique noir, et chaque nuit donne lieu à un nouveau dessin. Ce tableau se transforme en un journal des nuits de l’artiste, qui se concentre alors sur son sommeil, et le montre comme une activité productive. Je vois dans cette œuvre, avec ce point noir au milieu, un contraste avec les “nuits blanches”, les nuits où l’on ne trouve pas le sommeil, où on ne dort pas. Cette œuvre est installée dans une salle de repos dont les volets sont presque fermés en entier, et est disposée au-dessus d’un lit, qui permet notamment aux membres de la Criée de pouvoir s’y reposer de temps en temps.

Enfin, l’œuvre 2m Long of Isolated Darkness est un tube métallique vide entouré d’une mousse d’isolation pour plonger ce dernier dans l’obscurité. Entouré dans cette forme, le tube est isolé thermiquement et phoniquement de l’exposition. Ici, le fait d’être dans la pénombre fait écho avec l’importance que donne l’artiste au rêve, au sommeil, à ce temps de repos créatif.

Clara Boussuge, William Mallender, Emma Kaleta

 

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