Archive de septembre 2018

L’art de l’Aïta

mercredi 19 septembre 2018

L’Aïta est un art poétique et musical ancestral pratiqué dans les régions de Abda, Chaouia et Doukkala, c’est-à-dire dans l’axe Casablanca – Safi au Maroc. Le chant mêle des apports berbère, arabe, parler andalou, à la préciosité de la darija. Ode à la mémoire, aux joies et plaisirs de la vie, aux souffrances et espoirs du quotidien, l’Aïta fait l’objet aujourd’hui d’une tentative de sauvegarde et d’archivage, menée notamment par le poète Hassan Nejmi (auteur de Étude de la poésie orale et de la musique traditionnelle à partir de Aïta) qui a conduit Meriem Bennani à la rencontre de Siham et Hafida.

LE MIROIR D’UNE SOCIÉTÉ

«…Nommée aïta (cri ou appel), cette musique, s’affichant sous des formes variées et surprenant par sa liberté de ton, a émergé à la fin du XIXe siècle dans les régions agricoles du Maroc. L’Aïta cristallise les sentiments amoureux et personnalise les souffrances et espoirs du peuple à travers le chant. Véritable source historique et sociologique, elle renvoie à une critique affinée de la société, à travers une intensification quasi-tragique des sentiments populaires. L’art de l’Aïta est d’autant plus remarquable quand il s’instaure porte-parole du peuple qui s’exprime. Principalement le fait d’artistes femmes, l’Aïta suscite un renouveau d’intérêt au XXIe siècle. Une nouvelle génération, représentée par des artistes comme Ouled El Bouâzaoui, Khadija Margoum ou Oueld M’Barek, a repris le flambeau et conserve l’authenticité de cet art… ».

UNE AFFAIRE DE FEMMES

« …Malgré sa dimension féminine, l’aïta s’est caractérisée un certain temps par l’absence de femmes sur scène. Parmi les grandes dames qui ont su réconcilier les citadins avec leurs racines paysannes ou montagnardes, on peut citer la regrettée Fatna Bent l’Houcine. Mais l’expansion de l’art de l’Aïta dans les villes émergentes a eu lieu dans les années 1950 grâce à d’éminents artistes tel que le jovial violoniste Maréchal Mohamed Kibbou et Bouchaïb El Bidaoui. La dimension orale en est une composante fondamentale. Elle est incarnée par la profonde voix des « cheikhates », porte-paroles de leur communauté ».

UNE TRANSCIPTION ORALE DE LA MÉMOIRE

L’art de Aïta veut dire, selon son acception traditionnelle, l’Appel, c’est-à-dire l’Appel de la tribu et le retour aux ancêtres pour semer la volonté dans le cœur des hommes et inviter la Muse de la poésie et de la chanson.

L’Aïta a rythmé la vie des populations rurales au grès des célébrations, des fêtes et des moussems. Mais pas seulement, car l’Aïta, qui est à la fois cri d’amour, d’espérance et appel au dépassement de soi, a revêtu, à une certaine époque de l’histoire du Maroc, un caractère revendicatif d’opposition et de résistance. À cet égard, la figure légendaire et mythique de cheikha Kherboucha illustre à merveille, par ses chants et paroles, le côté contestataire et farouche de ce genre musical. C’est dans la région de Safi, que cette chikha exceptionnelle, se lèvera, avec une force et une rage que rien n’arrête, contre l’injustice. Elle s’opposera par son chant au caïd Aïssa Ben Omar, âme tyrannique, inféodé au pouvoir des colonisateurs français. Il finira par la réduire au silence par un acte sauvage qui fera d’elle un mythe. Hamid Zoughi en a fait un film, « Kharboucha ou rien n’est éternel ».

Extraits de l’Anthologie de l’Aïta parue en 2018. Composée de deux livrets de présentation, en français et en arabe, et de dix CDs enregistrés par quelque 250 artistes et musiciens, dont une trentaine d’interprètes, au Studio Hiba à Casablanca, cette anthologie rassemble les sept types ou couleurs de l’aïta qui diffèrent selon les régions : Hasbaouia, Mersaouia, Jeblia, Zaâria, Chaïdmia, Haouzia et Filalia (ou Beldia). « Cet hommage est une contribution à la réhabilitation de l’art de l’Aïta en tant que patrimoine fragile. On y consigne les genres majeurs, les figures emblématiques, les thèmes abordés, la relation des artistes à leur environnement, la place de la femme et le rôle social de l’Aïta… »

présentation des projets numériques des étudiants du DU USETIC

lundi 17 septembre 2018

Les étudiants du D.U. USETIC, Usages Socio-Educatifs des Technologies de l’Information et de la Communication présentent le fruit de leurs recherches et expérimentations dans le cadre d’un projet développé autour de la médiation numérique avec La Criée.

Qu’est ce que le DU USETIC ? C’est une formation de 6 mois qui se déroule à l’Université Rennes 2 en lien avec l’EDULAB ayant comme objectif central d’accompagner les étudiants vers les nouveaux métiers de la médiation numérique. Il s’agit tout au long de la formation de développer l’autonomie, la responsabilité individuelle et collective au service de l’émancipation.

Les recherches prennent appui sur les œuvres de l’exposition Alors que j’écoutais moi aussi David, Eleanor, Mariana, Delia, Genk, jean, Mark, Pierre, Shima, Simon, Zin et Virginie et se nourrissent des échanges sur les questions de transmission, médiation qui ont été soulevées tout au long du partenariat.

 

Inspirés par l’œuvre Cyrus de Mark Geffriaud, une œuvre non visible, cachée mais qui fait parler d’elle, Audran Busvelle et Pierre Va ont conçu le jeu vidéo Hide world : « Hide World est une façon ludo-pédagogique de découvrir et comprendre les problèmes que nous pouvons rencontrer avec nos appareils numériques. Nous avons crée un jeu qui puisse servir de support dans le cadre d’un atelier pédagogique. Nous voulions créer un jeu qui vulgarise, une sorte de jeu “fun” et “éducatif” à la fois. Ce jeu vous permet de comprendre en vous amusant que le monde numérique a une partie cachée qui est parfois dangereuse. Nous visons tous les publics, tous ceux qui sont aptes à comprendre ce qui peut se passer derrière les écrans. Ce jeu permet d’avoir une première approche sur les différentes menaces du monde numérique. » Audran Busvelle et Pierre Va

Pour jouer à Hide World : https://sbbusvelle.wixsite.com/hideworld

Inspirée par les œuvres de Jean Dupuy, Sylvie Lescarieux s’est appuyée sur les notions d’interactivité, de passage du temps, de jeu sur les codes et systèmes présents notamment dans les peinture anagrammatiques de l’artiste pour imaginer une tour en bois où nombreux systèmes interagissent. Dessinée à l’aide du logiciel Inkscape, façonnée à la découpeuse laser, équipé d’un capteur de mouvement relié à une carte Arduino programmée en fonction de l’intéractivité souhaitée, les quatre faces de l’objet s’animent :

  • en échos aux œuvres Here et Léo’s clock : en approchant la main à 10cm de la tour, l’aiguille se met à tourner rapidement dans le sens inverse des aiguilles d’une montre
  • mise en mouvement d’un crayon qui ouvre ou ferme une porte via Bluethooth
  • en échos à l’œuvre rouge à lèvres, ouverture et fermeture de la porte avec password
  • en échos à Cône pyramide et d’une peinture rouge et bleue sans titre de 1965, un système de 20 LED qui passent d’une lumière rouge à une lumière bleue s’anime.

Paul Pistolesi et Jérémie Leroy ont travaillé autour des archives de l’Oramics de Daphnée Oram, mais aussi plus largement interprété l’influence de cette artiste en tant que pionnière de la musique électronique. A partir de documents vidéos, ils ont réalisé un film « Concrètement , musiques électroniques », dont l’un a fait le montage et l’autre a composé une bande sonore originale inspirée de l’univers sonore de Daphnée Oram. Le film retrace les étapes de conception de l’Oramics, présente d’autres musiciennes pionnière des pratiques electroniques comme Délia Derbyshire, Pauline Oliveiros ou Eliane Radigues puis ils ont choisi de les mettre en lien avec certaines pratiques musicales actuelles comme Bjork, Jacques, Brian Eno, Nina Kraviz ou encore Aphex Twin.

Siham et Hafida, deux Chikhates de Safi

mercredi 12 septembre 2018

L’installation vidéo de Meriem Bennani dresse le portrait de Siham et Hafida qui sont toutes deux des « Chikhates » de Safi, une ville à l’ouest du Maroc, sur la côte atlantique. De générations différentes, elles entretiennent une rivalité silencieuse. Alors que Hafida, qui a chanté avec les plus grandes voit sa carrière s’essouffler, Siham est propulsée sur le devant de la scène, en bonne millenial addict aux réseaux sociaux.

À l’origine, Meriem Bennani avait pour sujet, la chikha Tsunami, véritable star de la musique et danse marocaine. Après avoir rencontré Hassan Nejmi, écrivain et parlementaire spécialiste de l’Aïta, elle s’est rendue à Safi, capitale de l’Aïta pour rencontrer Siham et Hafida.

Siham Mesfouia est une étoile montante, tandis que Hafida a tourné avec le groupe de la légendaire Fatna Bent Lhoucine, aux côtés de son mari violoniste Bouchaib. Celui-ci faisait partie dans les années 1970 avec ses deux frères du groupe Ouled Ben Aguida, avant de rencontrer en 1977 Fatna Bent Lhoucine, l’une des très grandes divas de l’Aïta ou Chaabi marocain. Ensemble, ils ont joué dans les mariages, les cabarets et festivals du monde entier et se sont produits à la télévision, pendant plus de vingt ans. Après la mort de Fatna Bent Lhoucine en 2005, sa choriste, la Chikha Hafida prit la relève afin que cet art perdure dans la plus pure tradition de l’Aïta.

Bien que différentes, Siham et Hafida partagent la même vision de la « Chikha » : une chanteuse et musicienne aguerrie. Une jeune fille définit ainsi la « Chikha » dans le film de Meriem Bennani : « La Chikha est une femme résistante et activiste qui pratique l’art de l’Aïta (qui signifie « cri », « appel ») ». Les « Chikhates » font partie intégrante de la culture populaire marocaine et sont dépositaires d’une mémoire orale ancestrale. Leurs répertoires vont des chants de révolte personnelle ou politique, aux chants traditionnels de fête ou odes poétiques. Leurs chants véhiculaient des paroles de résistances pendant la colonisation.

Avec la culture populaire, la chikha est devenue synonyme de fille aux mœurs légères. Leur représentation médiatique associée aux danses lascives de cabaret a contribué à leurs mauvaises réputations. Elles se retrouvent réduites à des figures érotisées, maquillées ou tatouées suspectées de transgressions en tous genres. Siham et Hafida n’apprécient guère ce qui en été fait dans les grandes villes, et le personnage qui pour elles incarne cette dérive, Tsunami. Pour elles, la chikha ne danse pas, elle compte les temps et gère des morceaux complexes, ce qui demande une vraie technique musicale.

Être « Chikha » dans la culture marocaine, c’est exister au-delà du cercle intimiste du foyer, souvent au prix de nombreux préjugés. Pourtant ce mot « Chikha » est à lui seul, une marque de talent. Au masculin, « Cheik », « Cheikha » signifie un chef, un maître ou un sage. Cette particule constitue un titre traditionnellement réservé aux hommes pour leurs connaissances religieuses, scientifiques ou artistiques. D’ailleurs autrefois, chaque région avait sa troupe d’hommes qui chantait et à l’occasion se déguisait en femmes. Au fil de l’urbanisation et de la colonisation, ils ont été remplacés par les dames qui se sont parées des atours des actrices des films égyptiens (danse, paillettes et maquillages compris). On faisait appel aux « Chikhates » pour célébrer les moussems (pélérinages), les mariages, les fêtes régionales ou officielles. Aujourd’hui, l’art de l’Aïta est menacé de disparaître, au profit d’autres musiques plus populaires comme le Chaabi ou le Raï.

Pour la Chikhate Siham, You Tube offre la possibilité de transmettre et d’archiver la culture orale de l’Aïta, véritable patrimoine immatériel de l’histoire du Maroc.