Archive de septembre 2021

A pieds d’œuvres, de La Criée au musée

lundi 20 septembre 2021

Partant de la découverte de l’exposition Molusma d’Elvia Teotski, les professeurs conseillers-relais du 2nd degré Fabrice Anzemberg et Yannick Louis vous proposent des pistes pédagogiques pour prolonger votre visite au musée des beaux-arts de Rennes :

À pieds d’oeuvres Volume 7

Vous y trouverez des pistes de lecture autour d’un choix d’Å“uvres dans les collections permanentes du musée, en lien avec différentes entrées thématiques faisant écho à la pratique d’Elvia Teotski :

La matérialité de l’œuvre, la qualité plastique des matériaux :

  • la peinture : un affaire de chimie ?
  • le bitume : séries noires aux musées : la question de la conservation

L’art et la nature / le vivant, une histoire ancienne :

  • la nature comme expression de notre intériorité, de nos drames, de notre imaginaire ;
  • le vivant, Å“uvre évolutive inscrite dans l’histoire de l’art

et différentes ressources (bibliographies, sitographies et prolongements autour des questions de développement durables)

Pour plus d’informations ou construire votre parcours « art contemporain et patrimoine », vous pouvez contacter les professeurs conseillers relais :

    • Fabrice Anzemberg – fabrice.anzemberg@ac-rennes.fr
    • Yannick Louis – yannick.louis@ac-rennes.fr

ou au 02 23 62 17 54 (permanence tous les mercredis en période scolaire de 14h à 16h au musée des beaux-arts de Rennes)

A propos des algues vertes en Bretagne

vendredi 10 septembre 2021

L’exposition Molusma, du grec « souillure », prend son point de départ dans les recherches approfondies menées par l’artiste Elvia Teotski le long des littoraux breton, marseillais et mexicain, territoires entre lesquels elle tisse des liens et interroge les connexions.

Les algues vertes sont un ensemble d’algues dont les pigments photosynthétiques principaux sont les chlorophylles a et b. Elles font partie intégrante du paysage breton. Mais depuis les années 1970 surviennent chaque année des « marées vertes », lors desquelles les plages se retrouvent recouvertes de ces algues qui ont proliféré avant de s’échouer sur le sable.

Ces végétaux apprécient les eaux peu profondes. Lorsque vient le printemps, le soleil les réchauffe rapidement et aide à la croissance des algues. Au-delà de bonnes conditions environnementales, ces plantes ont besoin de nutriments, notamment d’azote pour grandir. Or, la Bretagne accueille de nombreux élevages intensifs, qui déversent leurs déchets dans les cours d’eau. L’azote s’y retrouve, sous forme de nitrates, et rejoint le littoral breton. C’est un moment de festin pour les algues : eau chaude, peu de courant et nutriments !

Une fois échouées sur les plages, les problèmes commencent et les ramasseurs d’algues s’activent avec leur pelleteuse. En plus d’être glissantes et encombrantes, lorsque les algues pourrissent en couche épaisse sur les plages, elles rejettent un gaz toxique. À partir d’une certaine concentration de ce gaz dans l’air, notre nez n’y est plus sensible et nous ne pouvons pas le détecter.

C’est ainsi qu’ont eu lieux plusieurs drames en Bretagne : un coureur retrouvé mort à la fin des années 1980, puis un cheval et son cavalier, dont seul ce dernier a survécu. En 2009 c’est un ramasseur d’algues qui est retrouvé auprès de sa machine, puis deux chiens, qui décèdent pendant une promenade.

Pour l’exposition Molusma, Elvia Teotski décide d’utiliser ces algues échouées comme matériau de construction dans ses briques en terre crue. La valeur de l’algue est alors complètement changée : de rejet de la mer potentiellement toxique, elle devient utile et matière première. Le « déchet » est valorisé !

Pour en savoir plus sur l’affaire des algues vertes :

Algues vertes : rompre le silence – Ép. 1/2 – Algues vertes : le déni (franceculture.fr)

Algues vertes : l’affaire Morfoisse – Ép. 2/2 – Algues vertes : le déni (franceculture.fr)

Agir contre les algues vertes en Bretagne – Algues-vertes.com

Anna Tsing et la notion de « feral »

vendredi 10 septembre 2021

Elvia Teotski s’intéresse beaucoup aux relations entre les différentes espèces habitant un même milieu, ainsi que les connexions entre chacune des espèces et le milieu en lui-même. Sur ce point, les recherches de l’artiste croisent celles d’Anna Tsing.

Anna L. Tsing est professeure en anthropologie aux États-Unis. Elle travaille de manière interdisciplinaire, entre sciences humaines, sciences sociales et sciences naturelles. Elle s’intéresse tout particulièrement à l’impact de l’économie capitaliste sur les milieux sociaux et naturels, et cherche à mettre en lumière les conséquences de la mondialisation.

Elle désigne comme « feral » les environnements investis par les hommes mais qui se sont développés au point d’être hors de contrôle. Par exemple l’introduction d’espèces dans des lieux où n’ont pas de prédateurs naturels, ou la suppression de la biodiversité pour des cultures intensives, sur lesquelles se développent ensuite des prédateurs et parasites spécifiques.

« Feral Atlas : the more-than-human anthropocene » (l’atlas « feral » : l’anthropocène plus qu’humain) est un site web édité par Anna Tsing, Jennifer Deger, Alder Keleman Saxena et Feifei Zhou. L’accueil de l’atlas propose des objets flottants de tout type ; animaux, végétaux, bactéries, etc. Chaque item est classé dans une des quatre catégories : « Invasion », « Acceleration », « Capital » ou « Empire ».

En cliquant sur un item, il apparaît dans l’environnement dans lequel il évolue, montré donc cette fois comme partie d’un tout, non plus un objet flottant sans lien. Puis lui est associé une étude de son cas : son histoire, son actualité, etc. Tout en bas de la page de chaque élément, sont proposés d’autres éléments du même environnement ou de la même catégorie.

L’idée du site est la remise en contexte et la création de liens entre les éléments des différents environnements pour comprendre l’impact humain sur les écosystèmes et la façon dont ils sont devenus hors de contrôle. Donc, la façon dont ils sont devenus feral.

Il s’agit d’un site très riche, à explorer juste ici ! Feral Atlas (supdigital.org)

Bibliographie et sitographie Elvia Teostki

jeudi 2 septembre 2021

Algues, champignons et moisissures

AFEISSA Hicham-Stéphane, Esthétique de la charogne, Éditions Dehors, Bellevaux, 2018.

COSSART Pascale, HYBER Fabrice, Le monde invisible du vivant : bactéries, archées, levures/champignons, microalgues, protozoaires et … virus, Odile Jacob, Paris, 2021.

GARINEAUD Clément, Récolter la mer : des savoirs et des pratiques des collecteurs d’algues à la gestion durable des ressources côtières dans le Finistère (Bretagne), thèse de doctorat en Ethnoécologie, Muséum national d’histoire naturelle, Paris, soutenu le 27 Mars 2017.

LÉRAUD Inès, VAN HOVE Pierre, Algues vertes l’histoire interdite, Delcourt, Paris, 2019.

MORIZOT Baptiste, Manières d’être vivant : Enquêtes sur la vie à travers nous, Actes Sud, Arles, 2020.

DEWEY John, L’art comme expérience, Gallimard, Paris, 3e édition 2010 (1re édition Southern Illinois University Press, Carbondale, 1915).

Ecologie et politique

BENNETT Jane, Vibrant Matter : a Political Ecology of Things, Duke University Press, Durham, 2010.

CHATEAURAYNAUD Francis, DEBAZ Josquin, Aux bords de l’irréversible, sociologie pragmatique des transformations, Éditions PETRA, Paris, 2017.

D’HOOP Arianne (dir.), THOREAU François (dir.), L’appel des entités fragiles. Enquêter avec les modes d’existence de Latour, Presses de l’Université de Liège, Liège, 2018.

FERDINAND Malcolm, Une écologie décoloniale, penser l’écologie depuis le monde caribéen, Seuil, Paris, 2019.

HARAWAY Donna, Vivre avec le trouble, Les Éditions des mondes à faire, Vaulx-en-Velin, 2020.

TSING Anna, Le champignon de la fin du monde : Sur la possibilité de vie dans les ruines du capitalism

e, Éditions La Découverte, Paris, 2017.

DESPRET Vinciane, Que diraient les animaux, si… on leur posait les bonnes questions ?, Éditions La Découverte, Paris, 2012.

MAZOYER Marcel, ROUDART Laurence, Histoire des agricultures du monde, Du néolithique à la crise contemporaine, Seuil, Paris, 2002.

MONSAINGEON Baptiste, Homo detritus, critique de la société du déchet, Seuil, Paris, 2017.

SEKIGUCHI Ryôko, Manger fantôme : manuel pratique de l’alimentation vaporeuse, Éditions Argol, Paris, 2012.

Vivre dans un monde abîmé, Critique, n° 860-861, Jan-Fev 2019.

 

Pour la jeunesse :

CLÉMENT Gilles, GRAVÉ Vincent, Un grand jardin, Cambourakis, Paris, 2016.

 

En ligne :

Feral Atlas, the more-than-human anthropocene : https://feralatlas.org

World of matter : http://worldofmatter.net/

Neuhaus : Academy for more than human Knowledge, online ressource : https://issuu.com/hetnieuweinstituut/docs/publicatie_neuhaus_24sep01

TSING Anna, « La vie plus qu’humaine » in Terrestres, revue de livres, des idées et des écologies, 26 Mai 2019. https://www.terrestres.org/2019/05/26/la-vie-plus-quhumaine/

LYNES Krista Geneviève, World of Matter, « Introduction : Planetary Aesthetics » in Elemental – an arts and ecology Reader, Gaia Project Press, Manchester, 2016. http://events.worldofmatter.net/wp-content/uploads/2016/05/Elemental-World-of-Matter.pdf

 

À écouter

BRET Cyrille, « De l’animal sacrifié à l’animal sublimé : l’animal vivant dans l’art contemporain » lors de la Journée d’étude « Plus vif que mort ! » organisée par l’association des étudiants conservateurs de l’Institut National du Patrimoine, sur France Culture, le 16 Avril 2019. https://www.franceculture.fr/conferences/institut-national-du-patrimoine/de-lanimal-sacrifie-a-lanimal-sublime-lanimal-vivant-dans-lart-contemporain

Présentation du livre Esthétique de la charogne d’Hicham-Stéphane Afeissa

https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-de-la-philo/le-journal-de-la-philo-du-lundi-21-janvier-2019

Marc Dufumier, agronome, professeur honoraire à AgroParisTech

https://www.leparlementdesliens.fr/r%C3%A9%C3%A9couter-les-conversations

https://www.franceculture.fr/personne-marc-dufumier.html

Abécédaire Molusma – Elvia Teotski

jeudi 2 septembre 2021

A gar-agar : l’agar-agar est un gélifiant d’origine japonaise, extrait d’algues rouges. Celles-ci sont bouillies. Puis on récupère l’eau de cuisson, que l’on congèle et dégèle pour déshydrater le produit et isoler l’agar-agar. Celui-ci est finalement réduit en poudre. C’est un élément sensible à la chaleur et à l’humidité, qui peut s’assécher, se liquéfier, moisir, etc. Elvia Teotski a travaillé ce matériau dans des Å“uvres telles que A chaque jour sa surprise (2018).

A lginate : il s’agit d’un composant obtenu à partir d’algues brunes. De couleur variant du blanc au brun jaunâtre, il est vendu sous forme filamenteuse, granulaire ou en poudre. C’est aussi l’un des principaux gélifiants utilisés dans la confection de moulage, notamment dentaires. Dans l’exposition Molusma, Elvia Teotski présente Le reste des vagues, des sculptures qui sont des moulages d’algues en alginate, soit des empreintes d’algues faites à partir d’algues.

A lgues : végétal chlorophyllien dépourvue de racines, de tiges et de feuilles, le plus souvent aquatique. Ces dernières décennies, les littoraux bretons connaissent l’algue comme un végétal envahissant, polluant l’environnement par des gaz mortels (voir l’affaire des algues vertes). Dans l’exposition Molusma, Elvia Teotski utilise les algues mélangées avec de la terre crue comme matériau de construction pour ses briques.

A dobe : technique de fabrication de briques. L’adobe consiste à mélanger de la terre argileuse avec de l’eau et un troisième matériau qui sert de liant, en petite quantité. Le plus souvent c’est la paille qui est utilisée comme liant, mais pour l’exposition Molusma, l’artiste s’est servie d’algues séchées. Une fois le mélange constitué, les briques ont été façonnées et séchées au soleil. Elles n’ont pas été cuites.

A gronomie : science qui a pour objet les relations entre les plantes cultivées, les sols, les climats et les techniques de culture. Avant de devenir artiste, Elvia Teotski a été formée en tant qu’agronome.

A nthropocène : Période actuelle des temps géologiques, où les activités humaines ont de fortes répercussions sur les écosystèmes de la planète et les transforment à tous les niveaux. On fait coïncider le début de l’anthropocène avec celui de la révolution industrielle, au XVIIIe siècle.

A zyme (papier) : Papier comestible à base de fécule de pommes de terre, utilisé notamment en pâtisserie. Pour sa pièce Sans fin, Elvia Teotski a imprimé la photographie d’une voile dite de « forçage », servant à protéger les culture maraîchères du froid et des insectes, sur des centaines de papiers azyme. Avec le temps, ces papiers vont sécher, réagir à l’humidité et à la lumière, transformant progressivement notre perception de l’image, en interaction avec l’environnement.

E xpérimentation : Elvia Teotski travaille de nouvelles matières, comme des algues, de la terre, ou encore des objets ou poussières récupérés. Elle teste leurs réactions : Est-ce qu’elles tiennent debout ? À quelle hauteur ? Est-ce qu’elles fondent ? Est-ce qu’elles tâchent ? C’est une étape importante que de s’approprier ces matériaux. À partir de ces expérimentations et observations, l’artiste crée une ou plusieurs Å“uvres.

E ntropie : basée sur le terme grec qui désigne la transformation, l’entropie indique les processus énergétiques, physiques ou sociaux imprévisibles. L’entropie considère que la nature passe d’un système ordonné à un système désordonné au fur et à mesure du temps. Prenons l’exemple d’un glaçon, taillé bien cubique, avec ses molécules d’eau très ordonnées. Lorsqu’il fond, la glace se transforme en eau et ses molécules sont moins ordonnées. Lorsque l’eau s’évapore, ces mêmes molécules peuvent aller jusqu’à se disperser dans l’air.

F eral : « sauvage » en anglais. Anna L. Tsing désigne comme « feral » les environnements investis par les hommes mais qui se sont développés au point d’être hors de contrôle. Par exemple l’introduction d’espèces dans des lieux qui n’ont pas de prédateurs naturels, ou la suppression de la biodiversité pour des cultures intensives, sur lesquelles se développent des prédateurs et parasites spécifiques. Anna Tsing relie cette idée de feral à l’économie capitaliste – notamment pour les cultures intensives – et à la mondialité.

L aisser-faire : dans son travail, Elvia Teotski ne cherche pas à contrôler le résultat final. Elle laisse l’Å“uvre évoluer, s’effondrer, grandir, pourrir ou s’assécher. Elle n’impose pas de discipline stricte mais au contraire s’amuse à observer comment son travail se transforme de lui-même, à travers le temps.

M oisissure : ce petit champignon verdâtre qui se développe dans l’humidité et l’obscurité, fait partie intégrante des Å“uvres de l’artiste. Loin de la dégoûter, Elvia Teotski considère la moisissure, si moisissure il y a, comme l’évolution naturelle de son travail. Ce n’est que la transformation de la matière première, au contact de l’humidité.

M olusma : en grec, ce mot signifie souillure, tâche. Dans les années 1960, le biologiste Maurice Fontaine propose ce nom pour désigner l’époque géologique actuelle, car cette dernière est marquée par la pollution, la production de déchets et les traces laissés par les activités humaines, comme des tâches dans l’environnement. Il a même créé le terme de « molysmologie marine » pour désigner une science nouvelle : l’étude des pollutions marines liées aux activités humaines.

N éguentropie : tendance d’un système à évoluer vers un degré croissant d’organisation. Par exemple, lorsque l’on ajoute un peu d’encre dans un verre d’eau : au départ l’encre reste concentrée là où l’on a déposé la goutte. Puis, petit à petit l’encre va se mélanger à l’eau et se répandre uniformément dans le verre.

O bservation : le processus d’observation est très important dans le travail d’Elvia Teostki, de la conception de l’Å“uvre à sa réception par le public. L’artiste procède tout d’abord à des recherches, des observations de son environnement, de son contexte et de ses matériaux. Une fois les matériaux et techniques choisies, arrive la phase d’expérimentation, c’est-à-dire d’essayer et d’observer différents processus et réactions de la matière. De même, une fois exposée, c’est au public de prendre le temps d’analyser l’Å“uvre, repérer les formes de vie qui l’occupent, ainsi que son évolution très lente.

P hytoplancton : le phytoplancton est un plancton végétal. C’est un organisme aquatique chlorophyllien, c’est-à-dire que c’est une plante verte qui vit sous l’eau et absorbe une partie des rayons du soleil pour vivre.

P récarité : les matériaux qu’utilise Elvia Teotski sont fragiles et sensibles à leur environnement. Le taux d’humidité, le vent, la température ou encore la luminosité les transforment. En cela, ils sont des matériaux précaires. Cependant, ils ont aussi une grande force d’adaptation et tout leur intérêt se trouve dans ces changements perpétuels.

T ERRE : TERRE est une briqueterie solidaire, communauté Emmaüs à Chevaigné (35). L’association est un lieu d’accueil, d’accompagnement et de vie communautaire pour les personnes en situation précaires. Son projet s’accompagne aussi d’une activité économique de fabrication de matériaux de construction en terre crue. L’objectif est de créer un modèle économique viable, solidaire et basé sur la mixité sociale. C’est avec l’association TERRE que l’artiste Elvia Teotski a travaillé pour façonner les briques exposées à La Criée, lors d’un chantier participatif qui a eu lieu en août 2021.

T SING Anna : Née en 1952 aux États-Unis. Diplômée de l’université de Yale et de Stanford, elle est professeure en anthropologie. Elle travaille de manière interdisciplinaire, entre sciences humaines, sciences sociales et sciences naturelles. Elle s’intéresse tout particulièrement à l’impact de l’économie capitaliste sur les milieux sociaux et naturels, et cherche à mettre en lumière ces relations parfois interdépendantes, parfois de cause à effet pour souligner ces conséquences « invisibles » de la mondialisation.