Archive de janvier 2024

Dualité temporelle

mercredi 31 janvier 2024

 

« Avaler les cyclones » est une exposition d’Evariste Richer qui inaugure le nouveau cycle artistique du centre d’art contemporain de La Criée de 2023-2025 : « Festina Lente » signifiant Hâte-toi lentement. C’est en ce sens dans un monde allant de plus en plus vite, qu’il nous est dit de ralentir et de prendre le temps. Hâte-toi lentement est une oxymore entre lenteur et vitesse indiquant de faire les choses de façon plus lente, moins rapide. L’exposition « Avaler les cyclones », conçue comme une carte météorologique, présente 11 œuvres qui abordent les thèmes des dérèglements climatiques, des catastrophes naturelles et de l’accélération de notre perception du temps. Dans cette mesure, nous nous sommes penchés sur la dualité temporelle très présente dans cette exposition, où une certaine urgence nous est exposée afin de réinventer des usages et de prendre le temps de penser, de réfléchir des formes d’adaptation, d’alternatives ou de résistances aux crises actuelles notamment écologiques et sociétales qui rythment et affectent notre quotidien.

Nous pouvons définir la dualité comme la coexistence de deux composantes différentes, souvent antagoniques mais inséparables. Par exemple, on peut dire que la création est duale dans le sens où il n’y a pas de blanc sans noir, pas d’ombre sans lumière, pas de plein sans vide. Cette dualité se rapporte aussi à notre rapport au temps : Pas de présent sans passé. La dimension temporelle est relative aux choses matérielles marquées par le temps qui passe en s’inscrivant dans notre monde terrestre. Lorsque l’on évoque la notion de dualité temporelle cela se rapporte à une durée d’existence variable et distincte : il peut s’agir d’un mouvement instantané, brusque de quelques minutes, ou au contraire qui se déploie dans une temporalité bien plus longue, voire multiséculaire. Cette dualité temporelle renvoie aussi à la conscience d’un événement fait, passé et daté à l’inverse d’une réalisation qui se déroule à l’instant T.

Mais alors, par quels moyens l’artiste crée une dualité temporelle dans ces œuvres ?

Nous étudierons d’abord les moyens utilisés par Evariste Richer pour créer et illustrer la dualité entre patience et rapidité d’exécution, puis la dualité temporelle entre passé et présent. Pour approfondir cette réflexion, des œuvres et installations artistiques additionnelles seront intégrées pour éclairer notre raisonnement.

Opposition entre la lenteur de la représentation et la rapidité de l’événement

Entre chaos et précision artistique : mise en place méticuleuse des œuvres qui s’oppose aux événements météorologiques imprévisibles

Evariste Richer est un artiste sensible qui s’attache aux phénomènes naturels et à leurs temporalités. La rapidité de ces événements amènent l’artiste à les représenter de façon lente dans leur mise en œuvre, il varie donc les moyens de représentation afin de créer une dualité temporelle.

Cyclone

Cyclone – Dés à jouer

L’exposition « Avaler les Cyclones » propose une œuvre intitulée Cyclone, réalisée à partir de dizaine de milliers de dés à jouer posés sur le sol. Elle a été créée depuis une photographie satellite d’un cyclone, aussi dit dépression atmosphérique, sur laquelle l’artiste a suivi une trame. L’image se décompose en valeurs de gris avec le chiffre 1 représentant les couleurs plus claires et le 6 les couleurs plus foncées. L’œuvre Cyclone met en avant la dualité temporelle entre la rapidité d’un cyclone et la patience de mise en œuvre où les dés ont été triés et ordonnés, un à un donnant l’idée de maîtriser quelque chose que nous ne pouvons pas maîtriser. De plus, le rapport d’échelle de cette œuvre est renversé puisque le cyclone qui se produit habituellement au-dessus de nous est représenté à l’inverse, posé au sol sous forme de tapis. Ainsi, le visiteur peut facilement tourner autour et prendre du recul. Aussi, le pointillisme des chiffres dessinés sur les dés, appelé brail en creux selon l’artiste, provoque une vibration rétinienne lorsqu’on se rapproche de la spirale géante.

Le monde foudroyé

Le monde foudroyé – Aquarelle

L’exposition propose une seconde œuvre dont la réalisation a demandé patience et rigueur. Le monde foudroyé est une œuvre de grand format appliquée au mur et réalisée à l’aquarelle, représentant une carte du monde révélant les impacts de foudre sur la terre sur une année. Pour cela, l’artiste à utilisé des nuances de couleurs donnant les zones plus ou moins touchées par la foudre. Les zones les plus touchées sont représentées en noir et en rouge et sont la République Démocratique du Congo et le Venezuela. La technique utilisée est une technique longue nécessitant patience sur la représentation d’un phénomène naturel dont l’impact est furtif, très rapide.

Sculpter le temps : temporalité artistique et précision dans la représentation d’événements inattendu

La dualité temporelle est un vrai sujet de représentation pour les artistes et designers. Mario Ceroli, a aussi travaillé depuis cet angle de vue afin de représenter un phénomène naturel lié à l’eau et à la mer : la vague.

La Vague & Maestrale – Bois & verre

Mario Ceroli, sculpteur et figure majeure de l’art italien d’après-guerre, aime travailler le bois et le verre. Il a réalisé La Vague, en bois découpé, stratifié et Maestrale ou mistral en français, en verre vert stratifié et découpé. Ces immenses vagues sont réalisées à base de centaines de lamelles de bois et de verre ayant été courbées à certains endroits avec précision pour prendre la forme d’une vague déferlante comme si à tout moment les matériaux allaient s’écraser sur le sol de la galerie. L’énergie présentée dans ces sculptures est remarquable, les œuvres représentent un événement naturel très rapide et non calculé, de seulement quelques secondes tandis que les œuvres, elles, ont demandé de nombreuses heures de travail, demandant beaucoup de précision. Ceroli a ainsi utilisé du verre avec Maestrale, offrant un jeu de transparence, renforcé par un bon éclairage de l’œuvre, lui donnant ainsi une certaine puissance sculpturale. La Vague a été réalisée en bois ce qui marque davantage les nombreuses stries de l’œuvre et la minutie du travail que cela a nécessité.

Comme évoqué précédemment, l’exposition « Avaler les cyclones » est un oxymore mettant en avant la suspension et l’accélération, la lenteur et la soudaineté d’un événement climatique.
Ses œuvres illustrent également la dualité entre des références au passé et leur association au contexte contemporain. A travers son approche artistique, Evariste Richer interroge aussi le positionnement du spectateur en combinant évocation sensible et sélection plastique des médiums. Par conséquent, comment interroge-t-il le dialogue entre passé et présent dans cette exposition ?
Pour approfondir davantage, de quelle manière les artistes contemporains questionnent-ils notre conscience du temps tout en replaçant le spectateur dans le moment présent ?

Une dualité entre références au passé et rapport au présent

Interroger le dialogue entre matérialité historique et objet contemporain

Festina Lente – Mégaphone & Ammonite

Festina Lente est une œuvre se composant d’un mégaphone et d’un fossile d’ammonite. La scénographie met en avant le mégaphone, un objet évoquant le son, la prise de parole, porter une voix, alerter sur les urgences climatiques ou autre… Ce mégaphone est obturé par une ammonite, un fossile évoquant plutôt le silence, d’une pierre qui dort depuis plusieurs années. Ainsi, l’artiste crée une dualité temporelle en présentant ensemble un objet contemporain et un fossile de taille rare évoquant donc différentes temporalités, entre passé et présent.

Engager le spectateur dans un parcours figuratif confrontant l’histoire, le passé et sa posture actuelle de spectateur.

Évoquer différentes temporalités dans une seule réalisation comme le montre Festina Lente, permet d’avoir un nouveau regard entre les époques en les mettant en cohérence de façon à ce qu’elle ne fasse qu’une seule œuvre. En apportant cette vision entre chaque temporalité, cela peut amener le visiteur à avoir une posture différente et à intervenir à travers les différentes productions. L’installation de l’artiste Menashe Kadishman, qui se nomme Le Vide du Souvenir, offre cette posture d’intervention aux visiteurs au sein de l’œuvre créant ainsi une interaction entre deux temporalités différentes.

Le Vide du Souvenir – masque en acier

Au sein du musée juif situé en Allemagne, l’exposition nous invite à explorer Le Vide du Souvenir, une installation de l’artiste Menashe Kadishman qu’il a nommé feuilles mortes. Plus de 10 000 pièces en acier rondes, représentant des visages aux bouches ouvertes, recouvrent le sol de cet espace. Cette exposition retrace la vie de plusieurs juifs assassinés durant la Shoah mais aussi à toutes les victimes violence de guerre.
Face à cette exposition, l’artiste nous invite à marcher sur ces visages qui nous regardent afin de garder en mémoire leur histoire. Une forme de dualité temporelle vient se créer entre le monde du passé (les masques en acier) et le présent (les spectateurs). Ces visages sont disposés les uns sur les autres comme une forme d’entassement au sein d’un couloir qui s’assombrit au fil de la marche, de couleur assez terne, ce qui donne cette vision de lieu de mort.
En marchant sur ces masques, des bruits métalliques sont provoqués, pouvant faire écho aux cris des victimes, à leurs souffrances, chacun est libre d’interpréter ces sons. Avec ces éléments, l’artiste a permis de laisser place à la cohabitation entre chaque temporalité.

En conclusion, l’exposition « Avaler les Cyclones » d’Evariste Richer, inscrite au Centre d’Art La Criée, offre une plongée fascinante dans la dualité temporelle. A travers ces œuvres, l’artiste explore la confrontation entre lenteur et rapidité, passé et présent, et parvient ainsi à créer une expérience qui invite le spectateur à repenser sa relation au temps. La dualité temporelle se manifeste également dans la réalisation minutieuse des œuvres où la patience nécessaire à la représentation contraste avec la fugacité des phénomènes naturels.
En définitive, « Avaler les Cyclones” témoigne de la capacité de l’artiste à transcender les limites temporelles, à suspendre le temps dans ces créations, et à inviter le public à réfléchir sur la dualité inhérente à notre existence. À travers leurs œuvres, Evariste Richer et d’autres artistes contemporains nous encouragent à naviguer entre les époques, à reconnaître la coexistence de différentes temporalités, et à embrasser la complexité de notre rapport au temps dans un monde en perpétuel mouvement. Tout en ralentissant pour contempler ces œuvres, les visiteurs sont appelés à engager une réflexion profonde sur la nécessité de faire preuve de patience et de réflexion dans un monde souvent caractérisé par son accélération frénétique.

ABGRALL Charline, DEROUIN Zoé, FALAIZE Margaux, SICAULT-DEBRAIS Manon

La véracité des images

mercredi 31 janvier 2024

LA VÉRACITÉ DE L’IMAGE

Les Promesses, exposition Avaler les cyclones de Evariste Richer, 2023.Les Promesses, exposition Avaler les cyclones de Evariste Richer, 2023.

Il est plus connu sous le nom “Ceci n’est pas une pipe” mais ce tableau de René Magritte s’appelle en réalité La trahison des images. Il nous montre une pipe mais nous dit que ce n’est pas une pipe. René Magritte nous offre une interprétation de l’allégorie de la caverne de Platon, nous permettant d’y voir plus clair. L’œuvre est un tableau, une image, une représentation, ce que nous voulons mais pas une pipe. Celle-ci est en effet seulement la représentation que nous nous faisons d’une pipe. Si nous étendons cette vision à toutes les images, elles ne sont ni pure illusion, ni vérité totale. Or, la photographie, par son principe, se veut reproductrice de la réalité. Nous pouvons alors nous demander dans quelle mesure la photographie est-elle une retranscription objective de la réalité ?

La trahison des images, René Magritte, 1928.
La trahison des images, René Magritte, 1928.

Il convient tout d’abord de définir les termes liés à cette problématique. La véracité renvoie à ce qui est conforme à la vérité, à la réalité. Si on s’intéresse au concept de réalité, il s’agit de ce qui existe indépendamment du sujet, de ce qui n’est pas le produit de la pensée. La véracité des images renvoie ainsi à une retranscription de la réalité pure de toute interprétation ou intention de retranscription.

À l’évidence, il est souhaitable de savoir si le principe mécanique de la photographie obéit à cette véracité. Le trajet de la lumière : “au repos”, lorsque le photographe fait sa composition, la lumière entre dans l’objectif, elle est focalisée grâce aux lentilles, entre par le diaphragme vers le miroir, est reflétée vers le prisme, puis vers l’œil du photographe. Pendant le déclenchement, la lumière entre dans l’objectif, elle est focalisée grâce aux lentilles, dosée par le diaphragme et elle imprime ensuite le capteur pendant le déplacement des rideaux de l’obturateur. Finalement, la photographie induit bien une retranscription d’un instant “t”, à travers des principes physiques et chimiques. Les photons contenus dans la lumière deviennent un signal électrique qui est ensuite traité pour devenir une image.

Schéma du fonctionnement de l'appareil photo.Schéma du fonctionnement de l'appareil photo.

Une retranscription de la réalité 

La photographie se veut être une retranscription du réel. Avec l’invention de la chronophotographie en 1882, Étienne-Jules Marey nous offre une nouvelle technique photographique. Celle-ci consiste à prendre une succession de photographies, permettant alors de décomposer chronologiquement les phases d’un mouvement, qu’il soit humain ou animal, ou d’un phénomène physique, trop brefs pour être observés convenablement à l’œil nu. Dans l’Escrimeur, le scientifique nous montre la véritable nature physique du mouvement. Bien que la réalité soit capturée, nous pouvons nous interroger sur la valeur esthétique de la vérité. Selon Howard S. Becker, “il est clair pour [lui] que, même si l’image est placée dans le champ de l’“art” et pas dans celui de la “science”, ceux qui la regardent se demandent malgré tout si l’on peut dire que ce qu’ils voient est “vrai”, quel que soit le sens que l’on accorde à ce mot. Par conséquent, il reste à explorer l’usage de la “vérité” à travers un prisme subjectif.”

Escrimeur, Étienne-Jules Marey, 1890.Escrimeur, Étienne-Jules Marey, 1890.

La sémiotique des images

Pour comprendre l’influence que peut avoir l’interprétation d’une image, il est nécessaire de comprendre les différents niveaux de lecture d’une image. Saussure nous livre une lecture linguistique. Selon lui, les signifiés linguistiques sont conceptuels. Ce sont les représentations mentales liées aux signifiants, c’est-à-dire aux formes graphiques et acoustiques d’un signe linguistique. Barthes élargit d’ailleurs les concepts de Saussure. Ces signifiés incluent les significations culturelles et symboliques qui émergent de l’interaction des signes avec leur contexte. Les signifiés de Barthes ont une dimension symbolique. On peut cependant ajouter un troisième champs. Le signe peut se référer à une matérialité du monde, à un événement ou à une action dont l’image fait la représentation. On appellerait donc cette caractéristique, un référent (réalité physique ou conceptuelle du monde). Par exemple, dans le cas de la photographie Torse de femme de Nodjima. Le signifié (le concept), c’est une belle femme.

Cette perception peut changer en fonction de chaque spectateur, ainsi l’adjectif ‘belle’ renvoie au concept de beauté, celui-ci est subjectif dépendent entre autre, des codes culturels de chacun (les canons de beauté changent en fonction des époques et des lieux par exemple). Le signifiant (face matérielle perçue) : c’est la reproduction imprimée de la photographie d’une femme. Le référant (réalité physique, événement, action) : c’est une femme se peignant les cheveux en 1930. L’interprétation d’une image est donc propre à chacun·e et fait appel à de nombreux facteurs dont les codes culturels, marquant ainsi la lecture d’une image. La réalité ou la véracité perçue est donc une lecture personnelle. Néanmoins, d’autres facteurs sur notre compréhension de l’image rentrent en jeu.

Torse de femme, Nojima, 1985.Torse de femme, Nojima, 1985.

La partialité des images

Outre les codes culturels, la notion de cadre suggère également une certaine subjectivité puisque l’individu choisit de capturer la réalité sous un certain angle, obstruant ainsi la vérité totale. Nous pouvons donc remettre en question la véracité des images. Il s’agit en effet d’une vision fragmentée du sujet photographié. En prenant une photographie, l’individu fait inconsciemment un choix, une interprétation de sa réalité. Dans Les Promesses, Evariste Richer nous montre cette partialité. La série de photographies, au format de cartes postales, dépeint des chaînes montagneuses très colorées en guise de décors. Il s’agit de vues du parc géologique Zhangye Danxia en Chine, collectées sur internet. L’artiste a réalisé un photomontage en incrustant dans le champ de l’image sa main tenant un nuancier Kodak, rendant ainsi visible la falsification des couleurs. Un mystère demeure autour de ces hauteurs puisque ces photographies sont les seules indices de leur existence et pour autant, nous pouvons nous questionner sur la véracité de celles-ci. Le gouvernement chinois interdit en effet la prise de vue de cet environnement. Cela donne donc lieu à une vision imposée. Cette œuvre invite à nous interroger sur la fiabilité des sources.

Les Promesses, exposition Avaler les cyclones de Evariste Richer, 2023.Les Promesses, exposition Avaler les cyclones de Evariste Richer, 2023.

L’instrumentalisation des images

En effet, au cours de l’histoire, la manipulation de différents facteurs précédemment vus, comme le cadre ou l’exploitation de codes symboliques permet une utilisation des images pour promouvoir, déformer ou dénoncer une réalité. La photographie, La violente histoire des Olympiades populaires de 1936, fait partie d’une campagne de propagande du Reich. On sait que cette photographie est issue d’une réflexion quasi chorégraphique. La perspective, le cadre et les figurants sont tous assidûment placés afin d’influencer l’interprétation faite de l’image. Les codes utilisés transmettent une vision unifiée et fière d’un pays à travers la jeunesse hitlérienne et le décor mis en place. On peut aussi penser que l’Allemagne est un pays ouvert et accueillant à travers l’accueil de la flamme olympique, symbole d’une unification mondiale. Les images peuvent donc être manipulées à travers la maîtrise de la sémiotique.On peut se demander si d’autres paramètres permettent de manipuler une image.

La violente histoire des Olympiades populaires, anonyme, 1936.La violente histoire des Olympiades populaires, anonyme, 1936.

La manipulation des images

Qu’une photographie soit le résultat d’une prise de vue simple, d’une prise de vue retouchée, voire même d’un montage, il n’y a aucune différence de principe. La photographie n’est qu’une représentation, l’expression de quelque chose de propre à son·sa auteur·rice. La photographie est dite “réelle” et les techniques de trucage et de retouche photo reviennent à “transformer la réalité”. Dans Les Promesses, Evariste Richer remet en question la véracité des images, qu’elles soient artistiques, touristiques ou encore politiques. À partir de son photomontage, l’œuvre invite à nous questionner sur la fabrication des images et l’illusion du réel à l’heure du numérique et de l’intelligence artificielle. L’idée sous-jacente que les techniques de retouche et de photomontage permettent de “manipuler” la réalité, de tricher et de “mentir”. Celles-ci reposent donc sur une conscience inexacte de ce qu’est la photographie. Il appartient ainsi à l’individu qui perçoit toute expression quelle qu’elle soit d’avoir une capacité de jugement suffisante, c’est-à-dire une raison, afin de ne pas être “manipulés”, “dupés”.

Pour conclure, le seul moyen d’avoir une vision complète et véritable d’une image est d’avoir une vision complète des éléments gravitant autour du fait représenté. On peut illustrer cette vision avec l’œuvre One and three chairs de Joseph Kosuth. Pour comprendre parfaitement un fait il faut voir l’objet réel qui est représenté, son image et sa définition, c’est-à-dire la détermination précise et concrète des caractères distinctifs du fait. Il semble également important d’analyser les symboles présents et la symbolique des images afin de repérer la volonté de l’auteur.

One and three chairs, Joseph Kosuth, 1965.One and three chairs, Joseph Kosuth, 1965.

D’autres sortes d’images peuvent retranscrire un fait réel. C’est le cas du Monde foudroyé. Cette aquarelle de grand format représente une carte du monde dont les nuances de couleurs révèlent le nombre d’impacts de foudre sur la terre au km² par an. Le nuancier de couleurs qui accompagne la carte rappelle celui du spectre lumineux. L’artiste utilise ici des données scientifiques, les retranscrivant à travers un médium qui lui est propre : l’aquarelle. L’œuvre est d’ailleurs accompagnée d’un cartel expliquant le contexte de celle-ci. Bien que cette peinture soit de l’ordre de l’art, elle permet tout de même d’illustrer des données tangibles, devenant ainsi proche d’une certaine véracité.

Le monde foudroyé, exposition Avaler les cyclones de Evariste Richer, 2023Le monde foudroyé, exposition Avaler les cyclones de Evariste Richer, 2023.

Sources

Art Shortlist. (s. d.). Focus sur une œuvre : La trahison des images de René Magritte.
Bordron, J. (2017). Chapitre 1. La question de la vérité dans le contexte de l’image. Presses universitaires.
Bordron, J. (2013). Image et vérité. Actes sémiotiques.
Gayet, L., & Baldacchino, J. (2016, août 28). La trahison des images de René Magritte. France Inter.
Jeanneney, J., Guérout, J., & Mandelbaum, Y. (2018, 13 octobre). L’image comme preuve, l’image comme mensonge. France Culture.
Journet, N. (2016, 7 avril). Vérité et illusion de l’image. Sciences Humaines.
Joseph Kosuth. Histoire de l’art. Eklablog.
Justine. (2023, 29 septembre). Signifiant / signifié : Saussure vs Barthes. Visualdsgn. visualdsgn.

             Texte : Gruber Anaïs et Lhériau Linna

Biographie Anne-Charlotte Finel

mercredi 31 janvier 2024

Anne-Charlotte Finel
Née en 1986 à Paris
Vit et travaille à Paris

Anne-Charlotte Finel est diplômée des Beaux-Arts de Paris, avec les félicitations du jury, en 2010. En tant qu’artiste vidéaste, elle a choisi de travailler dans un interstice permanent : « Je fais mes vidéos la nuit, à l’aube, au crépuscule et à l’heure fatidique ». Une période incertaine et mystérieuse, où tout est en suspens. Cet interstice est aussi géographique, à la limite de la ville et de la campagne, un paysage transitoire à croiser avec le regard et récurrent dans la pratique de l’artiste. Elle cherche à créer « des images s’éloignant d’une réalité trop crue, trop définie », des images lentes, presque oniriques, à la manière d’un motif abstrait.

Récipiendaire du Prix Vidéo de la Fondation François Sommer en 2015 et du Prix du Conseil Départemental des Hauts-de-Seine remis lors du Salon de Montrouge en 2016, elle a présenté des expositions personnelles à la Galerie Édouard Manet (Gennevilliers), à la Galerie Jousse Entreprise (Paris), aux Ateliers Vortex (Dijon), au Centre d’art Le Lait (Albi), à The Chimney (New York) ainsi que dans cinq villes de Russie en partenariat avec l’Institut français de Saint-Pétersbourg. Son travail a été intégré à des expositions collectives au Palais de Tokyo ou à la Synagogue de Delme en France, ainsi qu’à l’international (Mexique, Australie, Hong Kong, Italie, Allemagne, Japon et États-Unis).

Site internet : annecharlottefinel.com
Instagram : @annehcarlottefinel

Abécédaire

mercredi 31 janvier 2024

A nthropisation : paysages naturels qui ont été modifiés par la présence des êtres humains. Anne-Charlotte Finel filme des animaux au sein d’environnements marqués par le passage des Hommes, comme dans Klopotec où les oiseaux se mêlent aux avions des pistes de l’aéroport d’Orly.

B ande-son : piste sonore, qui peut aussi être musicale, réalisée pour des films et des vidéos. Anne-Charlotte Finel accorde beaucoup d’importance aux sons de ses vidéos. Elle travaille avec le musicien et compositeur de musique électronique Voiski, pour créer une bande-son sur mesure pour chacune d’elles.

C aptation : enregistrement d’un événement, d’une scène, donnant lieu à la création d’un film.

C rue : forte augmentation du niveau de l’eau dans les fleuves et cours d’eau due aux intempéries. C’est le titre d’une des vidéos d’Anne-Charlotte Finel qui filme des chutes d’eau.

D étail : partie, élément d’un ensemble qui peut paraître secondaire ou anodin. L’artiste travaille beaucoup à partir de détails dans ses vidéos et ses photographies en les accentuant avec des effets de zoom et de plans rapprochés.

D ocumentaire : film qui présente des êtres vivants, non-vivants ou encore des lieux de manière scientifique et didactique. Anne-Charlotte Finel adopte une démarche proche du documentaire pour tourner sa vidéo Klopotec. C’est la seule vidéo de l’exposition où le paysage est contextualisé.

É cran : Surface sur laquelle une image est projetée. L’écran est un dispositif qui diffuse les images. Il peut être perçu comme un tableau en mouvement.

F lou : qui n’a pas de contours définis, nets. Anne-Charlotte Finel travaille beaucoup avec le flou dans ses œuvres pour troubler notre perception des éléments qu’elle filme, ce qui nous donne l’impression de ne pas reconnaître les sujets de ses vidéos et de ses photographies.

F resson (tirage) : atelier parisien de tirages photographiques qui doit son nom à l’inventeur de cette technique déclarée en 1899, Théodore-Henri Fresson. L’atelier Fresson est aujourd’hui le seul à proposer des impressions photographiques sur papier charbon (procédé charbon direct) qui permet de travailler le monochrome ou le quadrichrome. C’est ce type de tirage qu’Anne-Charlotte Finel utilise pour certaines de ses photographies et certains de ses photogrammes, par exemple dans Klopotec 6.

G rain d’une image : particules noires en forme de grains parfois visibles sur les photographies et les vidéos de l’artiste. Leur taille dépend de la qualité du matériel utilisé mais aussi de l’agrandissement choisi au moment du tirage. L’artiste utilise beaucoup de plans rapprochés pour ses tirages et ses vidéos, ce qui donne à certains un grain particulier.

H eure bleue : moment suspendu entre le jour et la nuit où le ciel se teinte d’une couleur bleue particulière. Anne-Charlotte Finel capte la plupart de ses vidéos à cet instant de la journée.

I nstallation : agencement de plusieurs objets ou œuvres d’art dans un même dispositif de présentation. Anne-Charlotte Finel présente à La Criée l’installation Passagers qui réunit plusieurs impressions photographiques sur une même structure en acier.

I nterstice : espace ou moment dans un entre-deux, en suspens. L’artiste aime capter ses images dans des espaces entre la ville et la campagne et dans des moments entre le jour et la nuit.

K lopotec : dispositif mécanique en bois qui ressemble à un petit moulin à vent. Il est utilisé dans les vignes de certains pays à l’Est de l’Europe (Slovénie, Autriche, Croatie) pour faire peur aux oiseaux. Cet objet fait partie de la famille des effaroucheurs d’oiseaux, mécanismes visuels et/ou sonores utilisés partout dans le monde (par exemple, l’épouvantail est un effaroucheur d’oiseaux). Il sert à effrayer et repousser les oiseaux dans les champs ou encore sur les terrains d’aviation pour limiter les risques de collision avec les avions sur les pistes. C’est le sujet de la vidéo Klopotec d’Anne-Charlotte Finel, filmée près de l’aéroport d’Orly.

M édium : Renvoie aux matériaux de production d’une œuvre. Dans l’exposition Respiro de Anne-Charlotte Finel, les médiums utilisés sont la vidéo et la photographie.

O bservation (scientifique) : action de regarder attentivement la nature. Pour filmer ses vidéos, l’artiste adopte cette posture d’observation. Elle prend son temps et laisse faire la nature jusqu’à capter les images qui l’intéressent.

O rganza : tissu en mousseline assez fin, d’aspect transparent et brillant. L’artiste l’utilise pour exposer certaines de ses impressions dans l’installation Passagers. À l’origine c’était un tissu précieux qui se fabriquait avec de la soie. Aujourd’hui, il est plutôt produit à partir de polyester et de fibres synthétiques.

P ixel : Les pixels dans une image numérique peuvent s’apparenter à des points de couleurs, qui forment une image quand ils sont accolés les uns aux autres. Le terme pixel provient de l’anglais picture element, qui signifie « élément de l’image ».

P lans : différentes prises de vue de la caméra dans un film qui permettent de voir le sujet filmé soit dans son ensemble, soit sous d’autres angles ou détails choisis. Anne-Charlotte Finel utilise beaucoup de plans rapprochés dans ses vidéos en filmant avec une caméra longue vue pour zoomer sur les détails qu’elle veut mettre en valeur.

P rojection : faire passer un film dans un appareil qui permet d’envoyer les images sur un écran. À la Criée, certaines des vidéos de l’artiste sont projetées directement sur les murs.

R étroéclairage : technique d’éclairage par l’arrière. Elle est utilisée à La Criée pour éclairer certains écrans et les impressions d’Anne-Charlotte Finel dans l’espace.

S urexposition / sous-exposition : exposition trop prolongée (surexposition) ou pas assez (sous-exposition) d’une image à la lumière, ce qui lui donne un aspect trop lumineux ou au contraire pas assez lumineux. L’artiste les utilise dans ses vidéos et ses impressions pour donner un certain aspect esthétique à l’image.

S oie : fil souple et résistant fabriqué grâce aux araignées ou aux larves d’une certaine espèce de papillon, le bombyx du mûrier, dont les chenilles s’appellent les vers à soie. Anne-Charlotte Finel expose certaines de ses impressions sur de la soie. Elle photographie et filme aussi des vers à soie dans ses œuvres.

T exture : aspect, consistance d’une matière. Anne-Charlotte Finel donne une matérialité aux formes qu’elle filme, des effets de textures, comme par exemple dans sa vidéo Respiro où elle zoome sur le peau d’un crocodile.

V idéaste : se dit d’une ou d’un artiste dont les œuvres sont des vidéos.

 

Pistes d’ateliers artistiques autour de l’œuvre d’Anne-Charlotte Finel

mardi 30 janvier 2024

 

Voici 6 pistes d’ateliers pour prolonger la visite de l’exposition Respiro d’Anne-Charlotte Finel, proposées par Olivia Blondel, professeure d’arts plastiques conseillère relais pour La Criée et le musée des Beaux-Arts de Rennes :

 

1/ Apparition/Disparition (d’un Fantôme Naturel)

Sur un format A5 ou A4

Faire remarquer la potentielle contradiction entre fantôme et nature aux élèves (notion de fantastique, on y croit parce qu’une partie du contexte semble réel).

En partant du contour d’un des éléments (photogramme décalqué par exemple) en gros plan dans une des vidéos, créez un jeu de fonds/formes qui à la fois révèle et cache le motif naturel de départ.

L’atelier peut s’adapter à tous les niveaux de classe en simplifiant pour les plus petits.

Anne-Charlotte Finel capture le réel et le vivant dans ses vidéos mais les donne à voir sous un certain angle, empreint d’une vision onirique et fantastique. Le point de vue que nous propose la vidéo est à la fois naturaliste et artificiel, animal et culturel : c’est une recréation du réel par une artiste qui nous questionne sur notre capacité à être souvent en relation avec le vivant. Le flou des frontières, des sons et des espaces, leur porosité, révèle un autre fantôme, peut-être celui d’une perte de l’empathie.

Possibilité aussi de partir de contours d’animaux miniatures (par exemple, des jouets en bois pour les tous petits).

 

2/ Le monstre, c’est l’ombre !

Choisissez un de vos animaux préférés et réalisez sa silhouette au crayon graphite dans un coin de la feuille. Imaginez son ombre portée monstrueuse (possible encre, peinture, aquarelle, pastels, et crayon à papier, fusain, découpage/collage). Demandez à chaque élève lequel des deux leur semble le plus réussi.

Déplacer la perception des espèces ? Les animaux préférés seront peut-être très variés selon les élèves.

Du cycle 2 au cycle 4, possibilité aussi au lycée.

 

3/ Décoller (de l’image) du réel

Partir de :

– photographies de paysages interstitiels, par exemple des photogrammes des vidéos.

–  de pelages d’animaux, d’écailles, de matières, de plumes de paons, etc.

Proposer de cadrer puis reproduire le détail choisi en l’agrandissant (zoomer) ou, à l’inverse, partir d’un détail à coller librement et imaginer la suite sur le support.

Mots clés : Abstraction/figuration. All Over. Gammes chromatiques. Matières. Flou/net.

 

4/ Une espèce de chimère

Création d’une chimère à partir des espèces présentes dans les vidéos :

  • avec des photocopies d’échantillons de matières, de tissus, ou d’échantillons graphiques des élèves (qui peuvent être réalisés auparavant en classe) ou encore de photogrammes des vidéos, inventez une chimère.
  • à partir de dessins préalables et individuels, en prélevant des fragments de vos créatures dessinées, réalisez à deux ou à quatre un collage de la plus grande créature fantastique possible sur un A3.

Réalisez sa fiche de classification SVT à la fois loufoque et pseudo scientifique (programme des 5èmes au collège par exemple). Donnez-lui un nom inventé (mots valise, pseudo latin-grec, etc.).

Du cycle 2 à 4.

 

5/ Superpositions/Imbrications

  • À partir des éléments présents dans les vidéos (constructions/nature/espèces ; détails urbains, naturels, etc.) et en utilisant différents papiers translucides de format carré, chaque élève représente :
  • pour un demi groupe des éléments naturels
  • pour l’autre des éléments artificiels

Puis créez par groupe de deux ou quatre des superpositions possibles.

Il est aussi possible de découper les dessins préalables de ces éléments en bandes et de faire des tissages pour retrouver un format carré sur du papier plus épais.

 

6/ La Piste Artémis

Imaginez et créez une cartographie possible d’un périple d’Artémis autour d’Orly.

Partir d’une vue aérienne d’Orly et des abords.

Les élèves écrivent d’abord un mythe avec pour contrainte qu’il se situe en bordure de ville/bois ou d’Orly/forêt et que l’héroïne principale en serait Artémis.

Bilbliographie – Sitographie

jeudi 11 janvier 2024

Bibliographie

Botanicum et Arboretum, Katty Scott & Kathie Willis, Caterman, 2016 et 2023

A cloud, Komagata Katsumi, Les 3 ourses, 2017

La fabuleuse histoire de la Terre, Aina Bestard, Édition saltimbanque, 2021

Forêt des frères, Noritake Yukiko, Arles, Actes Sud, 2021

Forêt-Wood, Parrondo José et Douzou Olivier, Rodez, Rouergue, 2013

Un grand jardin, Clément Gilles et Gravé Vincent, Paris, Cambourakis, 2016

The Giving Tree, Silverstein Shel, New York, Harper Collins, 1964

Little tree, Komagata Katsumi, Paris, One stroke, Les trois ourses, 2008

Le livre des arbres & plantes qui restent à découvrir, Tallec Olivier, Arles, Actes Sud, 2021

• Devine Cherche et Trouve Nature, Manon Bucciarelli, Gallimard jeunesse, 2021

Nuit étoilée, Jimmy Liao, Ricochet, 2020

Mille choses à faire avec un bout de bois, Schofield Jo et Danks Fiona, Paris, Gallimard, 2013

Le petit Prince, Antoine de Saint Exupéry, Gallimard, 1999

Au soleil et Dans la lune, Fanette Mellier, Éditions du livre, 2015 et 2022

Du soleil à la lune histoires du ciel, Paris, Andréadis Ianna, Les Grandes Personnes, 2019

Touch the sky with your eye, Horvitz David, Paris, Jean Boîte, 2019

Sitographie

ddabretagne.org/gabrielle-manglou/oeuvres

gabriellemanglou.tumblr.com

Bibliographie

mercredi 10 janvier 2024

Bibliographie proposée par le service des publics de La Criée et Rachel Guitton, professeure documentaliste, conseillère-relais pour La Criée centre d’art contemporain

Essais

Roman graphique

Poésie

  • Noirlac, Marc Graciano, Le Tripode, 2023

Littérature / fictions

Jeunesse