Archive de octobre 2021

La moisissure dans l’art

mardi 26 octobre 2021

La moisissure est un petit champignon, qui se développe dans un milieu humide. Si les musées cherchent à éviter les moisissures, des artistes y trouvent cependant un fabuleux terrain d’expérimentation.

Tout d’abord, la moisissure est un signe du temps qui passe. On peut rapprocher cette caractéristique des tableaux de vanités (un thème ancien qui trouva son essor à partir du XVIIe siècle en Europe) qui mettaient en lumière l’inarrêtable course du temps.

Pour de nombreux artistes, la moisissure n’est pas considérée comme la fin de quelque chose. L’artiste français Michel Blazy travaille avec des matériaux organiques qu’il laisse se décomposer. Envahies par la moisissure, ses œuvres se détériorent au fil de leur exposition. Dans son travail, les champignons ne sont pas présentés comme repoussants mais au contraire, l’artiste met en avant leur beauté et leur poésie quant à leur capacité à attester du temps qui passe. Tout comme Elvia Teotski, Michel Blazy considère la moisissure comme l’évolution naturelle des matériaux et la montre comme telle au spectateur.

D’autres artistes utilisent la moisissure pour donner une portée politique à leurs œuvres, notamment à propos du rapport de l’Homme à l’environnement. Le photographe Klaus Pichler reprend l’idée de la nature morte dans sa série One Third (2013) pour dénoncer le gaspillage alimentaire. L’artiste italien Daniele Del Nero, quant à lui, appuie l’idée d’un futur sombre. Il réalise en 2012 la série photographique After Effect. Après avoir construit une maquette de ville en papier noir, il l’a saupoudré de farine, puis a laissé la moisissure s’installer et croître. Le résultat donne l’impression d’une ville fantôme, post-apocalyptique, où la nature reprendrait ses droits.

Dans l’exposition Molusma, Elvia Teotski interroge le rapport des êtres vivants à leur environnement. Elle y accueille diverses formes de vie possibles, des insectes aux champignons jusqu’aux micro-organismes. On retrouve par exemple, des bactéries bioluminescentes dans la vidéo Zone Sensible ou encore de la moisissure envahissant progressivement les moulages d’algues fait en alginate dans l’œuvre Le reste des vagues. Elle privilégie dans son travail une démarche liée à l’observation, la recherche et l’expérimentation.

 

Pour aller plus loin :

BRAYER Marie-Ange, ZEITOUN Olivier (dir.), La fabrique du vivant : mutations, créations, Paris, Orléans, les Éditions du Centre Pompidou, Editions HYX, 2019.

COSSART Pascale, HYBER Fabrice, Le monde invisible du vivant : bactéries, archées, levures/champignons, microalgues, protozoaires et … virus, Odile Jacob, Paris, 2021.

« La Nuit du Vivant : voyage au coeur de la pourriture », Le Blob. [En ligne] URL : https://leblob.fr/series/la-nuit-du-vivant-voyage-au-coeur-de-la-pourriture. Consulté le 26/10/2021.

 

 

 

 

Bactéries bioluminescentes : une illustration de l’interdépendance dans la nature

mardi 26 octobre 2021

L’écologie marine est l’étude des interactions entre les organismes marins, et ce, du plus petit au plus gros, des virus marins aux baleines, en passant par les planctons, les algues, ou encore les poissons. Les biologistes qui se penchent sur cette question des écosystèmes sont appelés à résoudre aujourd’hui de nombreuses problématiques : la protection des milieux marins et leurs ressources face à la surpêche, la pollution ou encore le trafic maritime. Ces problématiques relatives à l’ère géologique de l’anthropocène sont au cœur du travail d’Elvia Teotski. Par exemple, dans la vidéo Zone sensible, l’artiste utilise des bactéries marines bioluminescentes.

Les animaux bioluminescents, qu’ils soient terrestres ou marins, émettent de la lumière grâce à une réaction chimique se produisant directement dans leur organisme. Ils possèdent des photophores, des organes contenant deux molécules, la luciférase et la luciférine qui lorsqu’elles se rencontrent, créent cette lumière caractéristique.

Dans un des laboratoires de l’Institut Méditerranéen d’Océanologie de Marseille, aidée de l’équipe scientifique, Elvia Teotski a fait passer de l’eau de mer remplie de Pyrocystis Lunula dans un tuyau. Par la pression, ces bactéries ont été agitées, entrainées par le courant et en réaction, elles se sont illuminées. Ce dispositif a permis de laisser apparaître le nom qu’elle donnera à son œuvre : Zone Sensible. Ces bactéries bioluminescentes se trouvent à la surface de la mer et réagissent aux mouvements qui peuvent les entourer. C’est d’ailleurs à elles que l’on doit les sillons lumineux créés par le passage des bateaux.

Ces bactéries bioluminescentes ont également un double rôle de sentinelle. Par exemple, dans leur habitat naturel, lorsqu’un crustacé s’approche pour les dévorer, elles s’éclairent afin d’effrayer l’ennemi et parallèlement alerter leurs consœurs. Elles tiennent ce même rôle pour certains scientifiques. En effet, très sensibles aux substances toxiques tel que les Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques (HAPs), elles perdent leur capacité à produire de la bioluminescence. Grâce à ce phénomène, elles aident les scientifiques souhaitant protéger les eaux de la pollution. Elles leurs servent de baromètre pour l’évaluation des taux de pollution présents dans les eaux. Ces bactéries deviennent alors, à la fois une espèce à sauver de la prolifération d’hydrocarbures dans les eaux marines et un allié, en tant qu’outil de repérage.

Les bactéries, qu’elles soient bioluminescentes ou non, ont une faculté à interagir et participer à des relations d’interdépendance dans le milieu dans lequel elles vivent. Les Pyrocystis Lunula en sont un parfait exemple. Elles cohabitent avec les autres êtres vivant qui les entourent. Chacun vit avec l’autre mais aussi grâce à l’autre, entre cohabitation et interdépendance.

Voir aussi :

COSSART Pascale, HYBER Fabrice, Le monde invisible du vivant : bactéries, archées, levures/champignons, microalgues, protozoaires et … virus, Odile Jacob, Paris, 2021.

ROUILLARD Typhaine, « Le néon dans l’art contemporain », Correspondance – La Criée, 17 janvier 2017. [En ligne] URL : https://correspondances.la-criee.org/les-ressources-pedagogiques/neon-lart-contemporain/?section=42. Consulté le 18/10/2021.

VADON Catherine, « Des feux dans la mer, la bioluminescence marine », dans : Le Chasse-marée n°319, 3 février 2020. [En ligne] URL : https://www.chasse-maree.com/des-feux-dans-la-mer-la-bioluminescence-marine/. Consulté le 18/10/2021.

« La bioluminescence comme sentinelle marine : présentation d’ateliers scolaires organisés dans le cadre de la Fête de la science 2021 », Fête de la Science 2021, 5 octobre 2021. [En ligne] URL : https://www.fetedelascience.fr/scolaires-la-bioluminescence-comme-sentinelle-marine-0. Consulté le 18/10/2021.

Le vivant exposé

mardi 26 octobre 2021

L’exposition Molusma de l’artiste Elvia Teotski est vivante : on retrouve la présence d’insectes avec les criquets, des végétaux avec les algues, des micro-organismes avec les bactéries bioluminescentes ou encore de la moisissure.  Ce n’est pas un choix anodin et surtout, c’est une expérience qui tend à se répéter dans la création artistique contemporaine. En effet, pour l’historien de l’art Cyrille Bret, le vivant envahit la sphère de l’art contemporain à mesure que celui-ci disparait dans la nature.

Par définition, le « vivant » s’oppose à tout ce qui est inerte.  Qu’il soit humain, animal ou un être unicellulaire, lorsqu’un organisme n’est plus en capacité d’agir, de changer, c’est un organisme mort. Or, si le propre du vivant est le changement alors que celui de l’œuvre est l’immuable, cela demande de repenser plusieurs points.

À l’aube du XXe siècle, l’œuvre d’art selon sa conception occidentale, reposait sur plusieurs principes qui semblaient intouchables. En effet, d’après Cyrille Bret, l’œuvre se concevait en tant qu’objet visible, unique, qui ne changeait ni d’apparence, ni de sens. En somme, nous demandions à l’œuvre d’art une constance inaliénable – à ceci près qu’elle exigait d’être entretenue voire restaurée, mais toujours dans le but de la maintenir dans son état premier.

Faire appel à un ou plusieurs êtres vivants (quelles que soient leurs échelles) pour constituer une œuvre d’art occasionne dès lors, un rapport problématique : Comment maintenir l’œuvre d’art dans son état premier alors que le propre du vivant est le changement ?

La question du vivant dans l’art prend réellement place dans les années soixante. Cette décennie et celle qui suivra, voient émerger de nouvelles pratiques artistiques qui vont bousculer la conception de l’œuvre. En Italie par exemple, un groupe d’artistes nommé Arte Povera utilise des matériaux organiques et périssables. Aux États-Unis, on observe l’émergence du « living art ».  C’est l’avènement des Event FLUXUS ainsi que des Happenings d’Allan Kaprow. L’œuvre se détache du matériel, ce n’est plus un objet mais un espace, une performance, un évènement, un milieu.

Bien que certaines œuvres et performances mobilisent des êtres vivants – comme par exemple, le coyote dans la performance de l’artiste Joseph Beuys I like America and America likes me – il n’était pas encore question de faire perdurer l’œuvre le temps d’une exposition ni de la faire entrer dans une collection de musée. Cependant, ce changement de la conception d’œuvre d’art va ouvrir la voie aux artistes des années quatre-vingt. Ils et elles ont également mobilisé des êtres vivants dans leurs œuvres. Cette fois-ci, ces êtres non-humains ne seront pas là seulement en tant qu’accessoires et sur un temps court, mais en tant qu’acteurs voire sculpteurs de l’œuvre[1].

Lorsque l’on expose une œuvre sollicitant la présence d’êtres vivants, on bouscule à la fois la conception classique de l’œuvre mais également la distribution des rôles pour les acteurs des mondes de l’art. En effet, introduire du vivant dans l’art questionne la nature même de l’œuvre d’art, sa conservation ou encore sa collection (privée comme publique). Cela signifie aussi déléguer une partie de la création à des êtres vivants autonomes, donc rendre le déroulé de l’exposition imprévisible.

Dans l’exposition Molusma, Elvia Teotski ne peut pas contrôler les actions des différents êtres vivants présents. Elle n’utilise pas seulement les criquets, les algues ou les moisissures comme matériaux mais elle écrit la partition de l’exposition puis collabore avec tous ces organismes pour créer l’œuvre. Cela modifie le rôle du conservateur et/ou du régisseur de l’exposition qui se retrouvent dans l’obligation d’adopter la casquette de soigneur. Les équipes sont chargées de veiller à la bonne évolution de l’exposition en préservant la vie des principaux protagonistes. L’œuvre ne peut plus juste rester telle que l’artiste l’a conçue initialement. Elle s’inscrit dans une temporalité.

Par exemple, ici, les criquets mangent l’œuvre Sans fin faite de papier azyme, se nichent dans les voûtes, créant un effritement progressif de la structure. Le sel présent sur les algues utilisées pour réaliser les briques, accélère drastiquement le phénomène d’érosion. Quant aux moisissures, elles envahissent progressivement les moulages en alginate de l’œuvre Le reste des vagues. Travailler avec le vivant, de ce fait, c’est s’exposer à l’imprévu : en laissant agir l’être vivant dans l’espace d’exposition, l’artiste délègue une partie de la réalisation. Il ou elle perd une partie de sa marche de manœuvre.

Cet aspect est au cœur de la réflexion d’Elvia Teotski. En effet, pour concevoir son exposition, l’artiste s’est inspirée des travaux de l’anthropologue Anna Tsing. Elle s’est particulièrement intéressée à la notion de « Feral » (« sauvage » en anglais) que la chercheuse développe dans son ouvrage Le champignon de la fin du monde et sur le site internet participatif Feral Atlas. Anna L. Tsing, désigne par « Feral » les environnements que les hommes ont tentés de contrôler en y laissant une marque indélébile, où la nature est finalement devenue hors de contrôle. Comme les multiples exemples relayés sur ce site[2], dans Molusma, il s’agit de créer un environnement de toute pièce, y introduire des êtres vivants et de les laisser reprendre le contrôle de l’exposition.

 

[1] L’un des meilleurs exemples est l’artiste français Hubert Duprat. En 1980, il commence sa série d’œuvres Les larves de trichoptères, qu’il poursuit encore aujourd’hui. Les larves de trichoptères ont la particularité de grandir dans un fourreau qu’elles ont elles-mêmes constitué avec les éléments se trouvant à leur portée (des brindilles, du sable, des cailloux etc…). Hubert Duprat lui, les a entourées de diamants, perles et pierres précieuses. Leurs fourreaux sont alors devenus comme de riches écrins. L’artiste devient le chef d’orchestre, celui qui a eu l’idée et a fourni le matériau. Quant aux larves, ce sont elles qui sculptent tout en faisant partie elles-mêmes de l’œuvre.

[2] Par exemple, dans l’article d’Alyssa Paredes, intitulé « Chemical cocktails defy pathogens and regulatory paradigms » on découvre la lutte contre les maladies fongiques (et notamment le sigatoka noir) menée dans l’archipel des Philippines. Ce champignon a ravagé les plantations de bananiers et a poussé les agriculteurs à multiplier le déversement aérien de cocktails de pesticides et fongicides. Cette guerre contre le champignon dévastateur l’a fait évolué, devenir plus résistant et donc a amené les philippins a d’autant plus multiplier les produits déversés. Désormais les produits chimiques (et toxiques) ont pris place dans la vie des habitants. Et surtout, parallèlement, les antifongiques tuent les prédateurs du scarabée rhinocéros du cocotier provoquant une nouvelle dévastation des plantations agricoles.

 

Pour aller plus loin :

BECKER Howard S., Les mondes de l’art, Trad. Fr. Jeanne Bouniort, Paris, Flammarion, 2010 [1988].

BRAYER Marie-Ange, ZEITOUN Olivier (dir.), La fabrique du vivant : mutations, créations, Paris, Orléans, les Éditions du Centre Pompidou, Editions HYX, 2019.

BRET Cyrille, « Les collections d’art contemporain à l’épreuve du vivant à travers quelques cas remarquables », Gradhiva, n° 23, 25 Mai 2016. [En ligne] URL : https://journals.openedition.org/gradhiva/3170 [consulté le 13/10/2021].

BRET Cyrille,  » Les conservateurs sont-ils des soigneurs ? Les artistes sont-ils des éleveurs ? », Intervention du 16 avril 2019 pour la journée d’étude « Plus vif que mort ! » organisée par l’association des élèves conservateurs de l’INP. [En ligne] URL : https://soundcloud.com/institut-national-du-patrimoine/les-conservateurs-sont-ils-des [consulté le 13/10/2021].

DE PAÏVA Joshua, « Les enjeux d’une rencontre avec l’animal dans un contexte artistique et muséal », Intervention du 16 avril 2019 pour la journée d’étude « Plus vif que mort ! » organisée par l’association des élèves conservateurs de l’INP. [En ligne] URL : https://soundcloud.com/institut-national-du-patrimoine/les-enjeux-dune-rencontre-avec?in=institut-national-du-patrimoine/sets/plus-vif-que-mort-lanimal-en-patrimoine  [consulté le 13/10/2021].

DESCOLA Philippe, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.

DUPRAT Hubert, Le miroir du trichoptère, Lyon, Éditions Fage, 2020.

TSING Anna L., Le champignon de la fin du monde : sur la possibilité de vie dans les ruines du capitalisme, Paris, La Découverte, 2017.

TSING Anna L., Feral Atlas. [En ligne] URL : https://feralatlas.supdigital.org [consulté le 13/10/2021].

 

Jeanne Dartois