Archive de décembre 2022

Matériaux

vendredi 16 décembre 2022

Lors de l’exposition The Sun Is My Only Ally,  nous avons remarqué la place prépondérante qu’occupent les matériaux dans l’ensemble des oeuvres d’arts de Charbel – Joseph H. Boutros.

Pour cela, en vue de la diversité et du nombre des matériaux (au sens large) présent dans cette exposition, nous les avons classé en 4 catégories perméables qui nous semblaient pertinentes en vu de notre propos : Matières vivantes – Matière Spatio-temporelle  – Support – et Intangible.

Pour la catégorie « Intangible » vous pourrez vous référer aux billets de blog sur le Soleil, le Rêve et «Rendre tangibles les émotions ». La catégorie matériaux support sera abordée par le billet de blog traitant de la scénographie. Notre propos se concentrera dans un premier temps sur les « Matières vivantes » et dans un second temps nous aborderons les matières dites « Spatio-Temporelles ». Pour finir nous conclurons pour voir dans quelle mesure les matériaux vivants et spatio-temporels participent à ses oeuvres.

 

« Matières vivantes » est une catégorie qui recense les interactions directes ou indirectes de l’artiste avec d’autres individus dont il s’est servi pour créer ses oeuvres avant, pendant et après l’exposition.

 

 

En effet, l’oeuvre de l’artiste consacre une part importante aux individus, et plus exactement, aux interactions. Elles se manifestent sous différentes formes tout au long de l’expérience. À commencer par l’oeuvre : The Exhibition Between Us. Ces 2 dalles de granit, immortalisent l’entrée du premier et du dernier visiteurs de cette exposition. Ce moment, de début et de fin, commun à toutes les expositions a été exploité ici comme prétexte à la réalisation de son oeuvre. A l’aide d’un sculpteur, il grave la première et la dernière interaction avec ses oeuvres dans ce lieu et son public. Ce jeu invisible, convoque 3 acteurs : le sculpteur, ainsi que 2 spectateurs à leurs insu.

La manière dont il a de s’emparer de la présence même d’individus sans pour autant qu’ils en soient avertis se retrouve à plusieurs reprises dans ses oeuvres. Amitié, une paire de chaussure Stan Smith en est le
symbole même. La chaussure droite, offerte par l’artiste à un de ses ami résidant à Beyrouth, a été portée durant 6 mois, avant de retrouver l’autre chaussure gauche : portée par l’artiste lui-même durant ces mêmes 6 mois. Elles se sont retrouvées pour l’exposition. Une oeuvre d’art, 1 protagoniste et 1 acteur.

Ce jeu qu’aime instaurer l’artiste avec l’humain se ressent plus concrètement à travers la scénographie et l’emploi obligatoire du catwalk par le personnel de l’exposition. Une mise en scène du personnel de l’exposition, participant à une mise en abîme d’une partie de sa démarche artistique : l’orchestration de certaines des ses interactions pour magnifier ses oeuvres.

 

L’artiste aime se jouer du temps qui passe, soit en le figeant ou en montrant son impact. Dans cette démarche, le temps et la géographie deviennet alors visibles et palpables.

Dans cette volonté de figer, de protéger les objets, l’artiste effectue un rituel à l’aide de cire, qu’il vient couler sur plusieurs de ses œuvres conservant précieusement l’objet témoin dans sa propre histoire.  Au cours de ces différentes expositions, il réalise de nouveau coulage sur ses objets ritualisant et amplifiant la création qui se voit renouvelée dans une nouvelle dimension.

Profondément attaché à ses racines. Cette cire prend une portée toute particulière pour Joseph H. Boutros, qui à travers elle nous fait part de son histoire. Elle provient de son lieu de naissance : Le Mont Liban, là où vit encore sa mère qui par sa croyance se rend régulièrement à l’Eglise et qui au sein même de la bâtisse prélève la cire des bougies votives. Ce matériau est en lui-même une représentation du temps pouvant se transformer d’un état liquide vers un état solide et inversement, un cycle symbolique dans sa temporalité.

Vous l’aurez compris, le temps, est une thématique majeure dans le travail de cet artiste. A contrario de chercher à protéger l’instant, Joseph H. Boutros laisse également ce temps filer pour créer des œuvres évocatrices, témoin du temps qui s’écoule.

C’est notamment le cas dans son œuvre « Three Abstractions on Three Histories » qui met en scène de façon palpable trois histoires et trois temporalités différentes. On peut y voir au-dessus de nos têtes, trois chemises d’hommes placées de façon chronologique. Comme suspendue dans leurs temporalités, leurs couleurs et leurs marques d’usures témoignent du temps qui les séparent. Ici encore l’artiste met en avant son ascendance avec la chemise de son grand père, de son père ainsi que la sienne. Cet ensemble se regroupe symboliquement en un même lieu et à un même instant dans une vision d’avenir.

Une œuvre qui pourrait dans son sens encore évoluer au fil du temps, en ces therme une œuvre qui peut ne pas encore avoir de fin. L’artiste évoque cette idée d’avenir dans ces œuvres notamment dans « The Exhibition Between Us » qui elle fait le lien entre passé et futur. Elle se compose de deux plaques de granit, qui dialoguent dans la scénographie qu’a choisi l’artiste. La première plaque qui apparait au yeux des visiteurs est gravée d’un nom « Saira » qui est en faite la première personne à avoir visité l‘exposition à Beyrouth. La deuxième plaque fait résonnance avec la première par son aspect vierge puisqu’aucune inscription n’est encore gravée à sa surface. Dans sa volonté et dans ce cycle, c’est alors le nom de la dernière personne qui entrera ici même à la Criée de Rennes qui s’y verra graver son nom.

 

En citant ces quelques œuvres et sa façon de travailler, il est singulier de voir à quel point l’artiste prend un soin particulier aux détails et aux significations . Dans la première partie, dédiée au vivant, nous avons pu voir que les interactions et les relations entre les individus sont des sources d’inspirations importantes dans l’ensemble de la démarche de création de Joseph H. Boutros. Retraçant ses histoires amoureuses, intimes, amicales et personnelles. Il inclus également sa propre relation avec son public. Plus rare encore pour un artiste, cette exposition est une confidence. Il partageant avec les visiteurs ses doutes ses échecs et ses rêves. Pour conclure sur la place des matériaux et leurs importances dans son processus artistique il est certain que le créateur met un point d’honneur à s’imprégner de ces expériences et histoires personnelles pour la réalisation de ses œuvres. S’attachant à l’immatériel, au spirituel tout comme au matériel. A travers son exposition The Sun Is My Only Ally (le soleil est mon ami) Il fait des différents matériaux qu’ils utilisent des outils d’expression à part entière racontant chacun des histoires évoquant le temps, l’espace et sa vision du monde.

 

 

 

Réalités imaginaires et objets oniriques

vendredi 16 décembre 2022

Comment l’exposition The sun is my only ally transpose les objets du quotidien dans une nouvelle réalité ?

Vouloir fuir la réalité et vivre dans un monde imaginaire n’est pas un rêve qui date d’aujourd’hui.
Dès le début du XXe siècle, les artistes surréalistes cherchaient à tout prix à fuir les visions horrifiques de la guerre, se réfugiant alors dans leur désir inconscient de liberté, leur imagination et leurs rêves. Face à l’histoire similaire du Liban, son pays natal, l’artiste contemporain Charbel Joseph H.Boutros nous propose de requestionner notre rapport au réel dans son exposition The sun is my only ally. Comme l’exposait Magritte avec “Ceci est une pipe”, l’exposition implique une relation entre un objet (ou plusieurs), son identification et sa représentation dans une réalité. Mais laquelle ?

Que croire ? Et à quoi se référer ? À ce que l’on voit ou au sens que l’on y met ? 


René Magritte, Ceci n’est pas une pipe, 1929

Sens donné et utilité figée
Les objets que l’on côtoie au quotidien, les plus insignifiants à première vue, sont présentés dans cette exposition comme de vraies œuvres d’art. De la chemise au verre d’eau, Boutros se la joue à la Duchamp en remettant l’art conceptuel des objets ready-made au goût du jour. Par la simple intervention de l’artiste, l’objet du quotidien est détourné en une oeuvre à admirer.


Duchamp, ready-made, 1917

Face à ces objets aux abords familiers, notre première réaction est d’y transposer notre vécu, nos souvenirs et l’usage que l’on en fait au quotidien. Boutros, lui, propose à travers l’exposition de ses objets personnels une allégorie du temps qui passe, notamment à travers son œuvre « Three Abstractions on Three Histories », qui met en scène trois chemises, apparemment similaires mais dont le temps a su y laisser une trace.
En les suspendant, l’artiste les rend inatteignables, importables et leur confère un statut d’œuvre d’art. Néanmoins, il y apporte du sens en évoquant un lien intergénérationnel entre chacune des chemises dont la couleur se dégrade petit à petit. C’est en cela qu’il se démarque de Duchamp.


Three Abstractions on Three Histories

Face à Boutros qui expose ces objets de voyage à l’usage unique et passé comme des oeuvres figées, Katerina Kamprani propose à travers sa collection « The Uncomfortable » des objets du quotidien créés délibérément pour être des objets inconvenants, inconfortables et inutilisables, dans le but d’interroger leur usage et de déconstruire la conception fondamentale des objets les plus simples.
Ces objets et ceux de l’exposition ont pour but commun de nous faire apprécier la complexité et la profondeur des interactions que l’on peut avoir avec chaque chose qui nous entourent.


Katerina Kampani, the unconfortable collection, 2017

Un exercice d’expérience

Maintenant que les objets du quotidien sont replacés dans le contexte de cette exposition contemporaine, le spectateur est invité à y laisser vagabonder son imagination et sa créativité. Charbel Joseph H. Boutros n’empêche pas cette errance et le fait de voir en l’objet un tout autre sens, car chacun vit à l’origine sa propre expérience, sa propre réalité.
Ainsi, en passant le seuil de la Criée, le visiteur endosse un nouveau statut qui est déconnecté de son quotidien et lui permet de s’ouvrir à d’autres perceptions plus oniriques, fictives et abstraites du réel.

Quelques éléments continuent cependant à le rattacher à la réalité, comme l’oeuvre « Amitié » qui est une paire de chaussures Stan Smith posée au sol par l’artiste près de l’entrée du musée, comme si elles venaient d’être portées puis enlevées. Ce modèle de basket iconique par sa forme et son design fait partie de notre décor quotidien, néanmoins il existe bien plus que l’esthétique autour de cet objet. En effet, l’artiste y a posé une intention et un attachement particulier. Elles portent le poids de son passé et celui de son ami, donnée imperceptible à l’œil nu. L’objet acquiert ainsi une charge émotionnelle, une valeur invisible et incarne une œuvre d’art unique, une histoire.


Amitié

L’idée conceptuelle matérialisée par l’objet est plus forte que l’objet exposé lui-même. Support de sens, les œuvres questionnent notre regard sceptique sur chaque élément. Face à « Untouched Marble », un jugement potentiel s’opère par l’idée pure et simple que se fait le spectateur: pourquoi un cube de marbre est-il posé sur un support à l’avant d’un vélo ?
Le véhicule à deux roues, contraint par ce bloc lourd qui n’a apparemment jamais été touché par un homme, accompagne l’artiste dans ses gestes quotidiens. Mais sa présence inhabituelle sur le vélo perturbe la compréhension de l’œuvre. Les deux objets non liés par leur sens si ce n’est par leur ancrage initial dans le monde réel deviennent, lorsqu’ils sont combinés ensemble, un seul et même élément significatif qui semble tout droit sorti d’un jeu de cadavre exquis.


Untouchable Marble

Aux premiers coups d’oeil, on ne s’imagine pas autant de complexité face à l’observation portée vers des objets aussi simples et communs qu’une paire de chaussures, un verre d’eau ou encore un lit. Alors, pour comprendre le sens de ces œuvres, faut-il vraiment se référer à ce que l’on voit ? Ou ne serait-ce pas mieux de faire plutôt confiance à ce que l’on ressent ?

La ou les réalités : Peut-on croire à ce que l’on voit  ?
Définition du réel : Qui existe véritablement
Définition de la réalité : Aspect physique des choses.
                                    Manifestation concrète, contenu (d’un processus, d’un événement)

Il est donc évident que l’exposition interroge notre rapport au quotidien, au réel. Elle nous invite à voyager et à imaginer l’histoire de l’artiste à travers des objets manifestes, relatifs à son histoire, son vécu et des éléments qui renvoient à ses relations (intimes, professionnelles, filiales), son travail et ses propres voyages réels ou même imaginaires. Avec la volonté de créer des objets mémoriels, l’artiste interroge les possibilités de figer des souvenirs, des moments de son passé pour pouvoir les conserver et en garder une trace.

Dans « Night Cartography #3 », de la cire provenant de bougie votive est versée sur un masque de nuit d’avion, utilisé par l’artiste pour dormir plusieurs mois. La cire de bougie est un matériau récurrent et symbolique du temps figé dans lequel l’artiste plonge de nombreux objets de la vie courante. Provenant d’un lieu religieux, cette cire confère aux objets enduits une nouvelle charge invisible porteuse de souhaits, ainsi que des rêves, émotions et souvenirs de Boutros.


Night Cartography #3

Mais la cire de nature fragile est contrainte à être coulée à nouveau sur les objets à chaque déplacement de l’exposition. Cette restauration régulière transitoire expose l’enveloppe des objets pendant un instant puis les remet dans un état figé, second et endormi lorsqu’ils sont recouverts. Devenus des archives du sommeil et de la nuit, ces objets s’ancrent petit à petit dans le domaine du rêve, considéré par l’artiste comme un matériau invisible qui permet un moment d’évasion dans une autre réalité.

Une ou plusieurs réalités semblent finalement se dégager de l’exposition : celle de la réalité quotidienne de tout le monde, celle à laquelle on se confronte face aux objets de l’exposition et celle de Boutros qui en découle. Cette dernière est la plus intrigante car elle nécessite de comprendre la volonté, la démarche et le sens donné derrière chaque objet pour connaître les détails de la vie de l’artiste. Les objets d’une temporalité passée, recontextualisés dans une autre réalité qui n’est pas celle d’origine et dans laquelle ils sont inutilisables, deviennent des objets oniriques, presque sacrés par leur matériau et la manière d’être exposés.

Peut-on croire à ce que l’on voit ?
En contemplant l’exposition, on peut effectivement se poser une question : faut-il croire et faire confiance à cette nouvelle réalité proposée par l’artiste ? Il semble à première vue que ces objets constituent des traces et témoins mémoriels d’une histoire passée qui s’est réellement déroulée, mais leur ancrage dans la réalité intrigue.

En mêlant des éléments du réel et du rêve, l’intérêt de l’artiste est de changer autant sa propre perception de la vie que la nôtre. Il est tentant de vouloir s’identifier aux objets qu’il nous présente à travers l’exposition car ils sont utilisés dans le quotidien de tous. Mais ici, ils sont comme transformés, la relation que l’on entretient avec eux devient particulière, perturbée et il est donc plus difficile de s’y rattacher personnellement.

À la manière des cabinets de curiosité, Charbel-Joseph fait de ses objets quotidiens des sortes de vanités curieuses, précieuses et symboliques du temps à laquelle on s’attache au cours de la vie et que l’artiste met à distance dans une réalité qui semble intangible.


Philippe de Champaigne, Vanités, XVIIe siècle

Mais alors, que croire ?
Lorsque l’on lit un roman, on se fait chacun notre propre histoire, nos propres images mentales, on s’approprie le récit que nous fait l’écrivain. The sun is my only ally est le roman de Charbel Joseph Boutros, il y présente des bribes de son existence, à travers sa sensibilité singulière et l’importance de la matérialité. Nous romançons tous notre vie, d’une manière ou d’une autre, certains prennent des photos, d’autres filment leur quotidien. Chacun ressent le besoin de magnifier plus ou moins fortement sa réalité et cela peut prendre plusieurs formes. Tout comme chacun ressent plus ou moins le besoin de l’exposer. Entrer dans la réalité d’une tierce personne peut parfois paraître intrusif, à nous de s’ouvrir ou non à celle-ci.

Finalement, chaque objet de l’exposition, même s’il est lié à une histoire commune, retranscrit une réalité qui lui est propre. Boutros ne cherche pas la représentation du réel mais plutôt à le transfigurer et le dépasser, à aller au-delà de la matérialité des objets et à porter davantage une attention sur le sens de ceux qui nous entourent et que nous utilisons. Il remet en doute leurs usages dans la vie courante à travers ceux dans l’exposition et c’est cela qui peut nous faire douter quant à leur ancrage dans la réalité. Un vrai engagement personnel de la part du spectateur s’impose alors, quant au fait de croire ou non aux histoires racontées à travers les objets de Boutros. Ainsi, si l’on veut réellement comprendre l’histoire, la nature et le sens des objets exposés, il faut donc lui faire confiance.

Après tout, n’est-ce pas ce que l’on peut venir chercher dans une exposition contemporaine, c’est-à-dire de nouvelles perceptions du réel qui nous poussent à la réflexion ?
Derrière les œuvres de Boutros se cache un récit dont il ne tient alors qu’à nous d’y croire ou non.

Amandine Lemaire et Juliette Mathieu

La manifestation du rêve

vendredi 16 décembre 2022

 

À la limite entre rêve et réalité Charbel-Joseph H. Boutros aime créer des mondes paraissant insaisissables, qui semblent retenir aussi bien la lumière que la nuit, le soleil, que la lune, mais aussi et surtout, les rêves. Il arrive ainsi à donner au rêve une certaine matérialité, une esthétique, à en faire une expérience… Nous allons donc observer comment le rêve se manifeste dans le travail de Charbel-Joseph H. Boutros.

 

Le rêve, distorsion du réel

Généralement quand nous parlons de rêve, nous faisons allusion à la nuit, au sommeil. Rêver serait alors une dimension dans laquelle tout est permis, un espace sans limites, où tous repères cartésiens n’ont plus leur place, où chaque rêve peut être un scénario absurde.

Boutros joue avec ces codes, quand le spectateur entre dans la pièce il fait face à une scène presque irréelle, qui tiendrait du rêve. Chaque objet disposé lui est inconnu, et semble imaginaire s’il ne s’accompagne pas d’explications. La déambulation imposée aux médiateurs de la Criée joue également un rôle primordial. Un catwalk fait le tour de la pièce, allant de l’entrée au fond de l’espace, et oblige ainsi les médiateurs et médiatrices à se retrouver comme mis sur le devant de la scène. Même en voulant rester discrets, ils se retrouvent surélevés. On assiste alors à une sorte de défilé non désiré, qui se révèle être un passage obligé. L’artiste nous invite ainsi à oublier tout ce que nous savons de l’organisation et des codes d’un espace d’exposition, pour redistribuer les cartes, repenser le lieu, sa circulation ainsi que la place des personnes qui y travaillent. 

De plus, en nous proposant des œuvres aux matériaux surprenants, à l’histoire étonnante, ou encore avec une part de spiritualité prenante, l’artiste se joue du spectateur, et distord le réel, pour lui faire voir avec poésie, ce qu’il n’avait possiblement pas vu jusqu’ici.

Charbel-joseph H. Boutros, vue de l’exposition The Sun Is My Only Ally, 2022 courtesy de l’artiste, Grey Noise, Dubaï, Jaqueline Martins Gallery, São Paulo, Bruxelles, Vera Cortês, Lisbonne – photo : Aurélien Mole

Charbel-joseph H.Boutros, I Guess That Dreams Are Always There, 2022 production : La Criée centre d’art contemporain courtesy de l’artiste et Grey Noise, Dubaï photo – Julie Kervévan

Pour Charbel-Joseph H. Boutros, rêver revient également à pouvoir s’échapper du réel, à se mettre en retrait, à prendre de la hauteur. Avec I Guess That Dreams Are Always There, un lit placé à une hauteur vertigineuse, l’artiste brouille les pistes. Ce lit inaccessible est-il fait pour que l’on y reste indéfiniment ou bien pour qu’il ne soit pas atteint ? 

Le placer si haut revient à le placer comme au-dessus du réel, comme si l’on surplombait ce qu’il se passe plus bas, comme si l’on était plus près des rêves. S’éloigner de la réalité, c’est se laisser sombrer dans l’imaginaire, peut-être même dans un sommeil profond, nous pourrions alors y passer une vie entière, ne jamais redescendre de ce lit, vivre une vie faite de rêves. Avec cette œuvre, l’artiste souhaite échapper à la réalité en proposant une poétique loin de notre quotidien.

 

Le rêve comme expression d’une spiritualité

Par ailleurs, dans le travail de Charbel-Joseph H. Boutros, le rêve se manifeste comme l’expression d’une forme de spiritualité. En effet, au-delà de la forme matérielle de ses œuvres, il revendique la présence d’une charge invisible. Celle-ci est même mentionnée dans la liste des matériaux des cartels.

Charbel-joseph H. Boutros, Night Cartography #3, 2016-2019 masque de nuit d’avion, cire de bougie votive, rêves, souhaits courtesy de l’artiste et Grey Noise, Dubaï – photo : Julie Kervévan

Par exemple, l’œuvre Night Cartography #3 est composée d’un masque d’avion, de cire bougie votive, de rêves et de souhaits. La cire, matériau majeur de l’exposition, provient des bougies d’une église libanaise. Selon l’artiste, elles seraient imprégnées des souhaits des personnes qui les ont allumées. Ainsi, la cire devient un moyen de figer ces pensées impalpables. Pour Night Cartography #3, elle a été versée sur un masque de nuit d’avion avec lequel l’artiste a dormi plusieurs mois. La rencontre de ce masque imprégné des rêves de Boutros et de la cire qui fige les souhaits des croyants implique une réflexion autour d’une spiritualité individuelle et commune. Cela questionne la possibilité de partager nos pensées, nos croyances et nos rêves. La démarche de l’artiste joue sur cette tension entre le visible et l’invisible. En effet, la plupart des œuvres exposées résultent d’une intervention antérieure souvent imperceptible par le spectateur, comme le fait d’avoir dormi avec le masque de nuit. Ainsi, le visiteur est libre de croire ou non à cette présence spirituelle. 

 

Faire l’expérience du rêve

Enfin, Charbel-Joseph H. Boutros ne fait pas état du rêve comme d’une finalité, il invite à le considérer comme une expérience.
Cette invitation à l’expérience du rêve est d’abord littérale. En effet, dans la « Salle sommeil » la commissaire d’exposition et le régisseur de La Criée sont autorisés à faire une sieste dans le lit qui occupe la pièce. Il tient à cœur à Charbel-Joseph H. Boutros d’entretenir une relation privilégiée avec les personnes menant à bien son exposition, c’est pourquoi le fait de leur permettre d’y dormir (et donc de rêver) est inattendu et permet de les inclure à la vie de ses œuvres et de l’exposition.

Charbel-joseph H. Boutros, Night Archive, 2020 couverture en coton, No Light in White Light, Night Cartography, Night of 21/09/15, 2011-2020 (mine et acrylique en spray sur papier blanc, cadre), chaleur, obscurité courtesy de l’artiste et Grey Noise, Dubaï – photo : Julie Kervévan

En donnant à voir cette expérience, Charbel-Joseph H. Boutros propose une vision intime du quotidien de chacun. Il ne s’agit alors pas simplement de montrer les rêves de quelqu’un, mais de ressentir une partie de sa personnalité, les pensées qui traversent son inconscient, afin de les faire devenir des œuvres d’art à part entière. Avec Night Archive, il répertorie ses heures de sommeil en un tableau, permettant de visualiser les temps propices au rêve. Il insiste alors ici sur l’expérience du sommeil menant au rêve plutôt qu’à sa finalité.

 

Charbel-joseph H. Boutros, Night Archive, 2020 couverture en coton, No Light in White Light, Night Cartography, Night of 21/09/15, 2011-2020 (mine et acrylique en spray sur papier blanc, cadre), chaleur, obscurité courtesy de l’artiste et Grey Noise, Dubaï – photo : Aurélien Mole

Charbel-joseph H. Boutros, No Light in White Light, Night Cartography, Night of 21/09/15, 2011-2020 mine et acrylique en spray sur papier blanc, cadre courtesy de l’artiste et Grey Noise, Dubaï photo – Aurélien Mole

Mais là où la vision de Charbel-Joseph H. Boutros dépasse les conceptions du rêve traditionnel, c’est qu’il envisage également le fait que les objets, inanimés, puissent rêver aussi. Accordant un soin particulier au transport et mystifiant le trajet de ses œuvres, il choisit notamment d’exposer la couverture de protection du tableau de Night Archive (la couverture en coton est d’ailleurs elle-même inclue dans l’œuvre). Et bien que les autres artefacts de l’exposition ne soient pas directement reliés à la notion de rêve, le simple fait pour le spectateur d’envisager que ces derniers puissent en avoir augmente leur portée symbolique.

Nina Housset, Alexandre Créquer et Julie Kervévan

OUR SUN : Cet astre qui (nous) influence tant

vendredi 16 décembre 2022

L’aube : le soleil, un matériau mystique qui fascine les artistes

La Criée nous propose l’exposition de Charbel-Joseph H. Boutros intitulée The sun is my only Ally qui rassemble un ensemble d’œuvres abstraites et poétiques qui créent un espace dans lequel des éléments habituellement insaisissables tels que le rêve ou le temps, deviennent ici tangibles. Le soleil semble alors venir ici comme un guide qui vient influencer la plupart des œuvres de l’artiste par ses propriétés matérielles et mystiques, lui imposant même parfois des contraintes. Il est donc intéressant de se demander en quoi le soleil, par son absence ou par sa présence, influence les œuvres de l’artiste ?

En effet, depuis la nuit des temps, le soleil fascine les gens par le pouvoir cosmique, intemporel et naturel qu’il dégage et qui est à l’origine de nombreux mythes et croyances. Selon la civilisation, il incarnera des rôles différents mais il reste le seul astre avec la Lune, à avoir été doté de traits humains dans les représentations religieuses ou savantes. 

Le soleil inspira de nombreux artistes classiques et néo-impressionnistes pour ses effets de lumière et plus tard, les artistes contemporains se réappropriront ses qualités symboliques et poétiques. Ainsi, Charbel-Joseph H. Boutros utilise toutes les facettes du soleil au sein de ses œuvres. Effectivement, il utilise des propriétés telles que la chaleur, la lumière et la temporalité qui viennent parfois modifier un matériau, dicter ses œuvres ponctuellement ou au contraire faire partie intégrante d’une performance.

Boutros n’est pas le seul artiste contemporain à utiliser et mélanger les propriétés physiques et symboliques de cet astre. En effet, le plasticien Olafur Eliasson porte un grand intérêt à la lumière et joue avec ses effets, ses couleurs, en utilisant des formes géométriques et des déformations pour donner une dimension narrative. Il crée une interaction physique entre les spectateurs et l’installation. Il est connu pour proposer des installations mettant en lumière des phénomènes naturels.

Nous pouvons citer par exemple son œuvre intitulée “The Weather Project” qu’il créa en 2003. Il a fait la reconstruction d’un élément de la nature, ici un coucher ou lever de soleil, évoquant chez les spectateurs des émotions diverses. La réaction du public face à cette installation est surprenante, certains contemplent ces phénomènes comme dans la nature, d’autres encore se couchent par terre et jouent avec les formes, et d’autres admirent leurs reflets la tête en bas et accèdent à une autre dimension.

Olafur Eliasson, The Weather Project, 2003

 

Le zénith : comment l’artiste exploite le soleil 

Charbel-joseph H. Boutros, Days Under Their Own Sun, 2013-2016
feuilles de calendrier libanais, soleils

Phénomène de la décoloration

Days Under Their Own Sun, est trois feuilles de calendrier libanais exposées à la lumière et aux rayons du soleil selon où se trouve géographiquement l’artiste. Par leur exposition aux soleils du monde (le soleil de Beyrouth et celui de Paris par exemple), ces trois feuilles se ternissent, se détendent. Ici l’artiste fixe des règles, une démarche à suivre (une fois par jour, exposer une feuille à la lumière du soleil).

Son allié le soleil l’accompagne dans sa création et agit directement sur son œuvre. Par sa démarche, Charbel-Joseph H.Boutros évoque autant le passage du temps à l’échelle humaine par l’utilisation d’un signe iconique (le calendrier) que la relation du temps avec le soleil (cycle éternel jour/nuit). Un phénomène qui a tendance à être perçu comme particulièrement gênant au quotidien et qui peut “ternir la beauté” des objets auxquels nous tenons, semble être réinterprété par l’artiste. La trace laissée par le soleil évoque ce phénomène lent, mais pourrait témoigner poétiquement le temps qui passe et l’influence du soleil sur l’être humain et le monde vivant. 

Ce rapport entre le temps et le soleil se retrouve subtilement dans l’œuvre Three Abstractions on Three Histories. Ici l’artiste suspend trois chemises blanches, une des chemises est terne, jaunâtre, une autre semble être neuve, puis la troisième est un entre-deux. Cette œuvre est intergénérationnelle, les chemises appartiennent au grand-père de Charbel-Joseph H.Boutros, son père et l’artiste lui-même. On retrouve comme le nom de l’œuvre l’indique trois abstractions et trois histoires, d’un lien paternel créé par une exposition au soleil variant de l’échelle d’une vie à ce qui pourrait être quelques années voire quelques mois.

Charbel-joseph H. Boutros, Three Abstractions on Three Histories, 2016
trois chemises blanches, structure métallique

Caractéristiques physiques (thermiques, chaleur)

Tout comme le phénomène de décoloration, la chaleur du soleil est aussi présente dans l’exposition. If Close to the Sun a Drop May Fall, est une cassette de musique extraite de sa bobine, couverte de cire de bougie votive ainsi que des souhaits. Autant que la cire, le soleil semble suspendu, l’œuvre pourrait être une action en attente d’un événement déclencheur. On pourrait imaginer alors que si on approche la cire et la cassette du soleil, l’œuvre prendrait un autre sens, d’autant par la matière sensible à la chaleur qui est la cire. On pourrait tracer des parallèles avec la légende d’Icare aux “dangers” mais surtout les répercussions de la chaleur du soleil. Un certain équilibre de la distance semble être évoqué dans l’œuvre.

Charbel-joseph H. Boutros, If Close to the Sun a Drop May Fall, 2019-2020
bobine d’une cassette, album de musique, cire de bougie votive, souhaits

 

Le crépuscule : l’absence du soleil comme approche créative

Charbel-joseph H. Boutros, NO LIGHT IN WHITE LIGHT, 2014
vidéo, 11 min

« Pense l’obscurité autant comme une expérience physique qu’un espace physique. L’obscurité efface nos différences, efface le temps, efface le présent. »

Charbel-joseph H. Boutros, extrait du communiqué de presse sur l’exposition « Crisis Practice », juin 2013, Workshop Gallery, Beirut (LB).

Selon la définition du Larousse, le crépuscule correspond à une lumière faible et incertaine qui subsiste après le coucher du soleil avant que la nuit ne tombe complètement. Dans les œuvres de l’artiste, la tombée de la nuit est très présente. Il joue de cette lueur atmosphérique en déclin et exploite le début de la pénombre. 

No Light in White Light est une vidéo de onze minutes qui exploite ce déclin lumineux du coucher de soleil. Cette vidéo montre un prêtre syriaque en pleine lecture de la Genèse dans une forêt au Liban, filmée dans les dernières minutes avant la tombée de la nuit. Ainsi, la lecture devient de plus en plus difficile pour le prêtre puisque les mots tombent les uns après les autres dans l’obscurité. Lorsque les mots du livre se plongent dans la pénombre, la blancheur des pages se voit d’autant plus, laissant apparaître une lueur assez intense dans cette obscurité fortement présente. L’exploitation de la tombée de la nuit est dans cette vidéo très intéressante, et il faut réellement regarder les onze minutes pour se rendre compte de ce doux contraste qui devient de plus en plus prononcé.

Une autre œuvre filmée joue avec la lueur du coucher de soleil, c’est Three songs, three exhibitions. Dans cette vidéo, un luthier joue trois mélodies avec trois bouzouks différents, assis sur une chaise dans une forêt. Il joue une première mélodie puis range le premier bouzouk pour aller chercher le deuxième et ainsi de suite. Je pense que la faible luminosité permet de se concentrer d’autant plus sur la musique jouée. Les trois bouzouks représentent chacun le portrait d’une exposition passée réalisée par l’artiste. Le premier est marron clair, le deuxième est rayé marron clair et marron foncé et le dernier est entièrement marron foncé. J’y vois dans ces couleurs une allusion à la tombée de la nuit, qui commence en étant encore claire, puis s’assombrit pour enfin devenir totalement obscure.


mine et acrylique en spray sur papier blanc, cadre

Dans l’œuvre, No light in White Light / Night Cartography, l’artiste rassemble ses nuits de 2011 à 2020. Chaque heure passée à dormir est effacée par un spray d’acrylique noir, et chaque nuit donne lieu à un nouveau dessin. Ce tableau se transforme en un journal des nuits de l’artiste, qui se concentre alors sur son sommeil, et le montre comme une activité productive. Je vois dans cette œuvre, avec ce point noir au milieu, un contraste avec les “nuits blanches”, les nuits où l’on ne trouve pas le sommeil, où on ne dort pas. Cette œuvre est installée dans une salle de repos dont les volets sont presque fermés en entier, et est disposée au-dessus d’un lit, qui permet notamment aux membres de la Criée de pouvoir s’y reposer de temps en temps.

Enfin, l’œuvre 2m Long of Isolated Darkness est un tube métallique vide entouré d’une mousse d’isolation pour plonger ce dernier dans l’obscurité. Entouré dans cette forme, le tube est isolé thermiquement et phoniquement de l’exposition. Ici, le fait d’être dans la pénombre fait écho avec l’importance que donne l’artiste au rêve, au sommeil, à ce temps de repos créatif.

Clara Boussuge, William Mallender, Emma Kaleta

 

Géographie : « The Sun is the only Ally »

vendredi 16 décembre 2022

Géographie : « The Sun is the only Ally »

 

Au travers de son exposition « The sun is my only ally » Charbel-Joseph H. Boutros nous ouvre les portes de son voyage, de sa géographie et nous implique directement dans son parcours et ses mouvements.

Quelles sont les dimensions géographiques abordées au travers de l’exposition « The Sun is the only Ally ? » Comment l’auteur les caractérises t’elles ?

La notion de géographie est imposée dans l’exposition à toute les échelles. Une dimension géographique  est un rapport entre un être humain et des espaces. C’est une dimension dans laquelle s’organise et vit l’homme allant de son environnement et sa temporalité .       

Il existe différentes dimensions géographiques, certaines sont « palpables » :un lieu défini, existant, cartographié… et certaines sont « impalpables » : géographie temporelle, du rêve, de l’imaginaire…

L’auteur, fasciné par ces géographies veut également souligner la notion de mouvement qui les lies entre elles. Comment se déplacer entre ces géographies, qu’est ce qui les rejoint ? Par quels moyens ? 

 

I . Géographie Internationale

Dans cette exposition les dimensions géographiques internationales prennent une importance considérable. On retrouve plusieurs oeuvres aux histoires originales alliées à des origines qui amènent le spectateur à voyager. Le Brésil, le Liban, la Belgique, la Grèce et bien d’autres pays font de cette exposition bien plus qu’une simple démonstration d’objets de tous les jours, mais bel et bien un moyen de voyager à travers les différents témoignages et les multiples facettes de ses objets particuliers. En effet chaque objet intègre une dimension de voyage, d’excursion et/ou de déplacement.

On retrouve beaucoup la cire dans les oeuvre de Charbel Joseph H.Boutros. Ce matériaux qui permet à l’auteur de figer les objets dans le temps est lui aussi réfléchis de manière à faire voyager le spectateur. En effet cette cire si particulière provient d’une église au Liban c’est encore une fois un moyen pour l’auteur d’emmener le visiteur dans son pays d’origine et de les faire voyager à travers son univers.

D’autres objets intègrent à la fois l’intime et cette notion du voyage international. «Life Variation The marble, The Ring and The continents » est une représentation d’une période intime de l’auteur durant laquelle il a pu voyager et construire de nombreux sentiments. Ses stèles qui, à première vue, ressemblent à un cimetières sont en réalité la représentation des différents voyages qu’il a pu faire accompagner de son ex compagne. Les différents morceaux d’anneaux sont eux une image de la rupture de l’auteur avec cette partie de son histoire intime. La provenance des différents marbres est un parallèle avec les différents pays qu’il a pu visiter avec son ex compagne : La Belgique, La Grèce, La France, Le Brésil et le Liban.

L’une des oeuvres les plus démonstrative de ce coté voyageur de Charbel Joseph H.Boutros est l’oeuvre « Drink Europa » un verre mélangeant l’eau des 27 pays européen. C’est une représentation parfaite du voyage de l’auteur, mais aussi un moyen de condensé ces 27 pays qui constituent l’Europe en un simple objet du quotidien.

Drink Europa The marble, the ring and the continents

II . Géographie de l’exposition

L’artiste va jusqu’à cartographier sa propre exposition. Il met par exemple en place un « Catwalk » (œuvre n°2) sur lequel le personnel du centre de La Criée doit marcher pour se déplacer. Le personnel ne doit jamais fouler le sol de l’exposition.

Il joue également sur les hauteurs, les niveaux , choisit d’isoler certaines pièces et impose des mouvements et des directions inhabituelles aux visiteurs… l’exposition et les œuvres prennent en considération le contexte qui les entourent.

Par exemple l’oeuvre « I Guess That Dreams Are AlwaysThere » (œuvre n°11) qui prend la forme d’un lit est positionnée très haut et oblige le visiteur a modifier sa ligne de vue. Il est également possible de passer à côté de certaines œuvres ou de ne pas les voir dès le début,  C.J.H.B renforce cet « aléatoire » de l’exposition.

catwlak

 

III . Géographie de l’intime

A . L’intime à travers le temps

L’auteur exprime à travers ses œuvres des sentiments profonds, relatifs à son intimité, à ses souvenirs, à son passé… L’exposition reflète une cartographie de ses souvenirs et de son intimité.

La notion de temps semble être importante pour C.J.H.B. Le temps qui passe, qui laisse une trace .Cette notion de temporalité est quasi présente dans toutes ses œuvres .

Nous retrouvons dans « Days Under Their Own Sun » (œuvre n°10) une géographie de l’instant. Les feuilles du calendrier libanais ont toutes été exposées au soleil sur le même créneau mais à des jours et des lieux différents. Les teintes s’en voient variées, il a réussit à « mettre sur papier » cet instant.

Un second exemple de temporalité est celui de l’oeuvre « Life variation » (œuvre n°6). Il s’agit d’un bloc de béton dans lequel l’artiste a disposé une pastèque. Le béton a séché, la pastèque a laissé sa trace et l’artiste a retiré le fruit. Seules trois graines de pastèques restent au fond du creux. Symbolisant les organismes vivants qui évoluent, qui croient et qui périssent. Le cycle se renouvelle infiniment. La présence de graines d’une prochaine pastèque semble rendre cette oeuvre éternelle, comme cyclique.

Enfin nous retrouvons l’oeuvre « Amitié » (œuvre n°7) qui se compose de deux baskets (Stan smith). L’une d’elle a été portée par l’artiste lors de ses voyages en Europe et la seconde par son ami vivant à Beyrouth pendant 6 mois. Il les réunit pour l’exposition. L’usure des chaussures, leur teinte, leur forme exprime cette temporalité propre aux deux hommes qui paraissent si loin et en même temps si proches quand on est face à l’oeuvre.

Days under their own sunAmitié

B. L’intime à travers le rêve

L’auteur tente également de cartographier l’univers du rêve par le bais d’une représentation géographique. Par exemple (l’oeuvre n°17), « Night Archive » tente de représenter par la peinture la quantité de rêve durant un cycle de sommeil. Cette représentation poétique permet à C.J.H.B de proposer aux visiteurs, une immersion dans le monde des rêves du personnel du centre d’art. Toujours dans cette recherche de permettre aux visiteurs de voyager, cette fois il s’intéresse au monde du rêve et tente de plonger le spectateur dans le monde intime des autres.

Night Archive

 

Conclusion

L’auteur va plus loin dans la recherche de géographie, en tentant même de créer un espace impalpable, invisible, isolé de tout, avec son oeuvre « 2m Long of Isolated. »

Pour C.J.H.B la géographie semble essentielle jusqu’à la vente de ses œuvres. Par exemple, l’artiste désir séparer les cinq stèles de marbres lors de la vente, de sorte à ce qu’elles soient emportées dans différents pays.

On retrouve plusieurs point impactant dans l’exposition de CJHB qui tournent particulièrement autour des dimensions géographiques. La dimension du voyage prend aussi une place importante et l’auteur partage cet intérêt tout en essayant de faire voyager le visiteur lui-même.

Il exprime des géographies à différentes échelles certaines plus terre à terre, d’autres plus impalpables, invisibles.

CJHB expose ici son expérience de voyageur et de sa vie intime.

2m Long of isolated Darkness

 

Decourcelles Clément, Nouadje Thibô, Delaporte Mona

Quotidien et émotions

vendredi 16 décembre 2022

Une plongée dans l’œuvre de Charbel-Joseph h. Boutros est proposée à la Criée. L’artiste libanais nous offre une porte ouverte sur sa vie avec son exposition The Sun is my Only Ally. Dans ce court écrit, nous tenterons de mettre en évidence la manière dont ses œuvres communiquent sur les émotions et sur le quotidien de l’artiste. Pour cela, nous analyserons les moyens employés par l’artiste dans ses œuvres. Nous porterons attention à la scénographie et à ce qui est perceptible sans informations complémentaires. Puis, nous nous attacherons aux titres de certaines œuvres, aux cartels et à leur sémantique. Enfin, nous ferons un parallèle entre le travail de Charbel-Joseph H. Boutros et celui du photographe Monsieur Bonheur. 

 

Tout d’abord, lorsqu’on rentre dans l’exposition, le placement de quelques œuvres peuvent nous évoquer la maison, qui serait ici celle de l’artiste. Proche de l’entrée, sur la droite près du mur, une paire de chaussures Stan Smith est présente. L’artiste à sans doute voulu exprimer l’habitude qu’il peut avoir à retirer sa paire de baskets à l’entrée de sa maison. Ensuite, tout à gauche de l’entrée dans le coin, trois chemises sont maintenues à l’aide d’un cintre sur un support métallique accroché au mur. Cette œuvre peut nous évoquer cette fois-ci le dressing de l’artiste. Si nous levons la tête, il est possible d’observer un lit suspendu qui peut faire partie de l’étage supérieur invisible de sa maison. Puis, un vélo est observable. Il peut appartenir à l’artiste. Enfin, une petite salle dispose d’un autre lit avec un verre d’eau posé sur une table de chevet. La disposition des œuvres dans cette salle donne l’impression d’une chambre reconstituée. Par ailleurs, la commissaire de l’exposition est autorisée à dormir dans ce lit. L’ensemble de ces choix scénographiques nous rappelle la maison en plus des œuvres qui sont pour la plupart des objets quotidiens : couettes, coussins, basket, chemises, vélo.

 

Charbel-Joseph H. Boutros nous livre des œuvres très personnelles, proches de son quotidien et de son vécu. Il utilise différents procédés pour faire apparaître son ressenti et ses émotions et questionner le visiteur à ce sujet.

Certaines de ses œuvres agissent comme des témoins de ces émotions, par exemple « Amitié » est constitué de deux chaussures Stan Smith séparées puis portées pendant six mois par l’artiste et son meilleur ami, au bout des six mois elles ont été réunies à nouveau. Ces chaussures ont acquis une nouvelle fonction, celle d’un souvenir de l’Autre. En les unifiant elles deviennent un souvenir de cette aventure grâce aux vécus visibles sur ces dernières. « Three Abstractions on Three Histories » est une autre de ces œuvres témoins, elle réunit trois chemises, ayant chacune appartenu à l’artiste, son père et son grand-père. Ces trois chemises alignées nous rappellent le passage du temps et le lien entre ces individus. Cette œuvre va plus loin et raconte aussi l’histoire du Liban et les épreuves que ses habitants ont dû endurer.

Charbel-Joseph H. Boutros questionne aussi notre rapport aux émotions et aux objets avec par exemple « Untouched Marble ». Cette installation nous expose deux cubes de marbre, un que seul l’artiste a touché et vécu avec pendant un mois et un autre que personne n’a jamais touché. Les deux cubes sont similaires en apparence et seule la scénographie permet de les distinguer, celui touché par l’artiste est posé sur le porte bagage d’un vélo tandis que l’autre est laissé par terre. On comprend donc que les émotions liées aux cubes restent invisibles à nos yeux et c’est au spectateur d’accepter ou non de croire à cette histoire.

Dans un autre registre, « Three Songs, Three Exhibitions », nous présente trois bouzouks en bois, chacun représentant le portrait d’une exposition réalisée par l’artiste, le luthier a joué sur chacun d’entre eux une mélodie, chaque mélodie et joué aux heures du coucher du soleil à Rennes, Gand et Beyrouth. Ces trois bouzouks ne sont pas, comme mentionné plus haut, des témoins de ces expositions mais ils représentent un instant dans le temps qui est lié à un souvenir de l’artiste. L’œuvre est chargée d’un sentiment de mélancolie sans pour autant avoir été le témoin de ces évènements.

 

Finalement, le travail de Charbel-Joseph h. Boutros peut être rapproché de celui du photographe Monsieur Bonheur. Bien que leurs pratiques artistiques soient différentes, les deux artistes portent une attention particulière au quotidien. Monsieur Bonheur de son vrai nom Marvin Bonheur prend en photo la banlieue parisienne et ses rencontres. À travers son travail, il souhaite donner une autre image aux villes des banlieues parisiennes dans lesquelles il a grandi (Aulnay-Sous-Bois, Bondy). Au même titre que Charbel-Joseph H. Boutros qui lui aussi utilise des éléments de son quotidien pour la réalisation de ses œuvres.

 

Alves Miguel

Wauquier Nao

Dévoiler l’intime

vendredi 16 décembre 2022

DÉVOILER L’INTIME

L’intime constitue l’essence d’un individu, et se rattache à tout ce qu’il y a de plus personnel en lui. Généralement, cet aspect reste de l’ordre du privé et est préservé des curiosités indiscrètes.

Dans son exposition The Sun Is My Only Ally présentée à la Criée, l’artiste Charbel-Joseph H. Boutros prend cette notion à contrepied en nous dévoilant plusieurs de ses aspects.

I. L’intime de l’artiste

Ses origines

À travers les œuvres présentées, l’artiste nous livre d’abord son propre intime, en mettant en avant une partie de son histoire.

Né au Liban en 1981 dans une région chrétienne à une époque de tension au sein du pays, l’artiste a vécu dans un contexte marquant, frappé par la dureté de la réalité. Aujourd’hui, l’artiste vit entre Beyrouth et Paris, et ses origines font partie intégrante de ses œuvres. 

Plusieurs lieux du Liban marquant sa vie se retrouvent dans le contexte de certaines œuvres. Nous pouvons citer notamment le Mont Liban, où à été tournée la vidéo « NO LIGHT IN WHITE LIGHT », dans laquelle un prêtre syriaque lit la Genèse en araméen. Ce rapport fort à la religion est aussi lié au contexte dans lequel a grandi l’artiste, et se retrouve également dans certains des matériaux utilisés, comme la cire qui provient de cierges du Mont Liban où sa mère se rend souvent pour prier.

Ses proches

À travers son exposition, Charbel-Joseph H. Boutros entretient un lien familial fort. Ses œuvres, en plus d’être ancrées dans ses origines, mettent en avant ses proches à travers différentes œuvres. Nous pouvons ainsi retrouver un aspect intime et brut que l’artiste retranscrit à travers son exposition. À travers l’œuvre « Life Variation #3, The Marble, The Ring and The Continents », le spectateur peut observer un anneau brisé en cinq morceaux répartis sur cinq stèles de granit. Cet anneau est celui d’une ancienne union entre l’artiste et sa femme. Cette œuvre reflète l’intime d’un amour brisé, que Charbel Boutros expose à la vue de tous.

L’artiste met également sa famille en avant à travers cette exposition, tel que le lien intergénérationnel qui le lie à son père et son grand-père, comme nous pouvons l’observer avec « Three Abstractions on Three Histories ». Cette œuvre témoigne de trois histoires étroitement mêlées par le lien intime qui les unis. Il ne retranscrit pas seulement ce lien familial fort à travers des œuvres, mais aussi à travers la matérialité de certaines œuvres. La présence de cire à travers la composition de certaines œuvres n’est pas anodine, cette cire témoigne d’un lien fort entre Charbel Boutros et sa mère. Cette cire est récoltée dans une église dans laquelle sa mère est coutumière d’aller. L’artiste met également en avant ses relations amicales et professionnelles.

À travers l’œuvre « Amitié » Joseph Boutros met en avant l’amitié en séparant une paire de chaussure afin que son ami et lui puissent les porter à deux extrémités du monde, avant de les assembler. Cette œuvre réfère à un lien intime qui unit les deux amis.  Une œuvre possédant également un rapport fort à l’intime et à ses proches est « The Booth, The Gallerist and The Mausoleum » qui fait référence à la conception d’un mausolée pour le galeriste, évoquant ce lien intime fort que l’homme à a la mort.

 

Life Variation #3, The Marble, The ring and The Continents

Sa vie quotidienne

Charbel-Joseph H Boutros met certes ses proches en avant à travers ses œuvres, mais celui-ci partage également une partie de son intimité en dévoilant des brides de sa vie quotidienne. À travers l’exposition « The Sun Is My Only Ally » différentes œuvres témoignent de sa vie quotidienne, nous rendant spectateur de sa vie privée. Nous pouvons dans un premier temps observer la vie de Joseph Boutros à travers l’œuvre « Mon Amour » celle-ci est constituée de deux tickets de caisse formant un acrostiche, sur lequel il est écrit “Mon Amour”. Nous pouvons à travers cette œuvre entrer dans l’intimité de la vie quotidienne de l’artiste en observant sa liste de course, le magasin dans lequel celui-ci fait ses courses, la date, l’heure, etc.

Dans une autre œuvre de Joseph Boutros  « If Close To Sun A Drop May Fall », nous sommes spectateurs d’un souvenir de l’artiste. Cette œuvre est composée de bobines de cassette que celui-ci a écouté il y a plusieurs années. Ces cassettes ont été fichées dans la cire, tel un souvenir figé dans le temps. L’artiste utilise alors ses propres cassettes lui rappelant un souvenir intime qu’il expose par la suite à la vue de tous. Joseph Boutros expose alors à travers son exposition des expériences et souvenirs intimes de différents degrés.

Nous pouvons par exemple voir qu’avec l’œuvre « Life Variation » que l’artiste partage à travers une œuvre la forme d’une pastèque qu’il a mangée, laissant pour seul souvenir de son existence une forme dans le béton ainsi que trois pépins. Ces œuvres témoins de sa vie quotidienne touchent des degrés d’estimation variables pouvant aller de très à moins intime.

Nous pouvons également citer des œuvres qui, contrairement aux autres, représentent l’intime de l’artiste sur une période plus conséquente. Il s’agit des œuvres « Untouched Marble » et « Amitié » qui sont représentées par un cube de marbre et une chaussure. Ces deux objets ont accompagné l’artiste durant de nombreuses semaines. Pour le cube de marbre, celui-ci n’ayant jamais été touché, accompagna Joseph Boutros au quotidien, rentrant dans l’intimité de celui-ci, comme pour les chaussures qui furent portées durant six mois, accompagnant l’artiste dans tous ses déplacements et s’inscrivant dans l’intimité de celui-ci. Joseph Boutros met alors en avant dans son exposition une partie de son intimité qu’il expose à la vue de tous.

Mon Amour

II. L’intime des autres

Relation avec le public

Charbel-joseph H.Boutros tend à instaurer un lien sensible et intime avec son public. « The Exhibition Between Us » (2019-2022) introduit cette exposition. Cette œuvre, composée de deux dalles en granit, est entièrement dédiée aux spectateurs, témoignant de leur visite et offrant une place particulière à deux d’entre eux. Sur chacune de ces pierres est respectivement gravé le prénom du premier et du dernier visiteur. 

The Exhibition Between Us

Durant l’exposition, Charbel-joseph H.Boutros a également organisé un concert de guitare à La Criée. L’artiste libanais convié devait jouer avec un instrument, jamais servi auparavant, comme s’il s’agissait de sa dernière représentation. La guitare, utilisée, sera exposée à l’occasion de sa prochaine exposition au Portugal. Seul le public ayant eu le privilège de participer à cet événement aura connaissance de ce vécu et entretiendra ainsi un lien intime avec l’œuvre. L’artiste souhaite en ce sens créer des connexions entre ses différentes expositions et développer avec ses visiteurs une relation singulière. 

Dévoiler l’intime des autres

En outre, Charbel-joseph H.Boutros souhaite dévoiler l’intime des autres et en particulier celui du personnel d’exposition. 

Durant l’exposition, l’artiste invite le personnel de La Criée à repenser ses déplacements. Ceux-ci doivent alors uniquement emprunter une plateforme : le « Catwalk » (2019-2022). Placés en hauteur, les médiateurs défilent comme sur un podium pour communiquer avec les visiteurs. La relation habituelle avec le public en est alors bouleversée et le rapport à leur propre intimité bousculé.

Dans une petite pièce, intitulée “Salle sommeil”, est placé un lit à même le sol, recouvert d’une couverture et d’un oreiller blanc. Entre œuvre et objet du quotidien, cet espace est mis à disposition pour la commissaire d’exposition ou le régisseur de La Criée pour qu’ils puissent s’y reposer. L’espace où se forgent les rêves est ainsi dévoilé à tous les visiteurs et rentrent d’une certaine manière dans l’intimité de ses usagers.

« Salle sommeil »

« The Booth, The Gallerist and The Mausoleum » (2021) dévoile un projet de mausolée contractualisé avec le galeriste Umer Butt. Ce monument funéraire rassemble principalement les proches de l’individu pour s’y recueillir et donc partager un moment intime par la pensée. La maquette est recouverte de cire fondue, récupérée par sa mère dans les églises du mont Liban. Chargées des souhaits des autres, ce matériau est riche de l’intime des autres.

Salomé Vanneste-Bendelé, Laura Gaydon, Emma Duval

La scénographie et l’immatériel

vendredi 16 décembre 2022

Une scénographie qui révèle des concepts impalpables

Comment la scénographie révèle-t-elle l’immatériel ?

 

Une exposition permet de mettre en avant les œuvres d’un artiste, ce qu’il a pu créer et penser au cours de sa vie. Charbel-Joseph H.Boutros vient exposer son travail dans trois lieux différents : Beirut Art Center, S.M.A.K en Belgique et La Criée centre d’art contemporain à Rennes. Ces trois expositions se déroulent sur trois temporalités distinctes mettant en avant les œuvres de l’artiste qui a voulu, par la scénographie de l’espace, nous plonger dans un univers qui lui est propre. Toute sa scénographie va nous permettre de le découvrir, lui et ses croyances, son histoire et de nous montrer ce que l’on ne perçoit pas toujours au premier abord, des concepts imperceptibles, immatériels. Il traite l’invisible comme une matière en mettant en avant des idées d’intimité, de géographie et de poésie. On se questionne alors sur comment la scénographie révèle-t-elle l’immatériel ?  

 

1- La scénographie qui permet de mettre en avant les liens personnels de l’artiste 

 

L’artiste à travers sa scénographie et ses œuvres met en avant indirectement sa vie et sa personnalité. En entrant, on découvre des œuvres installées dans cet espace sans comprendre clairement ce qu’elles représentent. Il faudra alors venir s’intéresser de plus près à chacune d’entre elles pour connaître leur signification pour l’artiste. En passant sous trois chemises suspendues qui possèdent toutes un coloris et une trace d’usure différente, « Three Abstractions on three histories », 2016, nous évoque trois temporalités différentes. L’artiste vient mettre en avant un lien générationnel avec la chemise de son grand-père, de son père et la sienne. En passant dessous on traverse alors leur histoire et on constate le lien familial qui les unit.

En continuant d’explorer l’exposition, une paire de Stan Smith posée au sol met en avant un autre lien, celui de l’amitié entre lui et son meilleur ami. Intitulée « Amitié », chacun des deux amis à porté une des deux chaussures (faisant la même pointure). Les chaussures sont une preuve d’un voyage à deux vécu séparément d’une durée de 6 mois. On perçoit alors des traces d’usures différentes et une séparation de cette paire qui finira par se réunir. Simplement par un objet du quotidien, encore une fois, l’artiste met en avant l’amitié.

L’amour est également un aspect important dans la vie quotidienne. L’artiste retranscrit alors ce lien qui unit deux personnes dans son exposition après avoir montré par des objets du quotidien la famille et l’amitié. « Life Variation #3, The marble, the ring and the continents » de 2022 est une œuvre qui est constituée de 5 stèles de marbre. Chaque marbre est différent et provient d’un pays différent : Liban, Brésil, Belgique, France et Grèce. Si l’on s’approche d’un peu plus près, on peut apercevoir sur chaque stèle un morceau d’une bague préalablement coupée qui est en réalité son alliance d’un mariage fini. Ces stèles proviennent des différents lieux où les anciens amants ont pu vivre. Par cette mise en scène, l’artiste commémore et rend hommage à son amour passé. Il s’agit donc ici d’un lien amoureux mis en œuvre ici. 

Ces trois œuvres sont alors des manières de mettre en exergue les liens forts que Charbel-Joseph H.Boutros a pu expérimenter au cours de sa vie tel que la famille, l’amitié et l’amour. Sa scénographie nous pousse à venir comprendre les œuvres en s’approchant, passant en dessous ou en les examinant de plus près. On est alors en contact proche de ces œuvres, de ces objets du quotidien de l’artiste et la scénographie nous fait entrer dans sa vie intime qu’on n’aperçoit pas tout de suite quand on arrive dans l’espace d’exposition. Cette idée de révéler des concepts habituellement imperceptibles se retrouve dans d’autres œuvres de cette exposition dont on va parler ensuite.

 

2- La scénographie révèle et rend visibles des concepts imperceptibles

 

L’artiste ancre son exposition dans la façon de révéler des concepts imperceptibles. L’un des exemples les plus parlant est celui de « Days under their own us » qui capture le soleil sur trois papiers qui sont exposés aux différents lieux où il travaille entre 2013-2016. Ce procédé d’exposé ces papiers à des moments de la journée et des lieux géographiques différents vont permettre de saisir des rayons de soleil divergents. Cela permet aux spectateurs de percevoir la différence d’ensoleillement impactant la teinte du papier. L’artiste capture alors l’imperceptible : les rayons du soleil.

La géographie est un aspect très présent dans l’œuvre de l’artiste qui vient adapter sa scénographie pour montrer ce concept de temps et de lieu inassimilable. Cette représentation des lieux d’expositions se retrouve aussi dans le projet « Three songs, three exhibitions » qui représente les lieux à travers des mélodies jouées au bouzouk (instrument a corde) par un luthier. Chaque mélodie a été enregistrée sur chaque lieu d’exposition, comme un adieu à l’exposition qui s’y tient et elle n’est ainsi interprétée qu’une unique fois en forêt à l’heure où le soleil se couche. Ses mélodies sont diffusées dans les lieux d’expositions à l’heure du coucher de soleil propre à chaque lieu où chacune à été interprétée. Par la musique, il vient saisir des temporalités et des géographies différentes, encore une fois. 

 

Pour terminer l’analyse de son travail, H.Boutros installe cette fois-ci une œuvre qui se constitue de deux dalles nommée « The Exhibition Between Us ». La première dalle, posée à l’entrée de l’exposition possède une gravure “Saira” qui correspond à la première personne ayant franchi les portes de sa première exposition au Liban. La deuxième, non gravée, attend le prénom de la dernière personne qui franchira les portes de sa dernière exposition, en France. L’artiste montre la relation qu’il a avec les visiteurs. Il vient ancrer la mémoire de l’exposition et du visiteur en rendant palpable un instant passé en le gravant dans le granit. L’idée de temporalité et d’impalpable rendu matériel est mise en avant ici. La volonté de mettre en avant le visiteur qui fait vivre l’œuvre et qui, sans lui, n’existerait pas.

 

 

Cette exposition est un travail de scénographie qui va permettre de nous montrer des concepts immatériels tels que les liens personnels de l’artiste, amicaux, familiaux et amoureux, ainsi que des concepts imperceptibles tels que les rayons du soleil, la musique et la vie de l’exposition à travers les visiteurs. Pour découvrir ces concepts, il va falloir que l’on ose s’approcher des œuvres et qu’on découvre ce qu’elles cachent et veulent transmettre. La scénographie est ainsi pensée pour que l’on puisse être proche des œuvres (passer dessous, s’approcher des très près, tourner autour, écouter…). L’artiste capture des instants et des lieux et nous les transmet.

 

 

Elisa Le Vaillant, Allison Sobotka, Ewen Jezegou

Observacteur ?

vendredi 16 décembre 2022

Observacteur ?

Lors de notre visite de l’exposition The Sun Is My Only Ally (Le soleil est mon seul allié) de Charbel-Joseph H. Boutros le 23 novembre 2022, nous nous sommes interrogés sur la place du public. A savoir dans quelle mesure l’artiste crée une connexion entre ses œuvres et le public ? 

Les intentions de l’artiste : une volonté de rendre vivante chaque exposition 

Quelles étaient les intentions de l’artiste ? 

L’artiste a pensé l’espace autour d’un catwalk qui vient contraindre la circulation, créant une forme de chorégraphie afin d’inclure le public dans l’œuvre. Charbel- Joseph a conçu l’exposition comme une galerie de portraits des éléments de sa vie personnelle, professionnelle, intime et amicale. 

L’exposition est en fait pensée comme une nouvelle géographie qui s’étend autour d’un espace central et des espaces satellites s’emparant des notions de rêves et d’amour. Son but étant de garder une trace et de créer une mémoire des expositions précédentes (Beyrouth, Gand), mais aussi, de faire en sorte que cette exposition change la vie de celui ou celle qui l’a voit, à travers sa manière de regarder et de ressentir, élargir la beauté. 

Charbel- Joseph rassemble un ensemble d’œuvres abstraites et poétiques qui viennent composer l’espace selon ses intentions. L’artiste tente de nous transmettre sa vie notamment à travers l’œuvre « Three Abstractions on Three Histories », composée de trois chemises plus ou moins similaires suspendues en hauteur. Il nous partage l’histoire de sa famille. Une œuvre qui de part l’ancienneté de certains éléments transmet l’invisible : l’histoire de la personne qui les a portées. Le public observe cette œuvre en hauteur et gravite autour, mais arrive-t-il à la comprendre ? 

La place du visiteur : un résultat contrasté entre la volonté de l’artiste et le ressentis du visiteur

Lors de notre visite nous avons sondés l’ensemble des étudiants présents. Voyons un peu les résultats de notre enquête : 

Le public interrogé était des étudiants en étude de Design ayant une approche coutumière à l’art. 84% d’entre eux se sont sentis observateurs, contre 16% à la fois observateurs et acteurs. Lorsqu’on les questionne sur leur positions de visiteurs, la plupart nous explique avoir manqué d’interactions avec les œuvres. Un manque pouvant s’expliquer par l’entrée dans le vie intime de l’artiste.  Certains ont même eu une certaine incompréhension puisque le cartel des œuvres n’est pas visible, ou même parfois à côté de celles-ci. Le travail d’explications faites par la médiatrice depuis le catwalk a permis à certains de comprendre les œuvres et donc de s’y connecter. 

Nous avons posé la question complexe de savoir si les visiteurs se sont sentis « satellite » lors de cette exposition. Pour faire plus simple, nous leur avons demandé s’ils ont eu une connexion avec l’exposition. Une connexion qui peut être de l’ordre sentimental ou encore de la déambulation dans celle-ci. Sur une échelle de un à cinq (un = faible attraction / cinq = forte attraction) 78% ont senti une attraction de l’ordre de 2 ou 3. Ce ressenti s’explique principalement par l’approche de l’artiste qui décide de nous dévoiler sa vie, dont lui-même possède les références. 

Pourtant, l’artiste a réussi à attirer certains vers une de ses œuvres. En effet, 84% ont eu une attirance pour une œuvre. En effet, l’œuvre  Mon amour, avec le ticket de caisse, est l’œuvre qui a le plus attiré. Une attirance due au message d’amour transmis d’une manière simple mais aussi singulière. La démarche poétique de l’artiste dans laquelle il crée un acrostiche à partir de la liste d’articles établit une connexion entre amour et consommation. Le mot amour étant écrit à partir d’encre et sur un papier de la vie quotidienne qui au fil du temps s’estompera jusqu’à sa perte. « Three Abstractions on three histories, no light in white light », sont aussi des œuvres qui ont touchées par leurs messages. 

Charbel-joseph H. Boutros, Mon Amour, 2012-2017, tickets de caisse de supermarché, marqueur, cadre

Mission réussie ?

Pour synthétiser, la mission donnée par l’artiste de nous connecter à ses œuvres est partiellement réussie. En effet, il arrive à rendre acteur le personnel de l’exposition, avec notamment le catwalk. Cependant, le visiteur n’arrive pas forcément à s’y connecter. L’approche de l’artiste semble ainsi trop personnelle . L’interprétation de chacune des œuvres se base sur l’expérience de vie et le vécu de chaque visiteur. Il faut donc réussir à s’identifier à travers l’invisible que l’artiste tente de nous transmettre. Cette exposition nécessite une intervention de la médiatrice pour pouvoir s’identifier et mieux comprendre le travail de l’artiste. Finalement, est- ce que ce n’était pas aussi le but de l’artiste de créer de l’interaction entre le visiteur et le médiateur ?

 

Amandine Le Cadre, Charlotte Sabatier, Antonin Brisson

LA TEMPORALITÉ COMME ÉCHAPPATOIRE

mercredi 7 décembre 2022

 

Comment Charbel-Joseph H.Boutros retranscrit la temporalité à différents niveaux à travers des objets du quotidien ?

 

La temporalité entre l’artiste et ses oeuvres

Charbel-joseph H. Boutros, Amitié, 2018
chaussures Stan Smith

Charbel-joseph H. Boutros partage une histoire intime avec ses œuvres. Né au Mont-Liban en 1981, ses œuvres retrace ses voyages, ses amitiés ainsi que le lien émotionnel avec sa famille et son pays natal, à travers des objets du quotidien mis en scène lors de cette exposition. Nombre de ses productions comportent un lien personnel avec l’artiste comme l’œuvre «Amitié» qui explore la temporalité à travers l’affection que l’artiste partage avec son meilleur ami. Ils ont chacun porté pendant six mois une paire de Stan Smith. Elle évoque leur trajet, leurs vies qui se rassemblent lors de l’expo avec la paire de gauche appartenant à l’artiste et celle de droite à son ami, comme une symbiose, une rencontre de leurs deux vies vécues. 

L’œuvre «The Marble, The Ring and The Continents» évoque un fort lien émotionnel brisé qui est retranscrit à travers cinq stèles de marbre, provenant de cinq pays différents (Brésil, Liban, France, Belgique, Grèce), où chacune d’entre elles est incrusté d’un morceau d’une alliance qui a été divisé en cinq. Au-delà de cela, ce lien est encore amené à se séparer puisque à la suite de l’exposition, les cinq stèles doivent trouver acquéreurs dans leur pays d’origine.

Charbel-joseph H. Boutros, Life Variation #3, The Marble, The Ring and The Continents (détail) , 2022
cinq stèles provenant du Brésil, du Liban, de France, de Belgique et de Grèce, morceaux d’une bague brisée, gravier, structure métallique, déplacement, amour, espoirs, exposition

 

«Three Abstractions on Three Histories» retrace également un fort lien à sa famille. Trois chemises sont exposées : l’une appartenant à son grand-père, l’autre à son père et la dernière est celle de l’artiste. La temporalité est représentée avec la présence de trois générations, trois guerres, trois histoires familiales vécues.

Charbel-joseph H. Boutros, Three Abstractions on Three Histories, 2016
trois chemises blanches, structure métallique

 

La temporalité est au cœur de cette exposition, dû au fait qu’elle est était présentée dans trois lieux d’expositions mais aussi avec sa production «Days Under Their Own Sun» qui expose chaque jour la feuille du calendrier libanais aux rayons du soleil et selon son impact UV, le jaunissement de la date du jour varie.

Charbel-joseph H. Boutros, Days Under Their Own Sun, 2013-2016
feuilles de calendrier libanais, soleils

 

La temporalité du cycle dans l’exposition

L’ensemble de ces œuvres, de la plus poétique à la plus abstraite, marquées d’histoires intimes témoignent d’un cycle. Un cycle affecté par notre histoire tangible. Saisir l’immatériel, prendre en considération l’invisibilité pour s’imprégner entre autre du message mémoriel. The Sun Is My Only Ally débute en 2019 à Beyrouth au Liban, mais s’arrête brusquement, indépendamment de l’artiste, suite au mouvement social qu’impose le début de la guerre civile. Comme un ricochet, un souvenir amer de son enfance, qui ressurgit, qui remémore une vie, une enfance à grandir entre deux retentissements.

L’exposition poursuit son itinéraire au S.M.A.C.K Gand en Belgique, 2020, où elle est de nouveau impactée, dû à la propagation sans frontière du Covid19. Les œuvres vivent au gré de l’évolution sociale imposée par la société. La temporalité est ainsi gravée différemment dans l’histoire de ce que l’artiste pouvait imaginer.

Chaque exposition dispose de ces œuvres, certaines évoluent de pays en pays et subissent des transformations afin d’asseoir leur fragilité. Les œuvres articulées par la cire «The Booth,The Gallerist, and The Mausoleum», «If Close to the Sun a Drop May Fall» ou encore «Night Cartography» sont remodelées, ainsi une couche de cire est fondue de nouveau, suivant les arrêts de ceux-ci expositions ; naît alors une couche de plus en plus épaisse pour contrer les faiblesses de ce matériau. Une cire, à l’histoire invisible mais remplie de prières, d’offrandes recueillies à l’origine, dans une église du Mont Liban par le parent de Charbel-joseph H. Boutros. 

Charbel-joseph H. Boutros, Three Songs, Three Exhibitions, 2022
trois bouzouks, support métallique, moquette, vidéo, son, trois expositions, coucher de soleil

L’auteur à pour souhait d’inclure, d’immerger le visiteur au cœur de l’exposition, d’ainsi marquer encore une fois un arrêt temporel par deux dalles en granit en attente d’être gravées du premier et dernier noms des visiteurs. De même pour «Three Songs, Three Exhibitions», trois bouzouks, trois sons, fabriqués par le même luthier, conçus comme le reflet des expositions réalisées par l’artiste. Ils interviennent à travers une mélodie d’adieu jouée une seule fois à chaque fin d’exposition, aux heures du coucher du soleil à Gand et Beyrouth. 

On est donc face à une exposition qui s’est construite autour de l’évolution sociale qui l’entourait, marquée par des points forts inattendus. Ressortent alors différentes temporalités, à la fois marquée dans les œuvres, des temporalités choisies par l’artiste et des temporalité extérieures, subies.

 

L’évolution des matériaux dans le temps

Comment l’artiste nous raconte ses souvenirs et expériences par divers niveaux de temporalité ?

La nature des matériaux présents dans les œuvres de cette exposition évoque plus ou moins directement la relation de l’artiste à la temporalité, qui elle, marque visiblement les matériaux, par sa transcription physique et son action concrète sur l’état et l’évolution des œuvres.

Là où «The Booth,The Gallerist, and The Mausoleum», ou encore «If Close to the Sun a Drop May Fall», arborent explicitement l’influence du soleil et du temps, déjà par le matériau en lui même ;  le cire coulée, mais également par son caractère éphémère, révélant le cycle de la cire dans les oeuvres, et au cours des trois différentes expositions.

Charbel-joseph H. Boutros, The Booth,The Gallerist, and The Mausoleum, 2021
bois, carton, cire de bougie votive, peinture acrylique, cendres des communiqués de presse, souhaits, espoir, structure métallique, tapis, tablette, vidéo 10 min, sable de plage, stand de foire d’art, galerie, contrat, mort

Charbel-joseph H. Boutros, If Close to the Sun a Drop May Fall, 2019-2020
bobine d’une cassette, album de musique, cire de bougie votive, souhaits

 

Certains matériaux dépassent d’ailleurs la matérialité, tel que le soleil, qui est omniprésent dans cette exposition, et que l’on peut considérer comme un matériau, ici le matériau principal, étant donné son influence sur plusieurs oeuvres de l’exposition et sur son principe même, ainsi que sur sa construction et sa diffusion.

Le soleil donc, et la lumière qui en découle, constitue l’élément qui, dans «No Light In White Light», permet au prêtre de lire jusqu’à ce que le soleil se couche et ne lui permette ainsi plus la lecture du livre. 

Charbel-joseph H. Boutros, NO LIGHT IN WHITE LIGHT, 2014
vidéo, 11 min

 

Par ailleurs, le personnel de l’exposition et le visiteur entrent également en jeu dans le processus de création de l’artiste, par exemple le personnel joue un rôle en empruntant l’oeuvre «Catwalk» afin de se déplacer au sein de l’espace et de présenter l’exposition. En effet, les visiteurs et le personnel d’exposition sont inclus comme acteurs, ils interagissent et participent à la matérialité de l’exposition.

Charbel-joseph H. Boutros, vue de l’exposition The Sun Is My Only Ally, 2022

 

Pour conclure, à travers cette temporalité, Charbel Joseph H. Boutros convoque ses souvenirs et les inscrit parfois littéralement au sein de ses œuvres, avec des matériaux qui font sens pour lui, et qui font écho aux souvenirs, à une sorte de mémoire évolutive et en même temps éphémère.

Solène Maubert, Auriane Barbier, Maël Janvier