Archive de mars 2021

Les organisations de scénographies muséales : exemples à La Criée

mercredi 10 mars 2021

Dans cet article, nous nous interrogerons sur plusieurs définitions afin de comprendre les multiples organisations de scénographie, à travers La Criée, le « White Cube » ainsi que l’exposition « Mime » de Mathis Collins. Afin de mieux comprendre les scénographies, nous vous expliquons comment le « White Cube » intervient dans cette mise en scène. À travers le « White Cube » du centre d’art de la Criée, comment s’appliquent différentes scénographies muséales ?  Dans un premier temps pour introduire le thème, nous abordons les définitions de scénographie, de commissaires d’expositions et du « White Cube ». Puis, nous expliquons plus précisément le lieu de la Criée à travers le « White Cube » et comment a-t-il été appliqué à l’exposition « Mime ». Et pour finir nous présentons différentes organisations de scénographies existantes et qui ont été appliquées au centre d’art de la Criée avec l’aide des commissaires d’expositions.

Scénographie :

La scénographie, du grec “scène” et “écrire” désigne aujourd’hui l’étude de l’art de la scène par des moyens techniques de mouvements ordonnés et scéniques. C’est l’art de concevoir et de mettre en forme l’espace propice à la représentation d’une œuvre, d’un objet, d’un événement.

Cette mise en espace peut se traduire par la fabrication des différents éléments de muséographie tels que des podiums, des banquettes, des tables, du mobilier, des vitrines, des trottoirs, des socles, des velums, des décors, des signalétiques, des supports accrochés sur cimaise. Différentes mises en lumière peuvent être intégrées dans l’espace avec des éclairages : focalisée, frontale, libéral, 3 côtés ou encore en contre plongée. Il existe plusieurs types d’expositions : des expositions permanentes, temporaires ou itinérantes. Elles sont soumises à des contraintes de normes et d’accessibilité PMR. 

Commissaire d’exposition : 

Au sein de la Criée c’est un commissaire d’exposition qui échange avec l’artiste pour déterminer l’organisation de l’exposition. Un commissaire d’exposition est une personne qui conçoit une exposition (artistique, historique, scientifique, etc.) et en organise la réalisation. Ainsi, il détermine le choix des pièces présentées, la problématique ou la thématique de l’exposition. Il choisit, en collaborant avec l’artiste, la mise en scène des œuvres dans le lieu accueillant le projet. Et leur restitution auprès des publics sous toutes formes de diffusion.

« White Cube » : 

L’espace d’exposition de la Criée se définit sous la forme d’un “White Cube”. C’est un type d’espace d’exposition, un “dispositif scénique” qui a la forme d’une grande enceinte aux murs blancs, généralement refermée sur elle-même par l’absence de fenêtres. Le « White Cube » contient une installation de système d’éclairage homogène provenant du plafond. Il est fréquemment composé de néons blancs faisant écho à la couleur des murs. Apparu dans les années 1970, il vise, par sa propreté et sa neutralité, à supprimer tout contexte autour de l’art que l’on y montre. Il est aujourd’hui considéré par les galeries et les musées comme l’espace d’exposition par excellence. Ce qui ne va pas sans susciter des critiques. En s’apparentant à un laboratoire aseptisé, il participerait à isoler et stériliser l’art contemporain. Ce modèle s’est imposé comme une norme tacite influençant la production en arts visuels. 

Explication du système et influence :

Les institutions artistiques ont adopté ce modèle, le « White Cube », dont l’objectif est d’assurer la médiation des œuvres comme faisant partie du modèle. Ce modèle est un espace-temps, et toutes les informations qui peuvent y contribuer en conditionnant l’appréhension esthétique, la lecture de l’espace et l’interprétation au sens large, sont à inclure dans la définition même du modèle. Ses fonctions sont de créer des liens entre les spectateurs et les artistes, de définir une logique politique et institutionnelle cohérente et de proposer un espace-temps pour la réception des œuvres. Par conséquent l’objectif sous-jacent du « White Cube » est d’être un lieu prétendument atemporel accueillant des œuvres destinées à devenir atemporelles, sa fonction est méliorative et résulte d’une “artialisation” en marquant une césure entre le quotidien et le temps de l’appréhension esthétique.

Le « White Cube » représente l’espace temps qui sert d’intermédiaire. Il n’est ni totalement dans le Chronos, ni totalement dans l’Aiôn. D’après le Chronos, seul le présent existe dans le temps. Le présent est la quotidienneté ou la temporalité de l’atelier de l’artiste. Mais dès qu’une œuvre est exposée, elle change de nature par la médiation qui génère un espace-temps spécifique : celui du « White Cube ». Dès l’instant où l’œuvre franchit le seuil de la galerie et où elle y est accrochée un autre regard est posé sur elle. D’après l’Aiôn, seul le passé et le futur insistent ou subsistent dans le temps. A l’inverse, l’Aiôn seul ne permet pas de changement paradigmatique et il maintient ses propres paramètres jusqu’à être pétrifié. Il rend le langage possible, le langage de l’œuvre ne peut être saisi qu’en rapport à un passé-futur car le pur présent ne fournit pas d’unité de mesure stable. L’œuvre d’art nait alors de cette tension entre Chronos et Aiôn.

C’est-à-dire, s’il n’est pas totalement dans le Chronos c’est parce que ses fenêtres sont condamnées, ce qui réduit son espace temps a une bulle hors du temps. Et qu’il n’entretient qu’un rapport indirect avec le monde extérieur, dans la mesure où il représente des productions artistiques plus qu’il ne les présente. Et il n’est pas totalement dans l’Aiôn, parce que son aspect clinique est sans cesse compensé par la visite de spectateurs, le « White Cube » et les œuvres, qui lui permettent d’exister comme modèle.

Par exemple, lorsqu’un spectateur entre dans une galerie d’art contemporain, il s’attend consciemment ou inconsciemment à ce que les murs soient blanc mat et que l’éclairage soit homogène. Dans le cas contraire, il aura tendance à considérer qu’il s’agit d’un dispositif scénique plus informel et ceci conditionnera son appréhension esthétique. 

C’est le contact présent qui s’établit entre l’artiste, le « White Cube » et les œuvres, puis entre les spectateurs, le « White Cube » et les œuvres, qui lui permet d’exister comme modèle.

« White Cube » au sein de la Criée : 

Ce « White Cube » perturbe face à son environnement architectural extérieur. L’espace est blanc et efface les caractéristiques architecturales du lieux existant ainsi que son histoire, son patrimoine. La charpente visible par la grande hauteur sous plafond, a été repeinte en blanc. Les fenêtres ont toutes été condamnées, seule la porte d’entrée et la sortie de secours / accès PMR sont ouvertes et laissent entrer la lumière. À l’intérieur, l’espace a été aménagé de façon à retrouver une grande pièce rectangulaire et une petite pièce cloisonnée liée par une ouverture. Aucun autre élément ne parasite cet espace blanc. Le mur est lisse, uniforme, aucune brique n’est visible à travers le blanc. Des néons blancs sont accrochés à la charpente devenue invisible.

 

Scénographie de « Mime » :

Pour la scénographie de Mime, le choix de Mathis Collins était d’accrocher ses productions sur chaque mur et laisser un espace vacant au centre. Une volonté de ne pas produire d’avantage et d’exposer ses 15 tableaux sur une palissade de rue. L’artiste ne souhaitait pas occuper le sol ni le plafond, pour garder l’esprit de l’art de rue. Afin que les visiteurs puissent observer les œuvres de loin comme de près sans être perturbés par d’autres éléments. Il souhaitait un affichage classique avec des œuvres éloignées les unes des autres afin de les mettre en valeur. Il voulait poser et retirer ses œuvres de la même façon que l’on change un décor de théâtre. Dans le but d’évoquer l’esprit de la fête foraine, du stand de tir, les tableaux sont tous placés à hauteur des yeux. Toutes ces productions sont perceptibles sur une ligne d’horizon.

En effet, les œuvres ne possèdent aucun cartel, un choix longuement discuté entre Mathis Collins et les commissaires, mais l’artiste ne voulait qu’aucun texte n’interfère avec ses œuvres, elles parlent d’elles-mêmes. Étant musicien, la question des audios pour accompagner ses œuvres s’est posée. Dans l’optique de masquer le bruit des moteurs de l’un de ses triptyques en composant une petite musique digne des fêtes foraines pour plonger les visiteurs dans son univers. Sachant que la mise en scène principale est celle du théâtre de rue, par définition faire ce que l’on peut avec ce que l’on a, afficher et coller, sans rajouter d’artifices autour de ses œuvres. Il n’y avait aucunement l’idée de faire spectacle.

Le spectateur peut apercevoir la différence entre les deux salles : la salle centrale et la petite salle distinguant les travaux du père et du fils Collins. Afin de respecter le travail du père comme celui du fils, les commissaires du centre d’art ont choisi de séparer les deux artistes. Le contraste est trop présent entre les productions. L’histoire racontée est toute aussi différente : l’usage de triptyque et de la couleur pour le fils et l’usage du noir et du blanc en tableau unique pour le père.

Mathis Collins a voulu faire reconnaître le travail de son père en décloisonnant les arts et montrer deux pratiques distinguées. Paul Collins fut invité afin d’aborder l’histoire du théâtre de rue et de l’artisanat, transmettre l’art populaire en passant par la question de transmission, un fil conducteur entre les artistes. Une seule peinture incarne la collaboration et lie les deux artistes,  qui est visible depuis les deux salles, situé en face de l’ouverture de la petite salle, où Mathis est intervenu sur une peinture de son père par une touche de couleur et la représentation d’un mime.

 

Différentes scénographies possible au sein de la Criée :

  • Scénographie qui inclut du mobilier d’exposition : 

Intégration dans l’espace de modules telles que des vitrines, des cloches ou des niches avec des feuillures ou non. Cette mise en œuvre permet aux visiteurs de pouvoir s’approcher des œuvres sans les abîmer tout en leur donnant un côté précieux.

 

Exposition « Les Horizons » – 14/03/2013 – 11/05/2014 – Scoli Acosta, Francis Alÿs, Taysir Batniji, Julien Berthier, Blaise Drummond, Larissa Fassler, Les Frères Ripoulain, Ann Veronica Janssens, Bertrand Lamarche et Józef Robakowski

Un espace blanc avec une vitrine disposée sur le côté qui permet de visualiser des œuvres. 

Les Horizons – La Criée centre d’art contemporain (la-criee.org)

 

Exposition “Household temple yard” – 25/09/2014 – 30/11/2014 – Gareth Moore 

Un espace avec des objets et des sculptures posés sur des socles collés contre les murs.

Household Temple Yard – La Criée centre d’art contemporain (la-criee.org)

 

 

  • Scénographie interactives / participatives : 

Intégration dans l’espace de zone d’échanges, de moments de partages, de convivialité et de transmission des savoirs.

 

Exposition “Art envie” – 12/09/2003 – 17/10/2003 – Marika Bührmann, Cirrus, Rozenn Nobilet et Pedro Pereira

Un espace qui comprend une zone d’échanges et de création au sol avec des coussins. 

Art envie – La Criée centre d’art contemporain (la-criee.org)

 

Exposition “Risk” – 19/09/2008 – 31/11/2008  – Claire Daudin, Julien Duporté, Estrella Estevez, Aline Morvan et Julien Quentin

Un espace généré par la participation d’élèves et une collaboration entre des étudiants des beaux arts et des artistes.

Risk – La Criée centre d’art contemporain (la-criee.org)

 

 

  • Scénographie immersive, interactive : 

Intégration dans l’espace d’une ambiance par une mise en lumière avec un filtre de couleur.

 

Exposition “Habiter” – 20/04/2007 – 31/06/2007 – Lafita Laâbissi

Un espace pour “habiter” à Rennes, un lieu qui à un potentiel de fiction et qui est habité par le public, avec une ambiance froide et de mise en lumière bleue.  

Habiter – La Criée centre d’art contemporain (la-criee.org)

 

Exposition “Superstars” – 22/09/2006 – 12/11/2006- Trafik

Une installation qui permet de réaliser son propre portrait, avec une ambiance sombre et une mise en lumière rouge ou noir.

SUPERSTARS – La Criée centre d’art contemporain (la-criee.org)

 

  • Scénographie avec un parcours intérieur et extérieur : 

Un espace qui est pensé à l’intérieur et l’extérieur, les œuvres se prolongent dedans et dehors.

 

Exposition “Devil’s Island” – 22/05/2009 –  26/07/2009 – Hubert Czerepok

Un dispositif extérieur lumineux qui invite à entrer dans un espace sombre à l’intérieur. 

Devil’s Island – La Criée centre d’art contemporain (la-criee.org)

 

 

Exposition “La table gronde” – 2015 – Yves Chaudouët 

Un dispositif de grande tablée divisé en 3 parties, pensée à l’intérieur et à l’extérieur.

Yves Chaudouët – La Criée centre d’art contemporain (la-criee.org)

 

 

-Scénographie avec un parcours multiple : 

Un espace blanc avec des œuvres frontales sont accrochés aux murs et aucun élément autre ne diffère le parcours.

 

Exposition “C’est pas grave”  –  23/06/2018 –  26/09/2018 – Vincent Gicquel

Un espace blanc avec des œuvres accrochées sur les murs. 

C’est pas grave – La Criée centre d’art contemporain (la-criee.org)

 

 

Exposition “Mîme– 26/09/2020 – 30/12/2020  – Mathis Collins & Paul Collins

Un espace blanc avec des œuvres frontales dans 2 salles différentes pour différencier 2 artistes.

 Mime – La Criée centre d’art contemporain (la-criee.org)

 

 

  • Scénographie avec un parcours unique : 

Intégration dans l’espace de cimaise ou d’éléments de décors qui influencent la direction de l’usager, une seule direction s’impose.

 

Exposition “Palaispopeye” – 07/04/2006 – 04/06/2006 – Alexandre Perigot

Un labyrinthe composé de cimaises rythme l’espace et indique le cheminement de déambulation aux spectateurs.

https://www.la-criee.org/fr/palaispopeye/ 

 

Exposition “Emmanuelle Villard” – 17/01/2002 – 01/04/2002  – Emmanuelle Villard 

Plusieurs tables sont connectées, elles imposent un sens unique de déambulation.

 

 

-Scénographie avec un parcours libre (déambulation libre) :

Intégration dans l’espace de nombreux éléments et de supports différents. Aucun marquage au sol n’indique un sens de circulation défini, l’usager est donc libre de déambuler où il souhaite.

 

Exposition ”Le plus tôt c’est deux jours mieux” – 21/10/2019 –  17/11/2019 – Seulgi Lee

Un espace avec des objets au sol et sur les murs, un mur entier a été peint en rose pastel. 

 LE PLUS TÔT C’EST DEUX JOURS MIEUX – La Criée centre d’art contemporain (la-criee.org)

 

Exposition “Slow season” – 13/06/2013 – 14/08/2013 – Mahony

Un espace composé de différents volumes et des photographies en noir et blanc. 

Slow Season – La Criée centre d’art contemporain (la-criee.org)

 

Le « White Cube » nous réserve encore bien des surprises. Les scénographies n’ont de cesse d’être modifié au fils des expositions pour valoriser les œuvres. Au fur et à mesure des saisons, les visiteurs se trouvent face à des espaces qui changent, qui déstabilisent leurs perceptions. Telle une page blanche qui laisse libre cours à l’imagination de chaque artiste. Ils viennent raconter sur cette page blanche leur histoire en s’appropriant l’espace tel Mathis Collins. Le « White Cube » permettrai-t-il une plus grande liberté d’expression à travers la scénographie ?

Roxane, Mélanie, Irène

Polichinelle, un personnage aux multiples facettes

mardi 9 mars 2021

Polichinelle, un personnage aux multiples facettes.

La commedia dell’arte est un genre de théâtre populaire apparu en Italie vers 1550. Ce genre théâtral se caractérise par des personnages stéréotypés et des situations burlesques. À l’exception des rôles amoureux, tous les acteurs portent des masques. Parmi ce panel de personnages, Mathis Collins choisit d’utiliser Polichinelle. Sous son nom italien Pulcinella, il est un serviteur tantôt idiot, astucieux, courageux ou poltron. Il a un caractère retors, inquiétant, un peu diabolique et magouilleur. Il aime se battre, est fanfaron, naïf et enfantin dans le langage. Il peut adopter plusieurs rôles: valet, boulanger, aubergiste, gardien de monastère, paysan, marchand, soldat, bandit, voleur. Il ne garde aucun secret, de là l’expression « un secret de Polichinelle ». Du côté de son physique, il est bossu, ventru, et difforme avec un nez crochu. Pour son costume, il a une chemise blanche, serrée dans une ceinture. Il porte également un long chapeau typique gris et un masque noir ridé et au nez crochu. Il ne se sépare jamais d’un énorme gourdin. Ce personnage n’occupe pas une grande place dans la littérature dramatique mais est beaucoup plus présent dans le théâtre de marionnettes.

 

 

Au XVIIe et XVIIIe siècle, Jean Brioché importe Polichinelle dans le monde de la marionnette. Les interdits royaux sur la parole provoquent l’émergence d’une littérature consacrée au théâtre de marionnettes, portées par des auteurs comme Fuzelier, Lesage et d’Orneval, séduits par une liberté d’expression retrouvée. En 1808, Laurent Mourguet s’inspire du théâtre italien et notamment de Polichinelle issue de la Commedia Dell’arte pour donner vie à ses personnages de marionnettes dans son théâtre, Guignol. Emblème de la ville de Lyon, Guignol est tout à la fois l’héritier des traditions du XIXe et un support vivant des traditions théâtrales du spectacle français de la marionnette. À cette époque, le théâtre de marionnettes est souvent improvisé selon l’humeur du marionnettiste et l’actualité, il remplit une fonction de gazette et se dresse de manière ludique et drôle contre les injustices que subissent le peuple. Guignol apparaît donc comme le porte-parole du peuple, prenant la place d’un Polichinelle qui laisse le public dans le courant individualiste et libertaire du Premier Empire.

 

 

On retrouve cette revendication populaire et cet engagement politique dans le travail de Mathis Collins au travers du personnage de Polichinelle qu’il utilise dans ses œuvres accompagnées de son gourdin. Dans son tableau Artiste policier danseur de corde la figure du polichinelle est représentée en équilibre tel un funambule. Cette représentation fait écho aux artistes de rue italiens de la Commedia dell’arte, qui pour éviter la censure devaient s’élever. En effet, au-delà d’une certaine hauteur la liberté de parole leur était accordée. Les comédiens ont dû s’adapter pour contourner la censure qui sévissait à cette époque.

Ainsi donc, le travail de Mathis Collins s’inscrit dans une continuité vis à vis des valeurs et de l’esthétique des personnages de la commedia dell arte. De par l’emploi de ces codes visuels qui ont su traverser le temps, Collins s’amuse à les réemployer dans un contexte politique et social actuel complexe.

 

Jeanne Hannecart, Morgane Bigot

 

 

La place du mime dans l’œuvre de Collins

jeudi 4 mars 2021

Le titre de l’exposition l’illustre bien, les mimes ont une place d’importance dans les oeuvre de Mathis Collins. L’artiste évoque par le mime le fait que les artistes de rues se sont, à travers les siècles, retrouvés confrontés à la censure. 

Collins nous raconte l’histoire des comédiens de la Renaissance, privés de parole sur scène quand seule la troupe du roi pouvait s’exprimer en français. Le mime permet de contrer cette censure, et Collins se retrouve dans le mime puisqu’il lui permet de transmettre par l’image. Il est question de la place de l’artiste dans son œuvre. Ici, l’artiste est absent. Alors, c’est le mime qui lui donne la parole. L’artiste se retrouve projeté dans l’œuvre et détourne ainsi la censure, il se synchronise à son oeuvre dans une habile mise en abîme de lui-même. 

L’expressivité des mimes se concrétise par le dessin mais aussi par ses attributs : que ce soit un gros ventre ou un nez crochu, la caricature est proéminente, instaurant une satyre à l’image de l’oeuvre de Chaplin qui se créé un personnage accessoirisé. On est alors face à des codes presque théâtraux où tout est exagéré. 

Libre à chacun d’interpréter à sa façon la présence du mime. Le premier degrés le rend risible de naïveté et de décadence comme dans les premières comédies. Même si l’artiste se base sur des opposés, comme L’artiste vs. Le policier, ce n’est pas tout blanc-tout noir, il n’y a pas forcément de gentil et de méchant. Cela peut être beaucoup plus subtile que cela, plusieurs niveaux de lecture sont envisageables et placent l’œuvre de Collins en témoin de la société humaine, de ses dérives et de ses bas instincts.

Une certaine grossièreté se dégage de ces oeuvres. Propre à l’humour en France et en Grande-Bretagne du XVIIe et XVIIIe siècle, il s’agit notamment d’une façon de renverser l’orde établi, de faire de l’art un outil de transcendance face au pouvoir et à la répression. À l’image de la cour du Roi qui jalousait le théâtre de rue pour son succès, une dénonciation des puissants est indéniable dans l’œuvre de Collins. 

-Triana et Marin

 

 

 

 

 

 

 

 

Le geste artisanal dans les oeuvres d’art de Mathis Collins

jeudi 4 mars 2021

Ci dessus : Mathis Collins,
Artiste policier contre l’art et l’artisanat (détail), 2020
tilleul et teinte à bois, 200 × 120 × 3 cm

 

Intéressons-nous plus particulièrement à la façon dont le geste artisan de Mathis Collins participe à brouiller la frontière entre arts majeurs et arts mineurs.

 

          Le geste est un mouvement du corps, révélant un état d’esprit ou visant à exprimer quelque chose. L’artisan en tant que véritable technicien du geste utilise ce dernier pour exercer un art mécanique ou un métier manuel exigeant des savoir-faire particuliers. Pendant longtemps art et artisanat ont été deux termes presque opposés : le terme “majeur” attribué à certaines formes d’art était destiné aux activités comme l’architecture, la sculpture, la musique… et l’appellation “mineur” était liée aux activités comme la joaillerie, l’ébénisterie… À l’origine ces termes étaient surtout utilisés pour définir le degré d’investissement et d’apprentissage nécessaire (supposé) pour maîtriser l’art en question. Ainsi en mélangeant travail du bois et sculpture, représentation du réel et thématiques populaires, c’est la limite entre ces deux typologies que Mathis Collins vient brouiller dans ses travaux. 

 

                                     

 

Artisan du bois ©artisanat-marocain.fr

 

          Le geste artisanal est très visible dans le travail de Mathis Collins, il s’agit d’un geste instinctif. Il dessine la scène au préalable puis il sculpte directement dans le bois en dégrossissant dans l’épaisseur et en creusant à la gouge. Le dessin se révèle alors sous ses gestes répétés. Une fois le dessin gravé, il souligne et insiste sur les détails qui lui paraissent importants en peignant et en ponçant. De ce fait, il réalise un véritable travail de technicien du bois au service d’une œuvre d’art et de son sujet. Ce type de geste du créateur est également visible dans de nombreuses oeuvres connues dans l’histoire des arts. On y retrouve des artistes comme Giacometti dont les sculptures arborent les traces de leur façonnage : ses oeuvres traduisent le geste créateur de l’artiste/artisan grâce à la fabrication des moules dans lesquels est coulé le bronze des sculptures. Les aspérités créées dans le métal par les irrégularités du moule sont volontairement visibles. Cette technique autour du moulage remonte à l’antiquité, c’est un savoir faire qui a su se transmettre de siècle en siècle tout comme le travail du bois et qui a permis à l’artiste de créer des oeuvres originales et singulières. 

 

                         

 

Mathis Collins,
zooms issus d’oeuvres diverses :
Traces de peinture, de ponçage, de gravure à la gouge et à la pointe

 

 

Alberto GIACOMETTI
Buste de Diego, 1954 bronze 26.2 x 19.2 x 10.0 cm

 

          Mathis Collins est dans une démarche d’appropriation d’un savoir-faire artisanal, celui du travail du bois, pour le réemployer dans sa propre pratique artistique et sa narration. Au delà
de la sculpture, il modèle les surfaces. Le geste raconte ici des histoires,
il ancre l’œuvre d’art dans ce qu’elle a de singulier : les traces de gouges, de pinceaux et de ponçage ajoutent à ses tableaux  une surface brute qui participe véritablement à la communication de son sujet. Cette narration du geste complète ses choix de personnages, d’histoires qu’il souhaite raconter. La mise en scène de ses peintures et de ses tableaux est induite et dépendante du geste d’artisan du bois. Ainsi on peut réellement affirmer que, même au delà des histoires racontées, tout dans son œuvre réfère aux cultures populaires. On pourrait ici comparer son travail à celui de Pierre di Sciullo qui réalise un travail à l’image d’un ancien peintre en lettres à l’heure des typographies numériques normées. Se servant de sa connaissance des signes typographiques et exploitant une dimension instinctive de la peinture Di Sciullo propose de vraies expériences graphiques dont le geste manuel assumé et visible vient appuyer la lecture de l’oeuvre. Collins et di Sciullo racontent des histoires, non seulement grâce aux images qu’ils produisent mais grâce au procédé. di Sciullo peint des mots, Collins ponçe et grave mais tout deux produisent des oeuvres. Est-ce alors un geste artisan ? Ou un geste d’artiste ? Peut-on dire qu’il s’agit des deux ?

 

 

Pierre DI SCIULLO
« Tout foutre par terre », photo de l’artiste en action

 

             

Julien RAOUT, peintre en lettres ©étapes

 

          Cet intérêt tout particulier pour les arts mineurs est propre à Mathis Collins, cela fait partie des différences notables entre son travail et le travail de son père, Paul Collins. Dans toutes ses œuvres il fait référence aux arts mineurs (théâtre de boulevard, spectacles populaires, artisanat) ce qui témoigne de sa volonté de s’intéresser à ce qui est “en marge” et de se réapproprier le geste qui va avec. La réappropriation est ici presque une revalorisation, les outils se voient et c’est volontaire. En cela on peut comparer le travail de l’artiste avec celui de Thomas Trum qui a pris le choix de montrer son appropriation de l’outil industriel : bras mécaniques et machines viennent tracer l’oeuvre d’art. Si Trum est considéré par tous comme un artiste est-il pour autant commun de qualifier un travail fait à l’outil industriel d’oeuvre d’art (au sens majeur du terme) ? Il établit un parallèle entre le monde de l’industrie et le monde de l’art tout comme Mathis Collins établit un lien entre les arts majeurs et l’artisanat. Dans leur façon d’envisager leur pratique artistique, ces deux artistes rendent leur noblesse à des procédés originaux et innovants pour Trum, et artisanaux et historiques pour Collins.

 

 

Thomas TRUM en pleine réalisation dans son atelier.
Il est équipé d’une machine industrielle de peinture pour réaliser ses aplats.

 

          L’art et l’artisanat ne sont pas opposés. Nous avons prouvé grâce à Mathis Collins et les autres artistes cités que la qualification d’une œuvre en tant que telle reposait davantage sur le geste au service de l’idée que sur la nature de ce dernier. Dans Système des Beaux-arts, Alain souligne que “la peinture naît sous le pinceau”. C’est quand l’imagination et la réalisation ne font plus qu’un et qu’outil et geste sont au service de l’idée que Mathis Collins crée de véritables œuvres d’art.

 

Laure & Lucie