Archive de l'Auteur

Les phénomènes météorologiques dans l’espace clos

mercredi 7 février 2024

Le 6 décembre 2023, nous nous sommes rendus au centre d’art contemporain La Criée, pour visiter l’exposition Avaler les cyclones de l’artiste contemporain Evariste Richer. Cette exposition propose de nombreuses œuvres spécialement conçues pour cette occasion, abordant de nombreux sujets différents.

Parmi l’ensemble de ces œuvres on peut notamment identifier un sujet particulièrement récurrent qui semble fasciner l’artiste : les phénomènes météorologiques démesurés. Cette observation se vérifie jusque dans le titre énigmatique de cette exposition, Avaler les cyclones, qui intrigue par la nature irréalisable de sa proposition.

Les cyclones sont des phénomènes météorologiques dévastateurs et incontrôlables qui peuvent atteindre plusieurs centaines de kilomètres de diamètre. Ces phénomènes météorologiques ont fasciné un grand nombre d’artistes à travers l’ensemble de l’histoire de l’art, des peintures de Turner au film Mad Max : Fury Road du réalisateur George Miller, Evarist Richer fait partie de ces nombreux artistes qui ont tenté de capter l’essence de ces phénomènes destructeurs.

Ainsi, nous avons tenté de comprendre comment les phénomènes météorologiques démesurés peuvent prendre place dans un espace clos ?  Nous tenterons de répondre à cette question en présentant tout d’abord les différentes œuvres que nous analyserons dans notre développement. Puis, nous nous intéresserons plus précisément aux moyens utilisés par l’artiste pour représenter ces phénomènes et les liens qui peuvent être fait avec d’autres œuvres d’artistes traitant de ce sujet. Enfin nous tenterons de comprendre les effets particuliers que ces œuvres peuvent susciter chez le spectateurs et les associations que nous pouvons identifier avec des œuvres, abordant les mêmes thématiques, qui cherchent également à susciter des réactions du public. 

Quels sont les différents phénomènes météorologiques démesurés représentés dans l’exposition ?

Durant notre visite à La Criée, nous avons pu identifier divers phénomènes météorologiques au sein de l’exposition. Une grande partie des œuvres présentes dans cette exposition peuvent se répartir en deux catégories correspondant à deux phénomènes météorologiques démesurés. Ainsi, on retrouve la première catégorie, rassemblant les œuvres représentant un cyclone avec : Cyclone et sa composition de dés à jouer, mais aussi Apocalypse et Histoire avec chacune leur pale d’hélicoptère associée à un objets beaucoup plus petit tenant dans la paume de la main. Dans la deuxième catégorie, on peut retrouver  un ensemble d’œuvres représentant la foudre avec : Monument à la dernière plume composée d’un paratonnerre et d’une canne, tous deux suspendus, et Le monde foudroyé, représentant les zones les plus frappées par la foudre dans le monde.

Le monde foudroyé (esquisse)

Par quels moyens sont-ils représentés ?

Le phénomène dans son action

D’abord, ces phénomènes peuvent être représentés dans leur action, venant ainsi les immortaliser, ce qui offre une lecture nouvelle puisque ces phénomènes sont souvent d’ampleur et dévastateurs. Cet aspect figé, on peut le retrouver dans la célèbre estampe La Grande Vague de Kanagawa d’Hokusai, ou encore dans les photographies de Marko Korošec représentant un mouvement figé par le vent. Cependant, ce n’est pas parce que le support initial ne permet de représenter qu’une version, un instant de ce phénomène, que cette représentation est nécessairement figée. On peut prendre pour exemple le tableau Snow Storm, Steam-Boat off a Harbour’s Mouth de J.M.W. Turner. Cette œuvre est une représentation figée d’un phénomène (d’un point de vue technique) : la peinture à l’huile ne bouge pas sur la toile, pourtant une impression de vitesse et de mouvement se dégage du tableau.

De plus, avec les avancées technologiques nous pouvons désormais réaliser une captation plus globale de ces phénomènes météorologiques, grâce à la vidéo. Ce nouveau support permet un mouvement visible et animé du phénomène, et peut rendre le tout plus réel aux yeux des spectateurs.

 La résultante du phénomène

Cependant, au sein de cette exposition, il nous a été donné à voir diverses manières de représenter les phénomènes météorologiques. Le deuxième type de représentation que nous avons pu observer est l’expression de la résultante du phénomène météorologique. La résultante des phénomènes météorologiques démesurés dans l’exposition peut se comprendre par l’utilisation de “débris” démesurés dans les œuvres Apocalypse et Histoire, faisant ainsi écho à la violence et l’importance de ces phénomènes (ici les cyclones). Cette mise en valeur des débris permet de donner à voir les conséquences d’un désastre monumental. Ces deux œuvres de l’exposition peuvent également être mises en relation avec des œuvres présentes hors de cette exposition, comme La tempête de Pierre Ardouvin, ou encore le tableau Le déluge exposé au Musée d’Arts de Nantes, qui donne à voir une population prise au piège par une pluie torrentielle.

Apocalypse

 Jeu d’échelle, jeu de rapport

Au sein de l’exposition, nous avons pu identifier un troisième principe de mise en œuvre qui s’appuie sur le principe de jeu d’échelle et de jeu de rapport entre deux éléments n’ayant au premier abord aucun lien établi, ce qui est le cas pour l’œuvre Cyclone par exemple. En effet Cyclone met en œuvre un jeu d’échelle puisque cette installation est composée de 69 750 dés à jouer, formant grâce aux différentes faces utilisées des nuances, créant l’image d’un cyclone vu du ciel. Cette œuvre met donc en relation deux éléments opposés de par leur taille et leur champ d’action/de dégradation possible. Le dé lui n’aura que peu d’impact, même s’il est mal lancé, alors que le cyclone lui, a un pouvoir destructeur immense. Cependant il est possible de rapprocher ces deux éléments, puisqu’ils comportent tout les deux une notion de hasard : le dé, lorsqu’on le lance pour jouer et le cyclone dans sa trajectoire car on ne sait jamais exactement où celui-ci va se diriger, on ne peut qu’estimer des directions et faire des hypothèses.

Il est aussi possible d’identifier un jeu d’échelle mais également un jeu de rapport dans les œuvres Apocalypse et Histoire puisqu’elle associe des pales d’hélicoptère et une baguette de direction ou un crayon. Ces deux objets sont habituellement utilisés et portés par une main venant les animés et agir sur un orchestre ou un support papier. Ici, ils sont sortis de leur contexte et pourraient donner l’impression d’un certain contrôle opéré sur les cyclones, venant ainsi rythmer ou dessiner ce phénomène.

En sont-ils plus impressionnants ou alarmants ?

Générer un vertige inquiétant chez le spectateur

L’Évocation de phénomènes météorologiques monumentaux dans cette exposition, a pour effet de provoquer une forme de vertige. En effet, ces phénomènes destructeurs sont source d’inquiétude chez les être humains et l’utilisation des dés qui sont des objets dont le résultat est aléatoire, nous renvoient à la nature profondément incontrôlable de ces phénomènes.  De plus, les jeux d’échelle, entre la monumentalité des phénomènes météorologiques et les outils formels réduits (dés, canne), avec lesquels ils sont mis en relation, créent des associations déstabilisantes, qui accentuent cet effet de vertige par la nature hétérogène des éléments qui composent les œuvres. C’est notamment le cas dans les œuvres qui lient un paratonnerre et une canne d’aveugle, ou encore dans l’œuvre qui représente le phénomène du cyclone avec des dés, ou une nouvelle fois dans la carte du monde foudroyé réalisée à l’aquarelle.

Cyclone

Pousser à la réflexion du spectateur sur ces phénomènes et leur impact

Le spectateur de cette exposition peut être amené à opérer une forme de réflexion sur ces phénomènes monumentaux, leur impact dévastateur sur l’environnement, ainsi que sur sa vie quotidienne. De nos jours, les phénomènes météorologiques destructeurs sont de plus en plus fréquents et liés aux problématiques environnementales. Ces œuvres, ainsi que la visibilité qu’elles apportent sur ces phénomènes et leurs conséquences, peuvent pousser le spectateur à la réflexion. Une réflexion sur le rôle de l’être humain vis à vis de ces phénomènes et l’impact que ceux-ci peuvent engendrer sur l’environnement.

Cependant, les œuvres de cette exposition ne sont pas les premières à avoir cette approche. En effet, en 2021 la ville de Bilbao a vu son fleuve changer et accueillir une œuvre surnommée « La noyée de Bilbao ». Cette œuvre représentait le visage d’une femme à moitié plongé dans l’eau du fleuve, amenant une certaine inquiétude due à l’hyperréalisme du visage de cette femme. Le but de cette œuvre était d’interpeller le public sur les dangers liés au dérèglement climatique.

La noyée de Bilbao

Créer une atmosphère qui participe à une forme de narration

Atmosphère (synonyme d’ambiance) def : Ensemble des caractères définissant le contexte dans lequel se trouve quelqu’un, un groupe ; climat, atmosphère. (ex : Une atmosphère chaleureuse.)

La représentation de phénomènes météorologiques participe à l’installation d’une atmosphère, créée par une forme de narration entre les différents éléments au sein des œuvres. Cette narration, créée par l’atmosphère des phénomènes météorologiques, prend particulièrement son importance dans les œuvres cinématographiques. Les films ont l’avantage de pouvoir mêler l’image et le son et de produire un effet bien plus imposant et immersif sur le spectateur, ce qui lui demande moins d’effort d’imagination et l’aide ainsi à se projeter au sein d’une narration. Ces phénomènes participent ainsi à la narration et à la création d’une atmosphère au sein de laquelle le spectateur peut s’immerger. La nature incontrôlable de ces événements peut susciter une forme de fascination en rapport avec la fatalité et la monumentalité de ceux-ci.

C’est notamment le cas dans les films Le cheval de Turin, Mad Max : Fury Road ou encore The Lighthouse, qui installent une atmosphère angoissante dans les films par le biais de phénomènes météorologiques signifiés par l’image, mais également par le son caractéristique de chacun de ces phénomènes. Le son possède une importance capitale dans les œuvres cinématographiques et la manière dont il est lié à l’image varie énormément selon les films, ce qui crée des effets très différents. Par exemple, l’utilisation du son  “réel” du phénomène crée une forme de mise en situation de ce phénomène et le son vient souligner le visuel offrant une expérience plus immersive. Dans d’autres cas, le son du phénomène est remplacé par de la musique qui vient créer une contradiction avec l’ampleur et/ou la violence du phénomène, ce qui peut apporter une seconde lecture. Cette musique peut également renforcer cet aspect de violence du phénomène en contrastant avec son aspect grandiose et monumental. Une autre possibilité est l’absence de son qui vient souligner le visuel d’un phénomène météorologique d’ampleur. Cette démarche peut rendre l’image du phénomène plus saisissante ou bien à l’inverse, venir atténuer son impact et sa violence en retirant le son.

Scène de la tempête dans Mad Max : Fury Road

Omniprésence du vent dans Le cheval de Turin

 

Au sein de cet article, nous avons exploré différentes réponses permettant de comprendre comment les phénomènes météorologiques démesurés peuvent prendre place dans un espace clos. Nous nous sommes intéressés aux moyens utilisés par Evariste Richer au sein de ses œuvres pour représenter les phénomènes météorologiques que nous avons lié aux œuvres d’autres d’artistes ayant également exploré ce sujet. Nous avons également tenté d’appréhender les effets qui peuvent être produits par ces œuvres chez le spectateurs et les différentes filiation avec des œuvres abordant des thématiques similaires, et qui suscitent elles aussi des réactions auprès du public.

Grâce à notre recherche, nous avons pu conclure que les phénomènes météorologiques démesurés ont toujours été source d’inspiration dans l’histoire de l’art, par le vertige qu’ils génèrent dans l’esprit des artistes qui tentent d’immortaliser et de  représenter ces événements éphémères par différents moyens plastiques et techniques, pour en garder une trace. Car sans une représentation, qu’elle soit par le biais d’un tableau, d’une esquisse, d’une sculpture, d’une photographie ou d’une vidéo, ces phénomènes disparaissent et ne laissent sur leur passage que des débris et un espace marqué et accidenté.

E.E & L.G

 

Sources :

Se jouer de la vision

mercredi 7 février 2024

 

En entrant dans le centre de La Criée durant l’exposition d’Evariste Richer,
vous avez probablement été intrigué par l’œuvre Cyclone tapissant une g
rande partie du lieu.

 

 

En prenant une certaine distance, l’image du cyclone du point de vue d’un satellite semble tournoyer.
En s’approchant suffisamment près, on s’aperçoit que l’œuvre se dessine par une dizaine de milliers de dés à jouer, posés à même le sol. L’artiste a décomposé le cyclone en six valeurs de gris : l’un étant la plus claire et le six, la plus foncée. L’image tramée créée des demi-teintes en tirant parti de la limite de résolution de l’œil et provoque un effet d’optique par une vibration rétinienne à l’approche de la spirale.
En exploitant le pointillisme et la forme cubique du dé, Evariste Richer se joue de notre vue et trouble nos sens par l’agencement et la multiplication de ce petit objet du quotidien. Cyclone est un exemple parmi d’autres œuvres, qui influencent par différents moyens la perception du spectateur.

 

Comment le geste technique de l’artiste ou du designer sur un objet peut-il ainsi participer à la création d’une illusion d’optique ?

 

Une illusion d’optique désigne “la perception des données visuelles qui fournit des conclusions non conformes à la réalité objective en matière de forme, de distance, de dimension de couleur, d’orientation, etc.” Cette recherche est centré sur les perceptions de l’objet, qui se définit par “une chose solide ayant unité et indépendance et répondant à une certaine destination”.  Ainsi, comme pour l’œuvre cyclone, cet article cherche à analyser un panorama non exhaustif d’effets d’optique sur des supports tridimensionnels par le prisme du geste technique du concepteur.

 

1- L’anamorphose

 

 

Lors de la première impression, l’œuvre Dali de Bernard Pras semble être un amas d’objets sans rapports entre eux  (un piano, des chapeaux ou animaux empaillés) qui s’étalent sur une plateforme de quelques mètres.
Néanmoins, lorsqu’on se positionne bien en face, on peut voir distinctement le visage du peintre Dali qui prend forme. L’artiste est un spécialiste de l’anamorphose, une illusion qui consiste à transformer des images déformées en images « normales » si elles sont vues d’un point précis. Il joue ainsi avec la perspective du point de vue du spectateur par l’agencement d’un ensemble d’objets hétéroclites tridimensionnels qu’il réunit en une surface bidimensionnelle. 

Lors de la conception de ses œuvres, Bernard Pras prend une photographie à chaque élément ajouté sous un certain angle, puis il les suspend et assemble selon leurs volumes, nuances de couleurs, et inclinaisons. D’autres créateurs utilisent ce principe d’anamorphose par l’agencement d’objets. Pour pousser votre curiosité plus loin, allez jeter un œil au clip The Writing’s On The Wall du groupe OKGO sorti en 2014. Cette vidéo est entièrement axée sur la perspective : les illusions sont réelles, pour ainsi dire, et c’est ce qui rend cela époustouflant.  

 

 

2 – Jeu de perspective

 

Rocky est une crédence sculpturale qui, par ses niches, sert d’étagère de logement. Elle arbore une forme peu commune qui peut perturber notre regard avec ses casiers qui semblent être orientés de façon latérale. Ce décalage visuel génère ainsi une impression de perspective aplatie. Jouant sur les mécanismes optiques de perception de la profondeur de champ, de face Rocky paraît plate, alors que son épaisseur est de près de quarante centimètres.

 

 

Ainsi le designer joue avec les formes géométriques pour créer des motifs aux volumes déroutants. L’illusion d’optique naît du travail du métal soudé, de la coordination des couleurs, textures et volumes dans l’espace donnant l’impression d’une forme aplatie en deux dimensions. Autrement dit, cet objet est le fruit d’un jeu de perspective en tant qu’illusion mais avec, ici, une illusion de platitude, plutôt que de volume.

Le designer Charles Kalpakian joue avec la perception de l’espace et des volumes en imaginant cet objet dont la forme change selon l’angle avec lequel il est regardé. Il s’est inspiré des célèbres images d’illusion d’optique comme le cube de Vasarely, le travail du plasticien Georges Rousse ou encore le triangle de Pen Ross. 

 

 

Pour pousser l’analyse plus loin, ce fameux triangle impossible de Pen Ross jouant sur la perspective a inspiré le duo de jeunes designers Cristina Ródenas et Adrian M. Almonacid du studio Cuatro Cuatros pour dessiner ce vase 90°. Ici, l’interposition, l’orientation et la perspective créent une contradiction de l’espace qui nous fait percevoir quelque chose qui ne l’est pas.

 

3 – Illusion de mouvement

 

C’est également à travers des moyens techniques que notre perception peut être trompée. Dans son œuvre Gautama, dans la collection du Seattle Art Museum, l’artiste reprend l’objet tapis en se jouant de sa matérialité et en créant une illusion d’un changement d’état, du solide vers le liquide. Par sa forme, le tapis produit également une impression de mouvement, une illusion d’huile sur l’eau, comme si les pigments du tapis étaient figés dans le temps par les fibres du tapis.

 

 

Ahmed est un artiste contemporain qui explore l’artisanat et les techniques traditionnelles. Son domaine de recherche s’intéresse particulièrement aux religions du monde, aux écritures anciennes ainsi qu’à la calligraphie et au motif. Dans son projet de tissage pour la collection du Seattle Art Museum, Faig Ahmed se base sur le tapis azerbaïdjanais classique. Ainsi il travaille à partir de moyens de tissage traditionnels qu’il explore afin de produire de nouvelles formes visuelles de manière innovante. Par des procédés numériques, il pense et déforme ses pièces et modifie la forme et l’aspect du tapis. Il s’inspire des pratiques anciennes du tissage et expérimente avec des matériaux et des couleurs traditionnels. A travers sa pratique, il crée des illusions qui remettent en question notre perception à travers la matérialité de ses œuvres et par le moyen technique employé.

C’est donc une série d’œuvres que l’artiste à produit en 2013 et qu’il à pu exposer dans plusieurs pays du monde.
Le phénomène observé dans l’œuvre Gautama est ainsi également visible dans d’autres œuvres de l’artiste comme Dragons of Karabakh, œuvre plus récente datant de 2021.

 

 

Les illusions d’optiques sont connues majoritairement pour des effets graphiques en deux dimensions trompant notre regard. Ce panorama d’œuvres d’artistes et de designers permet de jeter un œil sur les effets d’optique qui s’appliquent aux objets. Que ce soit par l’anamorphose, par des jeux de perspectives ou par des illusions de mouvements, le geste technique du concepteur à un rôle à jouer sur la perception du spectateur, et demande ainsi un travail de forme, de couleur, d’agencement ou encore d’orientation. 

Pour pousser cet inventaire plus loin, n’hésitez pas à partager d’autres exemples pour les plus curieux.ses
d’entre vous 🙂

 

Sahra Yakoubene & Pandora Bec

Les Préoccupations Anthropocènes sous l’Oeil Créatif : Une Analyse des Phénomènes Environnementaux

mercredi 7 février 2024

Les Préoccupations Anthropocènes sous l’Oeil Créatif : Une Analyse des Phénomènes Environnementaux

L’anthropocentrisme est une doctrine ou une attitude philosophique qui considère l’homme comme le centre de référence de l’univers. Dans l’histoire de l’humanité l’anthropocentrisme a était abordé par différents penseurs, Léonard de Vinci s’est intéressé à cette notion à travers l’étude des corps, il parvint à donner une image parfois erronée mais visionnaire de l’intérieur du corps humain et à fournir une explication plausible pour la plupart des mouvements. Les mensurations de l’homme de Vitruve sont basées sur les proportions idéales du corps humain telles que décrites par l’architecte romain Vitruve dans son traité « De architectura ». L’homme de Vitruve illustre les mesures idéales du corps, mais l’utilisation continue de ses mensurations soulèvent des questions sur la diversité, l’inclusion et l’impact sur l’écologie mettant en lumière la nécessité de repenser les normes et les idéaux qui façonnent notre société contemporaine. La nature subit souvent les répercussions de ces comportements anthropocentriques, tous ces changements sont effectués en plaçant l’humain au centre des préoccupations, il est donc intéressant de comprendre comment les créatifs montrent leurs préoccupations anthropocènes au sein des phénomènes environnementaux.

Leonard de Vinci, L’Homme de Vitruve, réalisé en 1490 pendant la renaissance italienne.

I.  La main de l’homme est au coeur de tout geste créatif, elle est le symbole de l’exécution d’une idée que ce soit dans le domaine de l’art ou du design. La condition humaine et ses besoins prend toujours plus de place sur notre environnement naturel qui n’a plus la possibilité de se développer. Dans l’oeuvre Métagrêle de Evariste Richer les mains de l’homme sont moulées en béton et accueillent en leur centre des dés à 6 faces, il symbolise le contrôle de l’homme sur son environnement, l’humain est même maître du hasard.

Evariste Richer, vue de l’œuvre Métagrêle, La Criée centre d’art contemporain, exposition Avaler les cyclones, Rennes 2023

La nature s’adapte donc fatalement et conséquemment au mode de vie des humains, à travers les œuvres de Mark Dorf dans sa série Environnemental occupations, la condition humaine est mise en scène à différents niveaux de puissances, il est parfois spectateur, instigateur ou passif. Il est plongé au cœur d’un paysage qu’il à crée, une nature qui tente de survivre au milieu de formes industrielles. Composées majoritairement de béton et de formes cubiques, ces structures symbolisent l’industrialisation de notre société, elles sont plongées dans un environnement étonnement chatoyant et l’humain est souvent représenté de profil ou de dos dans son plus simple apparat, la nudité.

Mark Dorf, Sovereignty exposition solo mettant en lumière les photographies de l’ancien élève de SCAD, réalisé en 2011

Cette représentation presque idéalisée d’un monde naturel en déclin est le symbole de l’action de l’homme sur la nature. En effet le sujet de la crise écologique est traité mainte fois par les artistes et les designers mais souvent à travers leur propre prisme et par rapport aux soucis liés à la condition humaine, l’un des buts principaux des oeuvres qui rendent compte du dérèglement climatique est que la société en prenne conscience, de ce fait tout est tourné et pensé pour l’humain. Urban Ecology est un projet pensé par Fuminori Nousaku et Mio Tsuneyama, ils ont créés des modules afin de proposer une solution aux problèmes de précarité des logements en ville. l’habitat est construit avec des éco-matériaux et aux mensurations d’un studio citadin, la structure est conçue pour s’immiscer entre deux habitats. À travers cette proposition nous remarquons que les besoins de l’homme ne sont jamais remit en question. Le designer s’adapte toujours à ses besoins et continue d’amasser l’humain dans l’hypercentre. Le designer propose rarement des solutions alternatives qui suggèrent un nouveau mode de vie, l’humain et ses préoccupations siège toujours aux cœur de toutes créations artistiques ou de design.

Fuminori Nousaku & Mio Tsuneyama, Urban Fungus home exposé à la Toto gallerie, réalisé en 2024 au Japon

Dans le paysage contemporain de l’art et du design, des initiatives telles que Red Mud de Kevin Rouff, Guillermo Whittembury et Paco Bockelmann, ainsi que l’esthétique écologique étudiée par les étudiants de l’Université de Brighton, mettent en lumière une préoccupation croissante pour les problèmes environnementaux. Cependant, derrière cette façade « écolo », persiste parfois une vision utopique qui néglige de remettre en question le comportement anthropocentrique et le mode de vie humain. Les designers semblent davantage se soucier des besoins humains que de l’impact environnemental réel. Bien que de nombreuses alternatives soient envisagées, rares sont celles qui incitent réellement l’homme à modifier son mode de vie.

Kevin Rouff, Guillermo Whittembury & Paco Bockelmann, Red Mud est un un résidu de bauxite, un sous-produit de l’industrie de l’alumine, réalisé en 2024

II.  Tout demeure centré sur l’humain, dans un cadre urbain souvent déconnecté de la nature. Certaines œuvres telles que Ice Watch de Olafur Eliasson exposent la nature extraite de son environnement d’origine, cette œuvre est questionnante quant à sa mise en place. Certes cette œuvre confronte l’homme à l’impact de ses actions sur la nature mais en réalisant cette œuvre, en héliportant plusieurs énormes blocs de glace provenant tout droit de glaciers millénaires elle a elle aussi un impact très néfaste sur l’environnement. Sa démarche est bonne mais est-il vraiment nécessaire de déplacer l’effondrement écologique au cœur d’une ville pour que l’humain se rende compte de ce qui se passe ? Pourquoi cette nature délaissée est encore pillée pour renvoyer le message de sa souffrance ?

Olafur Eliasson, Ice Watch sur la place du Panthéon à Paris, réalisé en octobre 2014

Au contraire, le mouvement Arte Povera prend la nature elle-même comme matière artistique, offrant une réflexion sur la relation entre l’homme et son environnement. Dans ce mouvement la nature est contemplée, faiblement transformée, la main humaine n’est pas supérieure mais mise à la place la plus juste dans une démarche respectueuse de l’environnement. En fin de compte, la transition vers un mode de vie plus respectueux de l’environnement ne peut être simplement une question de design ou d’art. “ La transition énergétique est, avant tout, un projet politique”- Descola, 2000. Néanmoins, les artistes et designers voulant s’en rapprocher se doivent de prendre le temps de respecter tous les facteurs pour une démarche vraiment enracinée dans le respect de l’environnement. Ils ne peuvent se contenter de la satisfaction artificielle d’un public de plus en plus demandeur d’un pseudo-engagement.

Le manque de représentation de la faune et de la flore dans l’inquiétude environnementale au sein des œuvres d’art et de design est une lacune frappante qui révèle souvent le prisme anthropocentrique de ces préoccupations. Alors que les problèmes environnementaux suscitent de plus en plus d’attention et de préoccupation à travers le monde, il est remarquable de constater que la nature est souvent vue par l’œil humain, que l’inquiétude est tournée autour des bouleversements vécus par l’humain. Il y a un manque considérable sur la représentation des autres espèces vivantes constituant l’environnement. L’humain, en tant que centre et mesure de toutes choses, tend à se concentrer sur ses propres préoccupations, défis et expériences au détriment de la faune et de la flore.

Les artistes et designers, imprégnés de cette vision du monde, peuvent donc être portés à représenter principalement des aspects de la vie humaine et à reléguer la nature à un rôle secondaire. Dans de nombreux cas, l’inquiétude environnementale exprimée dans les œuvres d’art et de design se concentre principalement sur les conséquences des activités humaines sur l’homme lui-même, telles que les changements climatiques, la pollution ou la perte de biodiversité, sans nécessairement inclure une réflexion approfondie sur les conséquences pour la faune et la flore. Lorsque la faune et la flore sont représentées dans des œuvres telles que l’œuvre photographique de Dmitry Kokh, c’est sous le prisme du changement environnemental qui va faire changer la condition humaine que l’empathie apparaît, l’animal en tant que tel est sujet d’inquiétude.

Dmitry Kokh, Polar Frame est issue de la série « Les ours polaires se déplacent dans une station météorologique arctique abandonnée », réalisé en janvier 2022

La reconnaissance du changement environnemental est une inquiétude par transposition vers l’humain, l’environnement change, que va-t-il se passer pour nous ? L’empathie n’est pas directement tournée vers la nature elle-même mais elle est plus un sujet d’inquiétude en projection sur nos modes de vie. En adoptant une perspective moins anthropocentrique, les artistes et designers pourraient donner voix à la nature et lui accorder la place centrale qu’elle mérite dans nos préoccupations environnementales. En mettant en lumière la beauté, la diversité et la fragilité des écosystèmes naturels, ils pourraient contribuer à élargir notre compréhension et notre empathie envers le monde vivant en changement qui nous entoure. 

En conclusion, le manque de représentation de la faune et de la flore dans l’inquiétude environnementale dans les œuvres d’art et de design révèle un déséquilibre dans la manière dont nous percevons notre relation avec la nature. Pour aborder de manière plus complète et équilibrée les défis environnementaux auxquels nous sommes confrontés, il est essentiel que les artistes et les designers considèrent la biodiversité comme un élément central de leurs réflexions et de leurs créations. L’inquiétude n’est-elle pas d’abord dirigée autour de la condition humaine dans un environnement qui va mal ? L’auteur principal de ce bouleversement n’a-t-il pas une fois de plus les yeux braqués sur son nombril, oubliant qu’il entraîne dans sa chute des victimes innocentes ?

Meyer Bisch Gladys & Chagas Nina

Complémentarités

mercredi 7 février 2024

Complémentarités

À travers l’exposition Avaler les Cyclones d’Évariste RICHER

La complémentarité est au cœur du travail de l’artiste français Evariste RICHER. Celle-ci semble animer les êtres humains depuis une époque antique. En effet, elle semble être une quête, une réponse recherchée. Comme en témoigne le mythe des sphères androgynes de Platon coupées en deux par Zeus, qui aurait condamné chacun·e d’entre nous à chercher sa moitié pour retrouver leur complétude. Ainsi, bien que cela reste un mythe, cette recherche de complémentarité se retrouve dans des productions ou des moyens d’expression humains.

Les œuvres de l’exposition « Avaler les Cyclones » d’Evariste RICHER, présentée d’octobre à décembre 2023 au centre d’art contemporain La Criée à Rennes, présentent certaines dualités. Si l’on élargit un peu le spectre, et parce que nous sommes étudiants en design produit, elle peut aussi s’exprimer dans ces disciplines. Comment se manifeste la complémentarité dans ces œuvres et, par extension, dans le design produit ? Elle peut avant tout être formelle, de l’ordre du sculptural, ou bien visuelle, de l’ordre du pictural. Enfin, elle peut être plus suggérée par un discours ou un geste. Nous évoquerons dans cet article les différentes formes que peut prendre la complémentarité et l’influence qu’elle aura sur l’œuvre et sur notre perception de celle-ci.

1. Complémentarité formelle

En circulant dans l’exposition, nous passons entre des œuvres telles que Festina Lente ou Noyau du monde. La première se compose d’un mégaphone et d’un fossile d’ammonite dont la forme ellipsoïdale aplatie vient boucher l’amplificateur du mégaphone. La seconde, quant à elle, représente deux mains tenant chacune une pierre, à savoir une sphéro-sidérite présentant un nodule sphérique et un namacalathus, fossile d’origine animale présentant un trou où viendrait se nicher le nodule. Ces œuvres, présentées de la sorte, sont des exemples de ce que nous appelons la complémentarité formelle. 

Festina Lente, Évariste RICHER, 2023 ; Crédit photo : Louis DANET

Par complémentarité formelle, nous entendons en premier lieu l’idée d’assemblage, d’emboîtement physique. Il peut répondre à un besoin technique, c’est-à-dire relier et faire tenir plusieurs pièces entre elles et assurer la structure d’un ensemble. En design produit, il est important de se questionner sur comment sont assemblés les objets car c’est ce qui leur permettra d’exister. D’un point de vue technique, voire industriel, les assemblages, malgré leur importance, sont souvent cachés. Cela peut s’expliquer parce que les objets présents ne sont pas pensés pour être compris et réparés, et parce que cela est parfois plus rapide et moins cher, on préférera la colle ou la soudure à un assemblage vis et écrou.

Dans le cas des œuvres, la complémentarité est visible et rendue évidente. Comme si les formes étaient faites pour s’assembler et que le porter à nos yeux avait un intérêt particulier. De ce fait, l’assemblage de formes complémentaires répond aussi à un besoin d’harmonie. Ce besoin, il en est évidemment question dans le design produit tant l’aspect esthétique et plastique d’un objet peut être induit par l’objet lui-même ou entre plusieurs d’entre eux, en gamme. Le·la designer peut s’attacher à rendre complémentaire, harmonieux, par un jeu de forme et de contre forme, les éléments de son objet ou de sa gamme. Sur ce point, aux yeux de l’usager, un objet peut être perçu comme “astucieux”, “bien pensé” ou simplement “marrant”.

En parlant de complémentarité formelle et de jeu de forme-contre forme, et pour faire un petit clin d’œil à l’architecture rennaise, l’opéra de Rennes, dessinée par Charles MILLARDET et construit par Pierre LOUISE au XIXe siècle a pour originalité de s’adapter à la forme de l’hôtel de ville qui lui fait face, l’avancée circulaire du premier correspondant au retrait du second, construit quant à lui par Jacques GABRIEL environ un siècle auparavant.

2. Complémentarité visuelle

La complémentarité n’est pas uniquement formelle, volumique : les éléments, assemblés, juxtaposés, peuvent former un ensemble visuel, une image figurative ou abstraite. Cet ensemble visuel se comprend une fois toutes les pièces réunies, bien qu’il peut être induit par chaque élément individuel (fragment d’image, etc.) à la manière de pièces d’un puzzle dont le dessin nous apparaît une fois que sont assemblées un certain nombre de pièces. 

À ce titre, nous pouvons évoquer l’œuvre Cyclone et Cercle de Cues #5. Cyclone est composée de plus de 10.000 dés à jouer qui, en fonction de leur nombre de points sur leurs faces, créent des zones plus ou moins foncées, qui forment à leur tour le dessin d’une dépression atmosphérique, d’un cyclone. Pris séparémment, les dés de cette œuvre ne forment aucun dessin et ne révèlent rien au·à la spectateur·ice si ce n’est une face d’1 à 6 points noirs sur fond blanc. Mis ensemble, complétés, ces légères différences de valeur permettent la création d’un ensemble visuel dont le·la spectateur·ice prend alors conscience, non sans un peu de recul et un hochement de tête.

Cyclone, Évariste RICHER, 2023 ; Crédit photo : Louis DANET

Cercle de Cues #5 est quant à elle composée de plaques de céramiques émaillées blanches et oranges qui viennent former un polygone, tendant vers le cercle, orange uni, tel “un soleil orange par delà les nuages et les tempêtes”. Autre exemple du même artiste, mais cette fois hors exposition, le service de vaisselle Bleu Élysée choisi par le président MACRON en 2018 – le débat sur le prix du service de vaisselle avait fait grand bruit à l’époque – est un exemple de complémentarité formelle. Individuellement , les assiettes ne forment aucune image si ce n’est une composition graphique abstraite, alternance de formes géométriques plus ou moins complexes et de tracés, mais une fois mises côte à côte elles font apparaître le plan de l’Élysée. 

Si la complémentarité visuelle nous fait quitter le champ formel de l’objet, elle n’est pas pour autant absente du design produit. Elle peut notamment permettre au·à le·la designer produit de jouer avec les limites formelles d’un objet, soit en les accentuant, si la complémentarité visuelle se met au service de la forme, ou au contraire en les estompant, la troublant, faisant se concentrer l’usager sur un ensemble visuel affranchi.

3. Complémentarité sémiotique

Enfin, il y a pour nous une complémentarité sémantique et sémiotique qui accompagne, crée ou dépasse les deux premières. Celle-ci relie plusieurs éléments sans liens rationnels apparents par un discours, un geste ou un signe qui peuvent expliquer ou exprimer la complémentarité. L’artefact créé est vecteur d’un message, que l’auteur·ice choisit de mettre en avant ou que le·la spectateur aura tiré de son interprétation. 

Dans Festina Lente, la complémentarité entre l’ammonite et le mégaphone n’est pas uniquement formelle, car tout autre objet ayant une forme similaire aurait pu être disposé à la place de l’un ou de l’autre. Les deux éléments se complètent au niveau du sens : l’artiste nous explique que l’ammonite est un fossile, qui renvoie au silence, au passé, s’opposant ainsi au bruit et au présent que renvoie le mégaphone, qui est un objet contemporain. Son discours renforce donc la complémentarité de l’œuvre, la singularise. Dans Noyau du monde, les deux pierres sont issues de deux endroits éloignés du monde, les États-Unis et la Namibie. Sans le geste de l’artiste ces deux pierres n’auraient jamais été mises en lien, a priori jamais complétées de la sorte : nous le remarquons grâce aux moulages en plâtre des mains de l’artiste qui les tiennent et les montrent au·à la spectateur·ice. Ces mains sont d’ailleurs plus grandes que les pierres, ce qui questionne l’importance – prédominante – du geste de l’artiste. 

Un autre exemple marquant dans l’exposition sont les œuvres Apocalypse et Histoire, deux pales d’hélicoptère désassemblées auxquelles sont ajoutés dans leur prolongement une baguette de chef d’orchestre pour la première et un crayon de papier pour l’autre. Les deux œuvres sont positionnées face à face sur deux murs. S’il peut être facilement compris qu’elles se répondent, leur complémentarité propre n’est pas évidente. La baguette du chef d’orchestre donne le tempo de la musique, associée directement au temps tandis que le crayon d’architecte esquisse les dimensions de l’espace. Quels liens entre ces instruments de mesure et des pales d’hélicoptères ? Le souvenir de la rotation des pales, non sans faire écho à la force centrifuge d’un cyclone, les font devenir elles aussi, une fois démantelées, des outils de mesure, aiguilles d’une horloge, d’un métronome.

Apocalypse, Évariste RICHER, 2023 ; Crédit photo : Louis DANET

Histoire, Évariste RICHER, 2023 ; Crédit photo : Louis DANET

Cette complémentarité, quelque peu plus ésotérique, est davantage laissée libre à l’interprétation du·de la spectateur·ice. La complémentarité sémantique et sémiotique peut paradoxalement être basée sur un contraste. Les matériaux employés en design produit, outre leurs propriétés techniques, peuvent avoir une plasticité différentes qui renvoient à des milieux parfois opposés. C’est le cas d’objets dont certains éléments renvoient dans leur essence ou leur procédé de mise en forme à l’industrie, l’artificiel, quand d’autres, parfois laissés plus bruts, renvoient plutôt – non sans une certaine naïveté – à l’artisanat, au “naturel”. Cela peut avoir pour but de créer un équilibre dans l’objet, une complémentarité, ou un déséquilibre, un duel, selon le message, critique ou non, du·de la designer.


Il existe ainsi dans les œuvres d’Evariste RICHER et dans le design produit plusieurs formes de complémentarités. La complémentarité formelle, visuelle, sémantique et sémiotique qui peuvent respectivement permettre de répondre à un besoin technique d’assemblage, un besoin humain d’harmonie et qui peuvent servir un geste ou un discours.

Les œuvres citées de cette exposition présentent toutes des complémentarités. Celles-ci peuvent aussi à leur tour, et c’est certainement le cas de le dire, se compléter entre elles. Mais si le caractère “complet”, au sens technique du terme, est essentiel en design produit pour que l’objet assure correctement sa fonction, quelle est son importance dans l’art ? Elles participent sûrement au fait que l’on retienne une œuvre ou une anecdote, que ce soit parce qu’elles nous satisfont, nous amusent ou parce qu’elles nous laissent sceptiques. Mais l’œuvre d’art ne cherche pas forcément à être interprétée d’une seule manière invitant au contraire à ce que chacun·e en ait sa propre vision. Finalement, une œuvre d’art doit-elle forcément être complète ?

L.DANET, O.PANNE, M.VANHECKE – 2024

Dualité temporelle

mercredi 31 janvier 2024

 

« Avaler les cyclones » est une exposition d’Evariste Richer qui inaugure le nouveau cycle artistique du centre d’art contemporain de La Criée de 2023-2025 : « Festina Lente » signifiant Hâte-toi lentement. C’est en ce sens dans un monde allant de plus en plus vite, qu’il nous est dit de ralentir et de prendre le temps. Hâte-toi lentement est une oxymore entre lenteur et vitesse indiquant de faire les choses de façon plus lente, moins rapide. L’exposition « Avaler les cyclones », conçue comme une carte météorologique, présente 11 œuvres qui abordent les thèmes des dérèglements climatiques, des catastrophes naturelles et de l’accélération de notre perception du temps. Dans cette mesure, nous nous sommes penchés sur la dualité temporelle très présente dans cette exposition, où une certaine urgence nous est exposée afin de réinventer des usages et de prendre le temps de penser, de réfléchir des formes d’adaptation, d’alternatives ou de résistances aux crises actuelles notamment écologiques et sociétales qui rythment et affectent notre quotidien.

Nous pouvons définir la dualité comme la coexistence de deux composantes différentes, souvent antagoniques mais inséparables. Par exemple, on peut dire que la création est duale dans le sens où il n’y a pas de blanc sans noir, pas d’ombre sans lumière, pas de plein sans vide. Cette dualité se rapporte aussi à notre rapport au temps : Pas de présent sans passé. La dimension temporelle est relative aux choses matérielles marquées par le temps qui passe en s’inscrivant dans notre monde terrestre. Lorsque l’on évoque la notion de dualité temporelle cela se rapporte à une durée d’existence variable et distincte : il peut s’agir d’un mouvement instantané, brusque de quelques minutes, ou au contraire qui se déploie dans une temporalité bien plus longue, voire multiséculaire. Cette dualité temporelle renvoie aussi à la conscience d’un événement fait, passé et daté à l’inverse d’une réalisation qui se déroule à l’instant T.

Mais alors, par quels moyens l’artiste crée une dualité temporelle dans ces œuvres ?

Nous étudierons d’abord les moyens utilisés par Evariste Richer pour créer et illustrer la dualité entre patience et rapidité d’exécution, puis la dualité temporelle entre passé et présent. Pour approfondir cette réflexion, des œuvres et installations artistiques additionnelles seront intégrées pour éclairer notre raisonnement.

Opposition entre la lenteur de la représentation et la rapidité de l’événement

Entre chaos et précision artistique : mise en place méticuleuse des œuvres qui s’oppose aux événements météorologiques imprévisibles

Evariste Richer est un artiste sensible qui s’attache aux phénomènes naturels et à leurs temporalités. La rapidité de ces événements amènent l’artiste à les représenter de façon lente dans leur mise en œuvre, il varie donc les moyens de représentation afin de créer une dualité temporelle.

Cyclone

Cyclone – Dés à jouer

L’exposition « Avaler les Cyclones » propose une œuvre intitulée Cyclone, réalisée à partir de dizaine de milliers de dés à jouer posés sur le sol. Elle a été créée depuis une photographie satellite d’un cyclone, aussi dit dépression atmosphérique, sur laquelle l’artiste a suivi une trame. L’image se décompose en valeurs de gris avec le chiffre 1 représentant les couleurs plus claires et le 6 les couleurs plus foncées. L’œuvre Cyclone met en avant la dualité temporelle entre la rapidité d’un cyclone et la patience de mise en œuvre où les dés ont été triés et ordonnés, un à un donnant l’idée de maîtriser quelque chose que nous ne pouvons pas maîtriser. De plus, le rapport d’échelle de cette œuvre est renversé puisque le cyclone qui se produit habituellement au-dessus de nous est représenté à l’inverse, posé au sol sous forme de tapis. Ainsi, le visiteur peut facilement tourner autour et prendre du recul. Aussi, le pointillisme des chiffres dessinés sur les dés, appelé brail en creux selon l’artiste, provoque une vibration rétinienne lorsqu’on se rapproche de la spirale géante.

Le monde foudroyé

Le monde foudroyé – Aquarelle

L’exposition propose une seconde œuvre dont la réalisation a demandé patience et rigueur. Le monde foudroyé est une œuvre de grand format appliquée au mur et réalisée à l’aquarelle, représentant une carte du monde révélant les impacts de foudre sur la terre sur une année. Pour cela, l’artiste à utilisé des nuances de couleurs donnant les zones plus ou moins touchées par la foudre. Les zones les plus touchées sont représentées en noir et en rouge et sont la République Démocratique du Congo et le Venezuela. La technique utilisée est une technique longue nécessitant patience sur la représentation d’un phénomène naturel dont l’impact est furtif, très rapide.

Sculpter le temps : temporalité artistique et précision dans la représentation d’événements inattendu

La dualité temporelle est un vrai sujet de représentation pour les artistes et designers. Mario Ceroli, a aussi travaillé depuis cet angle de vue afin de représenter un phénomène naturel lié à l’eau et à la mer : la vague.

La Vague & Maestrale – Bois & verre

Mario Ceroli, sculpteur et figure majeure de l’art italien d’après-guerre, aime travailler le bois et le verre. Il a réalisé La Vague, en bois découpé, stratifié et Maestrale ou mistral en français, en verre vert stratifié et découpé. Ces immenses vagues sont réalisées à base de centaines de lamelles de bois et de verre ayant été courbées à certains endroits avec précision pour prendre la forme d’une vague déferlante comme si à tout moment les matériaux allaient s’écraser sur le sol de la galerie. L’énergie présentée dans ces sculptures est remarquable, les œuvres représentent un événement naturel très rapide et non calculé, de seulement quelques secondes tandis que les œuvres, elles, ont demandé de nombreuses heures de travail, demandant beaucoup de précision. Ceroli a ainsi utilisé du verre avec Maestrale, offrant un jeu de transparence, renforcé par un bon éclairage de l’œuvre, lui donnant ainsi une certaine puissance sculpturale. La Vague a été réalisée en bois ce qui marque davantage les nombreuses stries de l’œuvre et la minutie du travail que cela a nécessité.

Comme évoqué précédemment, l’exposition « Avaler les cyclones » est un oxymore mettant en avant la suspension et l’accélération, la lenteur et la soudaineté d’un événement climatique.
Ses œuvres illustrent également la dualité entre des références au passé et leur association au contexte contemporain. A travers son approche artistique, Evariste Richer interroge aussi le positionnement du spectateur en combinant évocation sensible et sélection plastique des médiums. Par conséquent, comment interroge-t-il le dialogue entre passé et présent dans cette exposition ?
Pour approfondir davantage, de quelle manière les artistes contemporains questionnent-ils notre conscience du temps tout en replaçant le spectateur dans le moment présent ?

Une dualité entre références au passé et rapport au présent

Interroger le dialogue entre matérialité historique et objet contemporain

Festina Lente – Mégaphone & Ammonite

Festina Lente est une œuvre se composant d’un mégaphone et d’un fossile d’ammonite. La scénographie met en avant le mégaphone, un objet évoquant le son, la prise de parole, porter une voix, alerter sur les urgences climatiques ou autre… Ce mégaphone est obturé par une ammonite, un fossile évoquant plutôt le silence, d’une pierre qui dort depuis plusieurs années. Ainsi, l’artiste crée une dualité temporelle en présentant ensemble un objet contemporain et un fossile de taille rare évoquant donc différentes temporalités, entre passé et présent.

Engager le spectateur dans un parcours figuratif confrontant l’histoire, le passé et sa posture actuelle de spectateur.

Évoquer différentes temporalités dans une seule réalisation comme le montre Festina Lente, permet d’avoir un nouveau regard entre les époques en les mettant en cohérence de façon à ce qu’elle ne fasse qu’une seule œuvre. En apportant cette vision entre chaque temporalité, cela peut amener le visiteur à avoir une posture différente et à intervenir à travers les différentes productions. L’installation de l’artiste Menashe Kadishman, qui se nomme Le Vide du Souvenir, offre cette posture d’intervention aux visiteurs au sein de l’œuvre créant ainsi une interaction entre deux temporalités différentes.

Le Vide du Souvenir – masque en acier

Au sein du musée juif situé en Allemagne, l’exposition nous invite à explorer Le Vide du Souvenir, une installation de l’artiste Menashe Kadishman qu’il a nommé feuilles mortes. Plus de 10 000 pièces en acier rondes, représentant des visages aux bouches ouvertes, recouvrent le sol de cet espace. Cette exposition retrace la vie de plusieurs juifs assassinés durant la Shoah mais aussi à toutes les victimes violence de guerre.
Face à cette exposition, l’artiste nous invite à marcher sur ces visages qui nous regardent afin de garder en mémoire leur histoire. Une forme de dualité temporelle vient se créer entre le monde du passé (les masques en acier) et le présent (les spectateurs). Ces visages sont disposés les uns sur les autres comme une forme d’entassement au sein d’un couloir qui s’assombrit au fil de la marche, de couleur assez terne, ce qui donne cette vision de lieu de mort.
En marchant sur ces masques, des bruits métalliques sont provoqués, pouvant faire écho aux cris des victimes, à leurs souffrances, chacun est libre d’interpréter ces sons. Avec ces éléments, l’artiste a permis de laisser place à la cohabitation entre chaque temporalité.

En conclusion, l’exposition « Avaler les Cyclones » d’Evariste Richer, inscrite au Centre d’Art La Criée, offre une plongée fascinante dans la dualité temporelle. A travers ces œuvres, l’artiste explore la confrontation entre lenteur et rapidité, passé et présent, et parvient ainsi à créer une expérience qui invite le spectateur à repenser sa relation au temps. La dualité temporelle se manifeste également dans la réalisation minutieuse des œuvres où la patience nécessaire à la représentation contraste avec la fugacité des phénomènes naturels.
En définitive, « Avaler les Cyclones” témoigne de la capacité de l’artiste à transcender les limites temporelles, à suspendre le temps dans ces créations, et à inviter le public à réfléchir sur la dualité inhérente à notre existence. À travers leurs œuvres, Evariste Richer et d’autres artistes contemporains nous encouragent à naviguer entre les époques, à reconnaître la coexistence de différentes temporalités, et à embrasser la complexité de notre rapport au temps dans un monde en perpétuel mouvement. Tout en ralentissant pour contempler ces œuvres, les visiteurs sont appelés à engager une réflexion profonde sur la nécessité de faire preuve de patience et de réflexion dans un monde souvent caractérisé par son accélération frénétique.

ABGRALL Charline, DEROUIN Zoé, FALAIZE Margaux, SICAULT-DEBRAIS Manon

La véracité des images

mercredi 31 janvier 2024

LA VÉRACITÉ DE L’IMAGE

Les Promesses, exposition Avaler les cyclones de Evariste Richer, 2023.Les Promesses, exposition Avaler les cyclones de Evariste Richer, 2023.

Il est plus connu sous le nom “Ceci n’est pas une pipe” mais ce tableau de René Magritte s’appelle en réalité La trahison des images. Il nous montre une pipe mais nous dit que ce n’est pas une pipe. René Magritte nous offre une interprétation de l’allégorie de la caverne de Platon, nous permettant d’y voir plus clair. L’œuvre est un tableau, une image, une représentation, ce que nous voulons mais pas une pipe. Celle-ci est en effet seulement la représentation que nous nous faisons d’une pipe. Si nous étendons cette vision à toutes les images, elles ne sont ni pure illusion, ni vérité totale. Or, la photographie, par son principe, se veut reproductrice de la réalité. Nous pouvons alors nous demander dans quelle mesure la photographie est-elle une retranscription objective de la réalité ?

La trahison des images, René Magritte, 1928.
La trahison des images, René Magritte, 1928.

Il convient tout d’abord de définir les termes liés à cette problématique. La véracité renvoie à ce qui est conforme à la vérité, à la réalité. Si on s’intéresse au concept de réalité, il s’agit de ce qui existe indépendamment du sujet, de ce qui n’est pas le produit de la pensée. La véracité des images renvoie ainsi à une retranscription de la réalité pure de toute interprétation ou intention de retranscription.

À l’évidence, il est souhaitable de savoir si le principe mécanique de la photographie obéit à cette véracité. Le trajet de la lumière : “au repos”, lorsque le photographe fait sa composition, la lumière entre dans l’objectif, elle est focalisée grâce aux lentilles, entre par le diaphragme vers le miroir, est reflétée vers le prisme, puis vers l’œil du photographe. Pendant le déclenchement, la lumière entre dans l’objectif, elle est focalisée grâce aux lentilles, dosée par le diaphragme et elle imprime ensuite le capteur pendant le déplacement des rideaux de l’obturateur. Finalement, la photographie induit bien une retranscription d’un instant “t”, à travers des principes physiques et chimiques. Les photons contenus dans la lumière deviennent un signal électrique qui est ensuite traité pour devenir une image.

Schéma du fonctionnement de l'appareil photo.Schéma du fonctionnement de l'appareil photo.

Une retranscription de la réalité 

La photographie se veut être une retranscription du réel. Avec l’invention de la chronophotographie en 1882, Étienne-Jules Marey nous offre une nouvelle technique photographique. Celle-ci consiste à prendre une succession de photographies, permettant alors de décomposer chronologiquement les phases d’un mouvement, qu’il soit humain ou animal, ou d’un phénomène physique, trop brefs pour être observés convenablement à l’œil nu. Dans l’Escrimeur, le scientifique nous montre la véritable nature physique du mouvement. Bien que la réalité soit capturée, nous pouvons nous interroger sur la valeur esthétique de la vérité. Selon Howard S. Becker, “il est clair pour [lui] que, même si l’image est placée dans le champ de l’“art” et pas dans celui de la “science”, ceux qui la regardent se demandent malgré tout si l’on peut dire que ce qu’ils voient est “vrai”, quel que soit le sens que l’on accorde à ce mot. Par conséquent, il reste à explorer l’usage de la “vérité” à travers un prisme subjectif.”

Escrimeur, Étienne-Jules Marey, 1890.Escrimeur, Étienne-Jules Marey, 1890.

La sémiotique des images

Pour comprendre l’influence que peut avoir l’interprétation d’une image, il est nécessaire de comprendre les différents niveaux de lecture d’une image. Saussure nous livre une lecture linguistique. Selon lui, les signifiés linguistiques sont conceptuels. Ce sont les représentations mentales liées aux signifiants, c’est-à-dire aux formes graphiques et acoustiques d’un signe linguistique. Barthes élargit d’ailleurs les concepts de Saussure. Ces signifiés incluent les significations culturelles et symboliques qui émergent de l’interaction des signes avec leur contexte. Les signifiés de Barthes ont une dimension symbolique. On peut cependant ajouter un troisième champs. Le signe peut se référer à une matérialité du monde, à un événement ou à une action dont l’image fait la représentation. On appellerait donc cette caractéristique, un référent (réalité physique ou conceptuelle du monde). Par exemple, dans le cas de la photographie Torse de femme de Nodjima. Le signifié (le concept), c’est une belle femme.

Cette perception peut changer en fonction de chaque spectateur, ainsi l’adjectif ‘belle’ renvoie au concept de beauté, celui-ci est subjectif dépendent entre autre, des codes culturels de chacun (les canons de beauté changent en fonction des époques et des lieux par exemple). Le signifiant (face matérielle perçue) : c’est la reproduction imprimée de la photographie d’une femme. Le référant (réalité physique, événement, action) : c’est une femme se peignant les cheveux en 1930. L’interprétation d’une image est donc propre à chacun·e et fait appel à de nombreux facteurs dont les codes culturels, marquant ainsi la lecture d’une image. La réalité ou la véracité perçue est donc une lecture personnelle. Néanmoins, d’autres facteurs sur notre compréhension de l’image rentrent en jeu.

Torse de femme, Nojima, 1985.Torse de femme, Nojima, 1985.

La partialité des images

Outre les codes culturels, la notion de cadre suggère également une certaine subjectivité puisque l’individu choisit de capturer la réalité sous un certain angle, obstruant ainsi la vérité totale. Nous pouvons donc remettre en question la véracité des images. Il s’agit en effet d’une vision fragmentée du sujet photographié. En prenant une photographie, l’individu fait inconsciemment un choix, une interprétation de sa réalité. Dans Les Promesses, Evariste Richer nous montre cette partialité. La série de photographies, au format de cartes postales, dépeint des chaînes montagneuses très colorées en guise de décors. Il s’agit de vues du parc géologique Zhangye Danxia en Chine, collectées sur internet. L’artiste a réalisé un photomontage en incrustant dans le champ de l’image sa main tenant un nuancier Kodak, rendant ainsi visible la falsification des couleurs. Un mystère demeure autour de ces hauteurs puisque ces photographies sont les seules indices de leur existence et pour autant, nous pouvons nous questionner sur la véracité de celles-ci. Le gouvernement chinois interdit en effet la prise de vue de cet environnement. Cela donne donc lieu à une vision imposée. Cette œuvre invite à nous interroger sur la fiabilité des sources.

Les Promesses, exposition Avaler les cyclones de Evariste Richer, 2023.Les Promesses, exposition Avaler les cyclones de Evariste Richer, 2023.

L’instrumentalisation des images

En effet, au cours de l’histoire, la manipulation de différents facteurs précédemment vus, comme le cadre ou l’exploitation de codes symboliques permet une utilisation des images pour promouvoir, déformer ou dénoncer une réalité. La photographie, La violente histoire des Olympiades populaires de 1936, fait partie d’une campagne de propagande du Reich. On sait que cette photographie est issue d’une réflexion quasi chorégraphique. La perspective, le cadre et les figurants sont tous assidûment placés afin d’influencer l’interprétation faite de l’image. Les codes utilisés transmettent une vision unifiée et fière d’un pays à travers la jeunesse hitlérienne et le décor mis en place. On peut aussi penser que l’Allemagne est un pays ouvert et accueillant à travers l’accueil de la flamme olympique, symbole d’une unification mondiale. Les images peuvent donc être manipulées à travers la maîtrise de la sémiotique.On peut se demander si d’autres paramètres permettent de manipuler une image.

La violente histoire des Olympiades populaires, anonyme, 1936.La violente histoire des Olympiades populaires, anonyme, 1936.

La manipulation des images

Qu’une photographie soit le résultat d’une prise de vue simple, d’une prise de vue retouchée, voire même d’un montage, il n’y a aucune différence de principe. La photographie n’est qu’une représentation, l’expression de quelque chose de propre à son·sa auteur·rice. La photographie est dite “réelle” et les techniques de trucage et de retouche photo reviennent à “transformer la réalité”. Dans Les Promesses, Evariste Richer remet en question la véracité des images, qu’elles soient artistiques, touristiques ou encore politiques. À partir de son photomontage, l’œuvre invite à nous questionner sur la fabrication des images et l’illusion du réel à l’heure du numérique et de l’intelligence artificielle. L’idée sous-jacente que les techniques de retouche et de photomontage permettent de “manipuler” la réalité, de tricher et de “mentir”. Celles-ci reposent donc sur une conscience inexacte de ce qu’est la photographie. Il appartient ainsi à l’individu qui perçoit toute expression quelle qu’elle soit d’avoir une capacité de jugement suffisante, c’est-à-dire une raison, afin de ne pas être “manipulés”, “dupés”.

Pour conclure, le seul moyen d’avoir une vision complète et véritable d’une image est d’avoir une vision complète des éléments gravitant autour du fait représenté. On peut illustrer cette vision avec l’œuvre One and three chairs de Joseph Kosuth. Pour comprendre parfaitement un fait il faut voir l’objet réel qui est représenté, son image et sa définition, c’est-à-dire la détermination précise et concrète des caractères distinctifs du fait. Il semble également important d’analyser les symboles présents et la symbolique des images afin de repérer la volonté de l’auteur.

One and three chairs, Joseph Kosuth, 1965.One and three chairs, Joseph Kosuth, 1965.

D’autres sortes d’images peuvent retranscrire un fait réel. C’est le cas du Monde foudroyé. Cette aquarelle de grand format représente une carte du monde dont les nuances de couleurs révèlent le nombre d’impacts de foudre sur la terre au km² par an. Le nuancier de couleurs qui accompagne la carte rappelle celui du spectre lumineux. L’artiste utilise ici des données scientifiques, les retranscrivant à travers un médium qui lui est propre : l’aquarelle. L’œuvre est d’ailleurs accompagnée d’un cartel expliquant le contexte de celle-ci. Bien que cette peinture soit de l’ordre de l’art, elle permet tout de même d’illustrer des données tangibles, devenant ainsi proche d’une certaine véracité.

Le monde foudroyé, exposition Avaler les cyclones de Evariste Richer, 2023Le monde foudroyé, exposition Avaler les cyclones de Evariste Richer, 2023.

Sources

Art Shortlist. (s. d.). Focus sur une œuvre : La trahison des images de René Magritte.
Bordron, J. (2017). Chapitre 1. La question de la vérité dans le contexte de l’image. Presses universitaires.
Bordron, J. (2013). Image et vérité. Actes sémiotiques.
Gayet, L., & Baldacchino, J. (2016, août 28). La trahison des images de René Magritte. France Inter.
Jeanneney, J., Guérout, J., & Mandelbaum, Y. (2018, 13 octobre). L’image comme preuve, l’image comme mensonge. France Culture.
Journet, N. (2016, 7 avril). Vérité et illusion de l’image. Sciences Humaines.
Joseph Kosuth. Histoire de l’art. Eklablog.
Justine. (2023, 29 septembre). Signifiant / signifié : Saussure vs Barthes. Visualdsgn. visualdsgn.

             Texte : Gruber Anaïs et Lhériau Linna

Matériaux

vendredi 16 décembre 2022

Lors de l’exposition The Sun Is My Only Ally,  nous avons remarqué la place prépondérante qu’occupent les matériaux dans l’ensemble des oeuvres d’arts de Charbel – Joseph H. Boutros.

Pour cela, en vue de la diversité et du nombre des matériaux (au sens large) présent dans cette exposition, nous les avons classé en 4 catégories perméables qui nous semblaient pertinentes en vu de notre propos : Matières vivantes – Matière Spatio-temporelle  – Support – et Intangible.

Pour la catégorie « Intangible » vous pourrez vous référer aux billets de blog sur le Soleil, le Rêve et «Rendre tangibles les émotions ». La catégorie matériaux support sera abordée par le billet de blog traitant de la scénographie. Notre propos se concentrera dans un premier temps sur les « Matières vivantes » et dans un second temps nous aborderons les matières dites « Spatio-Temporelles ». Pour finir nous conclurons pour voir dans quelle mesure les matériaux vivants et spatio-temporels participent à ses oeuvres.

 

« Matières vivantes » est une catégorie qui recense les interactions directes ou indirectes de l’artiste avec d’autres individus dont il s’est servi pour créer ses oeuvres avant, pendant et après l’exposition.

 

 

En effet, l’oeuvre de l’artiste consacre une part importante aux individus, et plus exactement, aux interactions. Elles se manifestent sous différentes formes tout au long de l’expérience. À commencer par l’oeuvre : The Exhibition Between Us. Ces 2 dalles de granit, immortalisent l’entrée du premier et du dernier visiteurs de cette exposition. Ce moment, de début et de fin, commun à toutes les expositions a été exploité ici comme prétexte à la réalisation de son oeuvre. A l’aide d’un sculpteur, il grave la première et la dernière interaction avec ses oeuvres dans ce lieu et son public. Ce jeu invisible, convoque 3 acteurs : le sculpteur, ainsi que 2 spectateurs à leurs insu.

La manière dont il a de s’emparer de la présence même d’individus sans pour autant qu’ils en soient avertis se retrouve à plusieurs reprises dans ses oeuvres. Amitié, une paire de chaussure Stan Smith en est le
symbole même. La chaussure droite, offerte par l’artiste à un de ses ami résidant à Beyrouth, a été portée durant 6 mois, avant de retrouver l’autre chaussure gauche : portée par l’artiste lui-même durant ces mêmes 6 mois. Elles se sont retrouvées pour l’exposition. Une oeuvre d’art, 1 protagoniste et 1 acteur.

Ce jeu qu’aime instaurer l’artiste avec l’humain se ressent plus concrètement à travers la scénographie et l’emploi obligatoire du catwalk par le personnel de l’exposition. Une mise en scène du personnel de l’exposition, participant à une mise en abîme d’une partie de sa démarche artistique : l’orchestration de certaines des ses interactions pour magnifier ses oeuvres.

 

L’artiste aime se jouer du temps qui passe, soit en le figeant ou en montrant son impact. Dans cette démarche, le temps et la géographie deviennet alors visibles et palpables.

Dans cette volonté de figer, de protéger les objets, l’artiste effectue un rituel à l’aide de cire, qu’il vient couler sur plusieurs de ses œuvres conservant précieusement l’objet témoin dans sa propre histoire.  Au cours de ces différentes expositions, il réalise de nouveau coulage sur ses objets ritualisant et amplifiant la création qui se voit renouvelée dans une nouvelle dimension.

Profondément attaché à ses racines. Cette cire prend une portée toute particulière pour Joseph H. Boutros, qui à travers elle nous fait part de son histoire. Elle provient de son lieu de naissance : Le Mont Liban, là où vit encore sa mère qui par sa croyance se rend régulièrement à l’Eglise et qui au sein même de la bâtisse prélève la cire des bougies votives. Ce matériau est en lui-même une représentation du temps pouvant se transformer d’un état liquide vers un état solide et inversement, un cycle symbolique dans sa temporalité.

Vous l’aurez compris, le temps, est une thématique majeure dans le travail de cet artiste. A contrario de chercher à protéger l’instant, Joseph H. Boutros laisse également ce temps filer pour créer des œuvres évocatrices, témoin du temps qui s’écoule.

C’est notamment le cas dans son œuvre « Three Abstractions on Three Histories » qui met en scène de façon palpable trois histoires et trois temporalités différentes. On peut y voir au-dessus de nos têtes, trois chemises d’hommes placées de façon chronologique. Comme suspendue dans leurs temporalités, leurs couleurs et leurs marques d’usures témoignent du temps qui les séparent. Ici encore l’artiste met en avant son ascendance avec la chemise de son grand père, de son père ainsi que la sienne. Cet ensemble se regroupe symboliquement en un même lieu et à un même instant dans une vision d’avenir.

Une œuvre qui pourrait dans son sens encore évoluer au fil du temps, en ces therme une œuvre qui peut ne pas encore avoir de fin. L’artiste évoque cette idée d’avenir dans ces œuvres notamment dans « The Exhibition Between Us » qui elle fait le lien entre passé et futur. Elle se compose de deux plaques de granit, qui dialoguent dans la scénographie qu’a choisi l’artiste. La première plaque qui apparait au yeux des visiteurs est gravée d’un nom « Saira » qui est en faite la première personne à avoir visité l‘exposition à Beyrouth. La deuxième plaque fait résonnance avec la première par son aspect vierge puisqu’aucune inscription n’est encore gravée à sa surface. Dans sa volonté et dans ce cycle, c’est alors le nom de la dernière personne qui entrera ici même à la Criée de Rennes qui s’y verra graver son nom.

 

En citant ces quelques œuvres et sa façon de travailler, il est singulier de voir à quel point l’artiste prend un soin particulier aux détails et aux significations . Dans la première partie, dédiée au vivant, nous avons pu voir que les interactions et les relations entre les individus sont des sources d’inspirations importantes dans l’ensemble de la démarche de création de Joseph H. Boutros. Retraçant ses histoires amoureuses, intimes, amicales et personnelles. Il inclus également sa propre relation avec son public. Plus rare encore pour un artiste, cette exposition est une confidence. Il partageant avec les visiteurs ses doutes ses échecs et ses rêves. Pour conclure sur la place des matériaux et leurs importances dans son processus artistique il est certain que le créateur met un point d’honneur à s’imprégner de ces expériences et histoires personnelles pour la réalisation de ses œuvres. S’attachant à l’immatériel, au spirituel tout comme au matériel. A travers son exposition The Sun Is My Only Ally (le soleil est mon ami) Il fait des différents matériaux qu’ils utilisent des outils d’expression à part entière racontant chacun des histoires évoquant le temps, l’espace et sa vision du monde.

 

 

 

Réalités imaginaires et objets oniriques

vendredi 16 décembre 2022

Comment l’exposition The sun is my only ally transpose les objets du quotidien dans une nouvelle réalité ?

Vouloir fuir la réalité et vivre dans un monde imaginaire n’est pas un rêve qui date d’aujourd’hui.
Dès le début du XXe siècle, les artistes surréalistes cherchaient à tout prix à fuir les visions horrifiques de la guerre, se réfugiant alors dans leur désir inconscient de liberté, leur imagination et leurs rêves. Face à l’histoire similaire du Liban, son pays natal, l’artiste contemporain Charbel Joseph H.Boutros nous propose de requestionner notre rapport au réel dans son exposition The sun is my only ally. Comme l’exposait Magritte avec “Ceci est une pipe”, l’exposition implique une relation entre un objet (ou plusieurs), son identification et sa représentation dans une réalité. Mais laquelle ?

Que croire ? Et à quoi se référer ? À ce que l’on voit ou au sens que l’on y met ? 


René Magritte, Ceci n’est pas une pipe, 1929

Sens donné et utilité figée
Les objets que l’on côtoie au quotidien, les plus insignifiants à première vue, sont présentés dans cette exposition comme de vraies œuvres d’art. De la chemise au verre d’eau, Boutros se la joue à la Duchamp en remettant l’art conceptuel des objets ready-made au goût du jour. Par la simple intervention de l’artiste, l’objet du quotidien est détourné en une oeuvre à admirer.


Duchamp, ready-made, 1917

Face à ces objets aux abords familiers, notre première réaction est d’y transposer notre vécu, nos souvenirs et l’usage que l’on en fait au quotidien. Boutros, lui, propose à travers l’exposition de ses objets personnels une allégorie du temps qui passe, notamment à travers son œuvre « Three Abstractions on Three Histories », qui met en scène trois chemises, apparemment similaires mais dont le temps a su y laisser une trace.
En les suspendant, l’artiste les rend inatteignables, importables et leur confère un statut d’œuvre d’art. Néanmoins, il y apporte du sens en évoquant un lien intergénérationnel entre chacune des chemises dont la couleur se dégrade petit à petit. C’est en cela qu’il se démarque de Duchamp.


Three Abstractions on Three Histories

Face à Boutros qui expose ces objets de voyage à l’usage unique et passé comme des oeuvres figées, Katerina Kamprani propose à travers sa collection « The Uncomfortable » des objets du quotidien créés délibérément pour être des objets inconvenants, inconfortables et inutilisables, dans le but d’interroger leur usage et de déconstruire la conception fondamentale des objets les plus simples.
Ces objets et ceux de l’exposition ont pour but commun de nous faire apprécier la complexité et la profondeur des interactions que l’on peut avoir avec chaque chose qui nous entourent.


Katerina Kampani, the unconfortable collection, 2017

Un exercice d’expérience

Maintenant que les objets du quotidien sont replacés dans le contexte de cette exposition contemporaine, le spectateur est invité à y laisser vagabonder son imagination et sa créativité. Charbel Joseph H. Boutros n’empêche pas cette errance et le fait de voir en l’objet un tout autre sens, car chacun vit à l’origine sa propre expérience, sa propre réalité.
Ainsi, en passant le seuil de la Criée, le visiteur endosse un nouveau statut qui est déconnecté de son quotidien et lui permet de s’ouvrir à d’autres perceptions plus oniriques, fictives et abstraites du réel.

Quelques éléments continuent cependant à le rattacher à la réalité, comme l’oeuvre « Amitié » qui est une paire de chaussures Stan Smith posée au sol par l’artiste près de l’entrée du musée, comme si elles venaient d’être portées puis enlevées. Ce modèle de basket iconique par sa forme et son design fait partie de notre décor quotidien, néanmoins il existe bien plus que l’esthétique autour de cet objet. En effet, l’artiste y a posé une intention et un attachement particulier. Elles portent le poids de son passé et celui de son ami, donnée imperceptible à l’œil nu. L’objet acquiert ainsi une charge émotionnelle, une valeur invisible et incarne une œuvre d’art unique, une histoire.


Amitié

L’idée conceptuelle matérialisée par l’objet est plus forte que l’objet exposé lui-même. Support de sens, les œuvres questionnent notre regard sceptique sur chaque élément. Face à « Untouched Marble », un jugement potentiel s’opère par l’idée pure et simple que se fait le spectateur: pourquoi un cube de marbre est-il posé sur un support à l’avant d’un vélo ?
Le véhicule à deux roues, contraint par ce bloc lourd qui n’a apparemment jamais été touché par un homme, accompagne l’artiste dans ses gestes quotidiens. Mais sa présence inhabituelle sur le vélo perturbe la compréhension de l’œuvre. Les deux objets non liés par leur sens si ce n’est par leur ancrage initial dans le monde réel deviennent, lorsqu’ils sont combinés ensemble, un seul et même élément significatif qui semble tout droit sorti d’un jeu de cadavre exquis.


Untouchable Marble

Aux premiers coups d’oeil, on ne s’imagine pas autant de complexité face à l’observation portée vers des objets aussi simples et communs qu’une paire de chaussures, un verre d’eau ou encore un lit. Alors, pour comprendre le sens de ces œuvres, faut-il vraiment se référer à ce que l’on voit ? Ou ne serait-ce pas mieux de faire plutôt confiance à ce que l’on ressent ?

La ou les réalités : Peut-on croire à ce que l’on voit  ?
Définition du réel : Qui existe véritablement
Définition de la réalité : Aspect physique des choses.
                                    Manifestation concrète, contenu (d’un processus, d’un événement)

Il est donc évident que l’exposition interroge notre rapport au quotidien, au réel. Elle nous invite à voyager et à imaginer l’histoire de l’artiste à travers des objets manifestes, relatifs à son histoire, son vécu et des éléments qui renvoient à ses relations (intimes, professionnelles, filiales), son travail et ses propres voyages réels ou même imaginaires. Avec la volonté de créer des objets mémoriels, l’artiste interroge les possibilités de figer des souvenirs, des moments de son passé pour pouvoir les conserver et en garder une trace.

Dans « Night Cartography #3 », de la cire provenant de bougie votive est versée sur un masque de nuit d’avion, utilisé par l’artiste pour dormir plusieurs mois. La cire de bougie est un matériau récurrent et symbolique du temps figé dans lequel l’artiste plonge de nombreux objets de la vie courante. Provenant d’un lieu religieux, cette cire confère aux objets enduits une nouvelle charge invisible porteuse de souhaits, ainsi que des rêves, émotions et souvenirs de Boutros.


Night Cartography #3

Mais la cire de nature fragile est contrainte à être coulée à nouveau sur les objets à chaque déplacement de l’exposition. Cette restauration régulière transitoire expose l’enveloppe des objets pendant un instant puis les remet dans un état figé, second et endormi lorsqu’ils sont recouverts. Devenus des archives du sommeil et de la nuit, ces objets s’ancrent petit à petit dans le domaine du rêve, considéré par l’artiste comme un matériau invisible qui permet un moment d’évasion dans une autre réalité.

Une ou plusieurs réalités semblent finalement se dégager de l’exposition : celle de la réalité quotidienne de tout le monde, celle à laquelle on se confronte face aux objets de l’exposition et celle de Boutros qui en découle. Cette dernière est la plus intrigante car elle nécessite de comprendre la volonté, la démarche et le sens donné derrière chaque objet pour connaître les détails de la vie de l’artiste. Les objets d’une temporalité passée, recontextualisés dans une autre réalité qui n’est pas celle d’origine et dans laquelle ils sont inutilisables, deviennent des objets oniriques, presque sacrés par leur matériau et la manière d’être exposés.

Peut-on croire à ce que l’on voit ?
En contemplant l’exposition, on peut effectivement se poser une question : faut-il croire et faire confiance à cette nouvelle réalité proposée par l’artiste ? Il semble à première vue que ces objets constituent des traces et témoins mémoriels d’une histoire passée qui s’est réellement déroulée, mais leur ancrage dans la réalité intrigue.

En mêlant des éléments du réel et du rêve, l’intérêt de l’artiste est de changer autant sa propre perception de la vie que la nôtre. Il est tentant de vouloir s’identifier aux objets qu’il nous présente à travers l’exposition car ils sont utilisés dans le quotidien de tous. Mais ici, ils sont comme transformés, la relation que l’on entretient avec eux devient particulière, perturbée et il est donc plus difficile de s’y rattacher personnellement.

À la manière des cabinets de curiosité, Charbel-Joseph fait de ses objets quotidiens des sortes de vanités curieuses, précieuses et symboliques du temps à laquelle on s’attache au cours de la vie et que l’artiste met à distance dans une réalité qui semble intangible.


Philippe de Champaigne, Vanités, XVIIe siècle

Mais alors, que croire ?
Lorsque l’on lit un roman, on se fait chacun notre propre histoire, nos propres images mentales, on s’approprie le récit que nous fait l’écrivain. The sun is my only ally est le roman de Charbel Joseph Boutros, il y présente des bribes de son existence, à travers sa sensibilité singulière et l’importance de la matérialité. Nous romançons tous notre vie, d’une manière ou d’une autre, certains prennent des photos, d’autres filment leur quotidien. Chacun ressent le besoin de magnifier plus ou moins fortement sa réalité et cela peut prendre plusieurs formes. Tout comme chacun ressent plus ou moins le besoin de l’exposer. Entrer dans la réalité d’une tierce personne peut parfois paraître intrusif, à nous de s’ouvrir ou non à celle-ci.

Finalement, chaque objet de l’exposition, même s’il est lié à une histoire commune, retranscrit une réalité qui lui est propre. Boutros ne cherche pas la représentation du réel mais plutôt à le transfigurer et le dépasser, à aller au-delà de la matérialité des objets et à porter davantage une attention sur le sens de ceux qui nous entourent et que nous utilisons. Il remet en doute leurs usages dans la vie courante à travers ceux dans l’exposition et c’est cela qui peut nous faire douter quant à leur ancrage dans la réalité. Un vrai engagement personnel de la part du spectateur s’impose alors, quant au fait de croire ou non aux histoires racontées à travers les objets de Boutros. Ainsi, si l’on veut réellement comprendre l’histoire, la nature et le sens des objets exposés, il faut donc lui faire confiance.

Après tout, n’est-ce pas ce que l’on peut venir chercher dans une exposition contemporaine, c’est-à-dire de nouvelles perceptions du réel qui nous poussent à la réflexion ?
Derrière les œuvres de Boutros se cache un récit dont il ne tient alors qu’à nous d’y croire ou non.

Amandine Lemaire et Juliette Mathieu

La manifestation du rêve

vendredi 16 décembre 2022

 

À la limite entre rêve et réalité Charbel-Joseph H. Boutros aime créer des mondes paraissant insaisissables, qui semblent retenir aussi bien la lumière que la nuit, le soleil, que la lune, mais aussi et surtout, les rêves. Il arrive ainsi à donner au rêve une certaine matérialité, une esthétique, à en faire une expérience… Nous allons donc observer comment le rêve se manifeste dans le travail de Charbel-Joseph H. Boutros.

 

Le rêve, distorsion du réel

Généralement quand nous parlons de rêve, nous faisons allusion à la nuit, au sommeil. Rêver serait alors une dimension dans laquelle tout est permis, un espace sans limites, où tous repères cartésiens n’ont plus leur place, où chaque rêve peut être un scénario absurde.

Boutros joue avec ces codes, quand le spectateur entre dans la pièce il fait face à une scène presque irréelle, qui tiendrait du rêve. Chaque objet disposé lui est inconnu, et semble imaginaire s’il ne s’accompagne pas d’explications. La déambulation imposée aux médiateurs de la Criée joue également un rôle primordial. Un catwalk fait le tour de la pièce, allant de l’entrée au fond de l’espace, et oblige ainsi les médiateurs et médiatrices à se retrouver comme mis sur le devant de la scène. Même en voulant rester discrets, ils se retrouvent surélevés. On assiste alors à une sorte de défilé non désiré, qui se révèle être un passage obligé. L’artiste nous invite ainsi à oublier tout ce que nous savons de l’organisation et des codes d’un espace d’exposition, pour redistribuer les cartes, repenser le lieu, sa circulation ainsi que la place des personnes qui y travaillent. 

De plus, en nous proposant des œuvres aux matériaux surprenants, à l’histoire étonnante, ou encore avec une part de spiritualité prenante, l’artiste se joue du spectateur, et distord le réel, pour lui faire voir avec poésie, ce qu’il n’avait possiblement pas vu jusqu’ici.

Charbel-joseph H. Boutros, vue de l’exposition The Sun Is My Only Ally, 2022 courtesy de l’artiste, Grey Noise, Dubaï, Jaqueline Martins Gallery, São Paulo, Bruxelles, Vera Cortês, Lisbonne – photo : Aurélien Mole

Charbel-joseph H.Boutros, I Guess That Dreams Are Always There, 2022 production : La Criée centre d’art contemporain courtesy de l’artiste et Grey Noise, Dubaï photo – Julie Kervévan

Pour Charbel-Joseph H. Boutros, rêver revient également à pouvoir s’échapper du réel, à se mettre en retrait, à prendre de la hauteur. Avec I Guess That Dreams Are Always There, un lit placé à une hauteur vertigineuse, l’artiste brouille les pistes. Ce lit inaccessible est-il fait pour que l’on y reste indéfiniment ou bien pour qu’il ne soit pas atteint ? 

Le placer si haut revient à le placer comme au-dessus du réel, comme si l’on surplombait ce qu’il se passe plus bas, comme si l’on était plus près des rêves. S’éloigner de la réalité, c’est se laisser sombrer dans l’imaginaire, peut-être même dans un sommeil profond, nous pourrions alors y passer une vie entière, ne jamais redescendre de ce lit, vivre une vie faite de rêves. Avec cette œuvre, l’artiste souhaite échapper à la réalité en proposant une poétique loin de notre quotidien.

 

Le rêve comme expression d’une spiritualité

Par ailleurs, dans le travail de Charbel-Joseph H. Boutros, le rêve se manifeste comme l’expression d’une forme de spiritualité. En effet, au-delà de la forme matérielle de ses œuvres, il revendique la présence d’une charge invisible. Celle-ci est même mentionnée dans la liste des matériaux des cartels.

Charbel-joseph H. Boutros, Night Cartography #3, 2016-2019 masque de nuit d’avion, cire de bougie votive, rêves, souhaits courtesy de l’artiste et Grey Noise, Dubaï – photo : Julie Kervévan

Par exemple, l’œuvre Night Cartography #3 est composée d’un masque d’avion, de cire bougie votive, de rêves et de souhaits. La cire, matériau majeur de l’exposition, provient des bougies d’une église libanaise. Selon l’artiste, elles seraient imprégnées des souhaits des personnes qui les ont allumées. Ainsi, la cire devient un moyen de figer ces pensées impalpables. Pour Night Cartography #3, elle a été versée sur un masque de nuit d’avion avec lequel l’artiste a dormi plusieurs mois. La rencontre de ce masque imprégné des rêves de Boutros et de la cire qui fige les souhaits des croyants implique une réflexion autour d’une spiritualité individuelle et commune. Cela questionne la possibilité de partager nos pensées, nos croyances et nos rêves. La démarche de l’artiste joue sur cette tension entre le visible et l’invisible. En effet, la plupart des œuvres exposées résultent d’une intervention antérieure souvent imperceptible par le spectateur, comme le fait d’avoir dormi avec le masque de nuit. Ainsi, le visiteur est libre de croire ou non à cette présence spirituelle. 

 

Faire l’expérience du rêve

Enfin, Charbel-Joseph H. Boutros ne fait pas état du rêve comme d’une finalité, il invite à le considérer comme une expérience.
Cette invitation à l’expérience du rêve est d’abord littérale. En effet, dans la « Salle sommeil » la commissaire d’exposition et le régisseur de La Criée sont autorisés à faire une sieste dans le lit qui occupe la pièce. Il tient à cœur à Charbel-Joseph H. Boutros d’entretenir une relation privilégiée avec les personnes menant à bien son exposition, c’est pourquoi le fait de leur permettre d’y dormir (et donc de rêver) est inattendu et permet de les inclure à la vie de ses œuvres et de l’exposition.

Charbel-joseph H. Boutros, Night Archive, 2020 couverture en coton, No Light in White Light, Night Cartography, Night of 21/09/15, 2011-2020 (mine et acrylique en spray sur papier blanc, cadre), chaleur, obscurité courtesy de l’artiste et Grey Noise, Dubaï – photo : Julie Kervévan

En donnant à voir cette expérience, Charbel-Joseph H. Boutros propose une vision intime du quotidien de chacun. Il ne s’agit alors pas simplement de montrer les rêves de quelqu’un, mais de ressentir une partie de sa personnalité, les pensées qui traversent son inconscient, afin de les faire devenir des œuvres d’art à part entière. Avec Night Archive, il répertorie ses heures de sommeil en un tableau, permettant de visualiser les temps propices au rêve. Il insiste alors ici sur l’expérience du sommeil menant au rêve plutôt qu’à sa finalité.

 

Charbel-joseph H. Boutros, Night Archive, 2020 couverture en coton, No Light in White Light, Night Cartography, Night of 21/09/15, 2011-2020 (mine et acrylique en spray sur papier blanc, cadre), chaleur, obscurité courtesy de l’artiste et Grey Noise, Dubaï – photo : Aurélien Mole

Charbel-joseph H. Boutros, No Light in White Light, Night Cartography, Night of 21/09/15, 2011-2020 mine et acrylique en spray sur papier blanc, cadre courtesy de l’artiste et Grey Noise, Dubaï photo – Aurélien Mole

Mais là où la vision de Charbel-Joseph H. Boutros dépasse les conceptions du rêve traditionnel, c’est qu’il envisage également le fait que les objets, inanimés, puissent rêver aussi. Accordant un soin particulier au transport et mystifiant le trajet de ses œuvres, il choisit notamment d’exposer la couverture de protection du tableau de Night Archive (la couverture en coton est d’ailleurs elle-même inclue dans l’œuvre). Et bien que les autres artefacts de l’exposition ne soient pas directement reliés à la notion de rêve, le simple fait pour le spectateur d’envisager que ces derniers puissent en avoir augmente leur portée symbolique.

Nina Housset, Alexandre Créquer et Julie Kervévan

OUR SUN : Cet astre qui (nous) influence tant

vendredi 16 décembre 2022

L’aube : le soleil, un matériau mystique qui fascine les artistes

La Criée nous propose l’exposition de Charbel-Joseph H. Boutros intitulée The sun is my only Ally qui rassemble un ensemble d’œuvres abstraites et poétiques qui créent un espace dans lequel des éléments habituellement insaisissables tels que le rêve ou le temps, deviennent ici tangibles. Le soleil semble alors venir ici comme un guide qui vient influencer la plupart des œuvres de l’artiste par ses propriétés matérielles et mystiques, lui imposant même parfois des contraintes. Il est donc intéressant de se demander en quoi le soleil, par son absence ou par sa présence, influence les œuvres de l’artiste ?

En effet, depuis la nuit des temps, le soleil fascine les gens par le pouvoir cosmique, intemporel et naturel qu’il dégage et qui est à l’origine de nombreux mythes et croyances. Selon la civilisation, il incarnera des rôles différents mais il reste le seul astre avec la Lune, à avoir été doté de traits humains dans les représentations religieuses ou savantes. 

Le soleil inspira de nombreux artistes classiques et néo-impressionnistes pour ses effets de lumière et plus tard, les artistes contemporains se réappropriront ses qualités symboliques et poétiques. Ainsi, Charbel-Joseph H. Boutros utilise toutes les facettes du soleil au sein de ses œuvres. Effectivement, il utilise des propriétés telles que la chaleur, la lumière et la temporalité qui viennent parfois modifier un matériau, dicter ses œuvres ponctuellement ou au contraire faire partie intégrante d’une performance.

Boutros n’est pas le seul artiste contemporain à utiliser et mélanger les propriétés physiques et symboliques de cet astre. En effet, le plasticien Olafur Eliasson porte un grand intérêt à la lumière et joue avec ses effets, ses couleurs, en utilisant des formes géométriques et des déformations pour donner une dimension narrative. Il crée une interaction physique entre les spectateurs et l’installation. Il est connu pour proposer des installations mettant en lumière des phénomènes naturels.

Nous pouvons citer par exemple son œuvre intitulée “The Weather Project” qu’il créa en 2003. Il a fait la reconstruction d’un élément de la nature, ici un coucher ou lever de soleil, évoquant chez les spectateurs des émotions diverses. La réaction du public face à cette installation est surprenante, certains contemplent ces phénomènes comme dans la nature, d’autres encore se couchent par terre et jouent avec les formes, et d’autres admirent leurs reflets la tête en bas et accèdent à une autre dimension.

Olafur Eliasson, The Weather Project, 2003

 

Le zénith : comment l’artiste exploite le soleil 

Charbel-joseph H. Boutros, Days Under Their Own Sun, 2013-2016
feuilles de calendrier libanais, soleils

Phénomène de la décoloration

Days Under Their Own Sun, est trois feuilles de calendrier libanais exposées à la lumière et aux rayons du soleil selon où se trouve géographiquement l’artiste. Par leur exposition aux soleils du monde (le soleil de Beyrouth et celui de Paris par exemple), ces trois feuilles se ternissent, se détendent. Ici l’artiste fixe des règles, une démarche à suivre (une fois par jour, exposer une feuille à la lumière du soleil).

Son allié le soleil l’accompagne dans sa création et agit directement sur son œuvre. Par sa démarche, Charbel-Joseph H.Boutros évoque autant le passage du temps à l’échelle humaine par l’utilisation d’un signe iconique (le calendrier) que la relation du temps avec le soleil (cycle éternel jour/nuit). Un phénomène qui a tendance à être perçu comme particulièrement gênant au quotidien et qui peut “ternir la beauté” des objets auxquels nous tenons, semble être réinterprété par l’artiste. La trace laissée par le soleil évoque ce phénomène lent, mais pourrait témoigner poétiquement le temps qui passe et l’influence du soleil sur l’être humain et le monde vivant. 

Ce rapport entre le temps et le soleil se retrouve subtilement dans l’œuvre Three Abstractions on Three Histories. Ici l’artiste suspend trois chemises blanches, une des chemises est terne, jaunâtre, une autre semble être neuve, puis la troisième est un entre-deux. Cette œuvre est intergénérationnelle, les chemises appartiennent au grand-père de Charbel-Joseph H.Boutros, son père et l’artiste lui-même. On retrouve comme le nom de l’œuvre l’indique trois abstractions et trois histoires, d’un lien paternel créé par une exposition au soleil variant de l’échelle d’une vie à ce qui pourrait être quelques années voire quelques mois.

Charbel-joseph H. Boutros, Three Abstractions on Three Histories, 2016
trois chemises blanches, structure métallique

Caractéristiques physiques (thermiques, chaleur)

Tout comme le phénomène de décoloration, la chaleur du soleil est aussi présente dans l’exposition. If Close to the Sun a Drop May Fall, est une cassette de musique extraite de sa bobine, couverte de cire de bougie votive ainsi que des souhaits. Autant que la cire, le soleil semble suspendu, l’œuvre pourrait être une action en attente d’un événement déclencheur. On pourrait imaginer alors que si on approche la cire et la cassette du soleil, l’œuvre prendrait un autre sens, d’autant par la matière sensible à la chaleur qui est la cire. On pourrait tracer des parallèles avec la légende d’Icare aux “dangers” mais surtout les répercussions de la chaleur du soleil. Un certain équilibre de la distance semble être évoqué dans l’œuvre.

Charbel-joseph H. Boutros, If Close to the Sun a Drop May Fall, 2019-2020
bobine d’une cassette, album de musique, cire de bougie votive, souhaits

 

Le crépuscule : l’absence du soleil comme approche créative

Charbel-joseph H. Boutros, NO LIGHT IN WHITE LIGHT, 2014
vidéo, 11 min

« Pense l’obscurité autant comme une expérience physique qu’un espace physique. L’obscurité efface nos différences, efface le temps, efface le présent. »

Charbel-joseph H. Boutros, extrait du communiqué de presse sur l’exposition « Crisis Practice », juin 2013, Workshop Gallery, Beirut (LB).

Selon la définition du Larousse, le crépuscule correspond à une lumière faible et incertaine qui subsiste après le coucher du soleil avant que la nuit ne tombe complètement. Dans les œuvres de l’artiste, la tombée de la nuit est très présente. Il joue de cette lueur atmosphérique en déclin et exploite le début de la pénombre. 

No Light in White Light est une vidéo de onze minutes qui exploite ce déclin lumineux du coucher de soleil. Cette vidéo montre un prêtre syriaque en pleine lecture de la Genèse dans une forêt au Liban, filmée dans les dernières minutes avant la tombée de la nuit. Ainsi, la lecture devient de plus en plus difficile pour le prêtre puisque les mots tombent les uns après les autres dans l’obscurité. Lorsque les mots du livre se plongent dans la pénombre, la blancheur des pages se voit d’autant plus, laissant apparaître une lueur assez intense dans cette obscurité fortement présente. L’exploitation de la tombée de la nuit est dans cette vidéo très intéressante, et il faut réellement regarder les onze minutes pour se rendre compte de ce doux contraste qui devient de plus en plus prononcé.

Une autre œuvre filmée joue avec la lueur du coucher de soleil, c’est Three songs, three exhibitions. Dans cette vidéo, un luthier joue trois mélodies avec trois bouzouks différents, assis sur une chaise dans une forêt. Il joue une première mélodie puis range le premier bouzouk pour aller chercher le deuxième et ainsi de suite. Je pense que la faible luminosité permet de se concentrer d’autant plus sur la musique jouée. Les trois bouzouks représentent chacun le portrait d’une exposition passée réalisée par l’artiste. Le premier est marron clair, le deuxième est rayé marron clair et marron foncé et le dernier est entièrement marron foncé. J’y vois dans ces couleurs une allusion à la tombée de la nuit, qui commence en étant encore claire, puis s’assombrit pour enfin devenir totalement obscure.


mine et acrylique en spray sur papier blanc, cadre

Dans l’œuvre, No light in White Light / Night Cartography, l’artiste rassemble ses nuits de 2011 à 2020. Chaque heure passée à dormir est effacée par un spray d’acrylique noir, et chaque nuit donne lieu à un nouveau dessin. Ce tableau se transforme en un journal des nuits de l’artiste, qui se concentre alors sur son sommeil, et le montre comme une activité productive. Je vois dans cette œuvre, avec ce point noir au milieu, un contraste avec les “nuits blanches”, les nuits où l’on ne trouve pas le sommeil, où on ne dort pas. Cette œuvre est installée dans une salle de repos dont les volets sont presque fermés en entier, et est disposée au-dessus d’un lit, qui permet notamment aux membres de la Criée de pouvoir s’y reposer de temps en temps.

Enfin, l’œuvre 2m Long of Isolated Darkness est un tube métallique vide entouré d’une mousse d’isolation pour plonger ce dernier dans l’obscurité. Entouré dans cette forme, le tube est isolé thermiquement et phoniquement de l’exposition. Ici, le fait d’être dans la pénombre fait écho avec l’importance que donne l’artiste au rêve, au sommeil, à ce temps de repos créatif.

Clara Boussuge, William Mallender, Emma Kaleta