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La manifestation du rêve

vendredi 16 décembre 2022

 

À la limite entre rêve et réalité Charbel-Joseph H. Boutros aime créer des mondes paraissant insaisissables, qui semblent retenir aussi bien la lumière que la nuit, le soleil, que la lune, mais aussi et surtout, les rêves. Il arrive ainsi à donner au rêve une certaine matérialité, une esthétique, à en faire une expérience… Nous allons donc observer comment le rêve se manifeste dans le travail de Charbel-Joseph H. Boutros.

 

Le rêve, distorsion du réel

Généralement quand nous parlons de rêve, nous faisons allusion à la nuit, au sommeil. Rêver serait alors une dimension dans laquelle tout est permis, un espace sans limites, où tous repères cartésiens n’ont plus leur place, où chaque rêve peut être un scénario absurde.

Boutros joue avec ces codes, quand le spectateur entre dans la pièce il fait face à une scène presque irréelle, qui tiendrait du rêve. Chaque objet disposé lui est inconnu, et semble imaginaire s’il ne s’accompagne pas d’explications. La déambulation imposée aux médiateurs de la Criée joue également un rôle primordial. Un catwalk fait le tour de la pièce, allant de l’entrée au fond de l’espace, et oblige ainsi les médiateurs et médiatrices à se retrouver comme mis sur le devant de la scène. Même en voulant rester discrets, ils se retrouvent surélevés. On assiste alors à une sorte de défilé non désiré, qui se révèle être un passage obligé. L’artiste nous invite ainsi à oublier tout ce que nous savons de l’organisation et des codes d’un espace d’exposition, pour redistribuer les cartes, repenser le lieu, sa circulation ainsi que la place des personnes qui y travaillent. 

De plus, en nous proposant des œuvres aux matériaux surprenants, à l’histoire étonnante, ou encore avec une part de spiritualité prenante, l’artiste se joue du spectateur, et distord le réel, pour lui faire voir avec poésie, ce qu’il n’avait possiblement pas vu jusqu’ici.

Charbel-joseph H. Boutros, vue de l’exposition The Sun Is My Only Ally, 2022 courtesy de l’artiste, Grey Noise, Dubaï, Jaqueline Martins Gallery, São Paulo, Bruxelles, Vera Cortês, Lisbonne – photo : Aurélien Mole

Charbel-joseph H.Boutros, I Guess That Dreams Are Always There, 2022 production : La Criée centre d’art contemporain courtesy de l’artiste et Grey Noise, Dubaï photo – Julie Kervévan

Pour Charbel-Joseph H. Boutros, rêver revient également à pouvoir s’échapper du réel, à se mettre en retrait, à prendre de la hauteur. Avec I Guess That Dreams Are Always There, un lit placé à une hauteur vertigineuse, l’artiste brouille les pistes. Ce lit inaccessible est-il fait pour que l’on y reste indéfiniment ou bien pour qu’il ne soit pas atteint ? 

Le placer si haut revient à le placer comme au-dessus du réel, comme si l’on surplombait ce qu’il se passe plus bas, comme si l’on était plus près des rêves. S’éloigner de la réalité, c’est se laisser sombrer dans l’imaginaire, peut-être même dans un sommeil profond, nous pourrions alors y passer une vie entière, ne jamais redescendre de ce lit, vivre une vie faite de rêves. Avec cette œuvre, l’artiste souhaite échapper à la réalité en proposant une poétique loin de notre quotidien.

 

Le rêve comme expression d’une spiritualité

Par ailleurs, dans le travail de Charbel-Joseph H. Boutros, le rêve se manifeste comme l’expression d’une forme de spiritualité. En effet, au-delà de la forme matérielle de ses œuvres, il revendique la présence d’une charge invisible. Celle-ci est même mentionnée dans la liste des matériaux des cartels.

Charbel-joseph H. Boutros, Night Cartography #3, 2016-2019 masque de nuit d’avion, cire de bougie votive, rêves, souhaits courtesy de l’artiste et Grey Noise, Dubaï – photo : Julie Kervévan

Par exemple, l’œuvre Night Cartography #3 est composée d’un masque d’avion, de cire bougie votive, de rêves et de souhaits. La cire, matériau majeur de l’exposition, provient des bougies d’une église libanaise. Selon l’artiste, elles seraient imprégnées des souhaits des personnes qui les ont allumées. Ainsi, la cire devient un moyen de figer ces pensées impalpables. Pour Night Cartography #3, elle a été versée sur un masque de nuit d’avion avec lequel l’artiste a dormi plusieurs mois. La rencontre de ce masque imprégné des rêves de Boutros et de la cire qui fige les souhaits des croyants implique une réflexion autour d’une spiritualité individuelle et commune. Cela questionne la possibilité de partager nos pensées, nos croyances et nos rêves. La démarche de l’artiste joue sur cette tension entre le visible et l’invisible. En effet, la plupart des œuvres exposées résultent d’une intervention antérieure souvent imperceptible par le spectateur, comme le fait d’avoir dormi avec le masque de nuit. Ainsi, le visiteur est libre de croire ou non à cette présence spirituelle. 

 

Faire l’expérience du rêve

Enfin, Charbel-Joseph H. Boutros ne fait pas état du rêve comme d’une finalité, il invite à le considérer comme une expérience.
Cette invitation à l’expérience du rêve est d’abord littérale. En effet, dans la « Salle sommeil » la commissaire d’exposition et le régisseur de La Criée sont autorisés à faire une sieste dans le lit qui occupe la pièce. Il tient à cœur à Charbel-Joseph H. Boutros d’entretenir une relation privilégiée avec les personnes menant à bien son exposition, c’est pourquoi le fait de leur permettre d’y dormir (et donc de rêver) est inattendu et permet de les inclure à la vie de ses œuvres et de l’exposition.

Charbel-joseph H. Boutros, Night Archive, 2020 couverture en coton, No Light in White Light, Night Cartography, Night of 21/09/15, 2011-2020 (mine et acrylique en spray sur papier blanc, cadre), chaleur, obscurité courtesy de l’artiste et Grey Noise, Dubaï – photo : Julie Kervévan

En donnant à voir cette expérience, Charbel-Joseph H. Boutros propose une vision intime du quotidien de chacun. Il ne s’agit alors pas simplement de montrer les rêves de quelqu’un, mais de ressentir une partie de sa personnalité, les pensées qui traversent son inconscient, afin de les faire devenir des œuvres d’art à part entière. Avec Night Archive, il répertorie ses heures de sommeil en un tableau, permettant de visualiser les temps propices au rêve. Il insiste alors ici sur l’expérience du sommeil menant au rêve plutôt qu’à sa finalité.

 

Charbel-joseph H. Boutros, Night Archive, 2020 couverture en coton, No Light in White Light, Night Cartography, Night of 21/09/15, 2011-2020 (mine et acrylique en spray sur papier blanc, cadre), chaleur, obscurité courtesy de l’artiste et Grey Noise, Dubaï – photo : Aurélien Mole

Charbel-joseph H. Boutros, No Light in White Light, Night Cartography, Night of 21/09/15, 2011-2020 mine et acrylique en spray sur papier blanc, cadre courtesy de l’artiste et Grey Noise, Dubaï photo – Aurélien Mole

Mais là où la vision de Charbel-Joseph H. Boutros dépasse les conceptions du rêve traditionnel, c’est qu’il envisage également le fait que les objets, inanimés, puissent rêver aussi. Accordant un soin particulier au transport et mystifiant le trajet de ses œuvres, il choisit notamment d’exposer la couverture de protection du tableau de Night Archive (la couverture en coton est d’ailleurs elle-même inclue dans l’œuvre). Et bien que les autres artefacts de l’exposition ne soient pas directement reliés à la notion de rêve, le simple fait pour le spectateur d’envisager que ces derniers puissent en avoir augmente leur portée symbolique.

Nina Housset, Alexandre Créquer et Julie Kervévan

OUR SUN : Cet astre qui (nous) influence tant

vendredi 16 décembre 2022

L’aube : le soleil, un matériau mystique qui fascine les artistes

La Criée nous propose l’exposition de Charbel-Joseph H. Boutros intitulée The sun is my only Ally qui rassemble un ensemble d’œuvres abstraites et poétiques qui créent un espace dans lequel des éléments habituellement insaisissables tels que le rêve ou le temps, deviennent ici tangibles. Le soleil semble alors venir ici comme un guide qui vient influencer la plupart des œuvres de l’artiste par ses propriétés matérielles et mystiques, lui imposant même parfois des contraintes. Il est donc intéressant de se demander en quoi le soleil, par son absence ou par sa présence, influence les œuvres de l’artiste ?

En effet, depuis la nuit des temps, le soleil fascine les gens par le pouvoir cosmique, intemporel et naturel qu’il dégage et qui est à l’origine de nombreux mythes et croyances. Selon la civilisation, il incarnera des rôles différents mais il reste le seul astre avec la Lune, à avoir été doté de traits humains dans les représentations religieuses ou savantes. 

Le soleil inspira de nombreux artistes classiques et néo-impressionnistes pour ses effets de lumière et plus tard, les artistes contemporains se réappropriront ses qualités symboliques et poétiques. Ainsi, Charbel-Joseph H. Boutros utilise toutes les facettes du soleil au sein de ses œuvres. Effectivement, il utilise des propriétés telles que la chaleur, la lumière et la temporalité qui viennent parfois modifier un matériau, dicter ses œuvres ponctuellement ou au contraire faire partie intégrante d’une performance.

Boutros n’est pas le seul artiste contemporain à utiliser et mélanger les propriétés physiques et symboliques de cet astre. En effet, le plasticien Olafur Eliasson porte un grand intérêt à la lumière et joue avec ses effets, ses couleurs, en utilisant des formes géométriques et des déformations pour donner une dimension narrative. Il crée une interaction physique entre les spectateurs et l’installation. Il est connu pour proposer des installations mettant en lumière des phénomènes naturels.

Nous pouvons citer par exemple son œuvre intitulée “The Weather Project” qu’il créa en 2003. Il a fait la reconstruction d’un élément de la nature, ici un coucher ou lever de soleil, évoquant chez les spectateurs des émotions diverses. La réaction du public face à cette installation est surprenante, certains contemplent ces phénomènes comme dans la nature, d’autres encore se couchent par terre et jouent avec les formes, et d’autres admirent leurs reflets la tête en bas et accèdent à une autre dimension.

Olafur Eliasson, The Weather Project, 2003

 

Le zénith : comment l’artiste exploite le soleil 

Charbel-joseph H. Boutros, Days Under Their Own Sun, 2013-2016
feuilles de calendrier libanais, soleils

Phénomène de la décoloration

Days Under Their Own Sun, est trois feuilles de calendrier libanais exposées à la lumière et aux rayons du soleil selon où se trouve géographiquement l’artiste. Par leur exposition aux soleils du monde (le soleil de Beyrouth et celui de Paris par exemple), ces trois feuilles se ternissent, se détendent. Ici l’artiste fixe des règles, une démarche à suivre (une fois par jour, exposer une feuille à la lumière du soleil).

Son allié le soleil l’accompagne dans sa création et agit directement sur son œuvre. Par sa démarche, Charbel-Joseph H.Boutros évoque autant le passage du temps à l’échelle humaine par l’utilisation d’un signe iconique (le calendrier) que la relation du temps avec le soleil (cycle éternel jour/nuit). Un phénomène qui a tendance à être perçu comme particulièrement gênant au quotidien et qui peut “ternir la beauté” des objets auxquels nous tenons, semble être réinterprété par l’artiste. La trace laissée par le soleil évoque ce phénomène lent, mais pourrait témoigner poétiquement le temps qui passe et l’influence du soleil sur l’être humain et le monde vivant. 

Ce rapport entre le temps et le soleil se retrouve subtilement dans l’œuvre Three Abstractions on Three Histories. Ici l’artiste suspend trois chemises blanches, une des chemises est terne, jaunâtre, une autre semble être neuve, puis la troisième est un entre-deux. Cette œuvre est intergénérationnelle, les chemises appartiennent au grand-père de Charbel-Joseph H.Boutros, son père et l’artiste lui-même. On retrouve comme le nom de l’œuvre l’indique trois abstractions et trois histoires, d’un lien paternel créé par une exposition au soleil variant de l’échelle d’une vie à ce qui pourrait être quelques années voire quelques mois.

Charbel-joseph H. Boutros, Three Abstractions on Three Histories, 2016
trois chemises blanches, structure métallique

Caractéristiques physiques (thermiques, chaleur)

Tout comme le phénomène de décoloration, la chaleur du soleil est aussi présente dans l’exposition. If Close to the Sun a Drop May Fall, est une cassette de musique extraite de sa bobine, couverte de cire de bougie votive ainsi que des souhaits. Autant que la cire, le soleil semble suspendu, l’œuvre pourrait être une action en attente d’un événement déclencheur. On pourrait imaginer alors que si on approche la cire et la cassette du soleil, l’œuvre prendrait un autre sens, d’autant par la matière sensible à la chaleur qui est la cire. On pourrait tracer des parallèles avec la légende d’Icare aux “dangers” mais surtout les répercussions de la chaleur du soleil. Un certain équilibre de la distance semble être évoqué dans l’œuvre.

Charbel-joseph H. Boutros, If Close to the Sun a Drop May Fall, 2019-2020
bobine d’une cassette, album de musique, cire de bougie votive, souhaits

 

Le crépuscule : l’absence du soleil comme approche créative

Charbel-joseph H. Boutros, NO LIGHT IN WHITE LIGHT, 2014
vidéo, 11 min

« Pense l’obscurité autant comme une expérience physique qu’un espace physique. L’obscurité efface nos différences, efface le temps, efface le présent. »

Charbel-joseph H. Boutros, extrait du communiqué de presse sur l’exposition « Crisis Practice », juin 2013, Workshop Gallery, Beirut (LB).

Selon la définition du Larousse, le crépuscule correspond à une lumière faible et incertaine qui subsiste après le coucher du soleil avant que la nuit ne tombe complètement. Dans les œuvres de l’artiste, la tombée de la nuit est très présente. Il joue de cette lueur atmosphérique en déclin et exploite le début de la pénombre. 

No Light in White Light est une vidéo de onze minutes qui exploite ce déclin lumineux du coucher de soleil. Cette vidéo montre un prêtre syriaque en pleine lecture de la Genèse dans une forêt au Liban, filmée dans les dernières minutes avant la tombée de la nuit. Ainsi, la lecture devient de plus en plus difficile pour le prêtre puisque les mots tombent les uns après les autres dans l’obscurité. Lorsque les mots du livre se plongent dans la pénombre, la blancheur des pages se voit d’autant plus, laissant apparaître une lueur assez intense dans cette obscurité fortement présente. L’exploitation de la tombée de la nuit est dans cette vidéo très intéressante, et il faut réellement regarder les onze minutes pour se rendre compte de ce doux contraste qui devient de plus en plus prononcé.

Une autre œuvre filmée joue avec la lueur du coucher de soleil, c’est Three songs, three exhibitions. Dans cette vidéo, un luthier joue trois mélodies avec trois bouzouks différents, assis sur une chaise dans une forêt. Il joue une première mélodie puis range le premier bouzouk pour aller chercher le deuxième et ainsi de suite. Je pense que la faible luminosité permet de se concentrer d’autant plus sur la musique jouée. Les trois bouzouks représentent chacun le portrait d’une exposition passée réalisée par l’artiste. Le premier est marron clair, le deuxième est rayé marron clair et marron foncé et le dernier est entièrement marron foncé. J’y vois dans ces couleurs une allusion à la tombée de la nuit, qui commence en étant encore claire, puis s’assombrit pour enfin devenir totalement obscure.


mine et acrylique en spray sur papier blanc, cadre

Dans l’œuvre, No light in White Light / Night Cartography, l’artiste rassemble ses nuits de 2011 à 2020. Chaque heure passée à dormir est effacée par un spray d’acrylique noir, et chaque nuit donne lieu à un nouveau dessin. Ce tableau se transforme en un journal des nuits de l’artiste, qui se concentre alors sur son sommeil, et le montre comme une activité productive. Je vois dans cette œuvre, avec ce point noir au milieu, un contraste avec les “nuits blanches”, les nuits où l’on ne trouve pas le sommeil, où on ne dort pas. Cette œuvre est installée dans une salle de repos dont les volets sont presque fermés en entier, et est disposée au-dessus d’un lit, qui permet notamment aux membres de la Criée de pouvoir s’y reposer de temps en temps.

Enfin, l’œuvre 2m Long of Isolated Darkness est un tube métallique vide entouré d’une mousse d’isolation pour plonger ce dernier dans l’obscurité. Entouré dans cette forme, le tube est isolé thermiquement et phoniquement de l’exposition. Ici, le fait d’être dans la pénombre fait écho avec l’importance que donne l’artiste au rêve, au sommeil, à ce temps de repos créatif.

Clara Boussuge, William Mallender, Emma Kaleta

 

Géographie : « The Sun is the only Ally »

vendredi 16 décembre 2022

Géographie : « The Sun is the only Ally »

 

Au travers de son exposition « The sun is my only ally » Charbel-Joseph H. Boutros nous ouvre les portes de son voyage, de sa géographie et nous implique directement dans son parcours et ses mouvements.

Quelles sont les dimensions géographiques abordées au travers de l’exposition « The Sun is the only Ally ? » Comment l’auteur les caractérises t’elles ?

La notion de géographie est imposée dans l’exposition à toute les échelles. Une dimension géographique  est un rapport entre un être humain et des espaces. C’est une dimension dans laquelle s’organise et vit l’homme allant de son environnement et sa temporalité .       

Il existe différentes dimensions géographiques, certaines sont « palpables » :un lieu défini, existant, cartographié… et certaines sont « impalpables » : géographie temporelle, du rêve, de l’imaginaire…

L’auteur, fasciné par ces géographies veut également souligner la notion de mouvement qui les lies entre elles. Comment se déplacer entre ces géographies, qu’est ce qui les rejoint ? Par quels moyens ? 

 

I . Géographie Internationale

Dans cette exposition les dimensions géographiques internationales prennent une importance considérable. On retrouve plusieurs oeuvres aux histoires originales alliées à des origines qui amènent le spectateur à voyager. Le Brésil, le Liban, la Belgique, la Grèce et bien d’autres pays font de cette exposition bien plus qu’une simple démonstration d’objets de tous les jours, mais bel et bien un moyen de voyager à travers les différents témoignages et les multiples facettes de ses objets particuliers. En effet chaque objet intègre une dimension de voyage, d’excursion et/ou de déplacement.

On retrouve beaucoup la cire dans les oeuvre de Charbel Joseph H.Boutros. Ce matériaux qui permet à l’auteur de figer les objets dans le temps est lui aussi réfléchis de manière à faire voyager le spectateur. En effet cette cire si particulière provient d’une église au Liban c’est encore une fois un moyen pour l’auteur d’emmener le visiteur dans son pays d’origine et de les faire voyager à travers son univers.

D’autres objets intègrent à la fois l’intime et cette notion du voyage international. «Life Variation The marble, The Ring and The continents » est une représentation d’une période intime de l’auteur durant laquelle il a pu voyager et construire de nombreux sentiments. Ses stèles qui, à première vue, ressemblent à un cimetières sont en réalité la représentation des différents voyages qu’il a pu faire accompagner de son ex compagne. Les différents morceaux d’anneaux sont eux une image de la rupture de l’auteur avec cette partie de son histoire intime. La provenance des différents marbres est un parallèle avec les différents pays qu’il a pu visiter avec son ex compagne : La Belgique, La Grèce, La France, Le Brésil et le Liban.

L’une des oeuvres les plus démonstrative de ce coté voyageur de Charbel Joseph H.Boutros est l’oeuvre « Drink Europa » un verre mélangeant l’eau des 27 pays européen. C’est une représentation parfaite du voyage de l’auteur, mais aussi un moyen de condensé ces 27 pays qui constituent l’Europe en un simple objet du quotidien.

Drink Europa The marble, the ring and the continents

II . Géographie de l’exposition

L’artiste va jusqu’à cartographier sa propre exposition. Il met par exemple en place un « Catwalk » (œuvre n°2) sur lequel le personnel du centre de La Criée doit marcher pour se déplacer. Le personnel ne doit jamais fouler le sol de l’exposition.

Il joue également sur les hauteurs, les niveaux , choisit d’isoler certaines pièces et impose des mouvements et des directions inhabituelles aux visiteurs… l’exposition et les œuvres prennent en considération le contexte qui les entourent.

Par exemple l’oeuvre « I Guess That Dreams Are AlwaysThere » (œuvre n°11) qui prend la forme d’un lit est positionnée très haut et oblige le visiteur a modifier sa ligne de vue. Il est également possible de passer à côté de certaines œuvres ou de ne pas les voir dès le début,  C.J.H.B renforce cet « aléatoire » de l’exposition.

catwlak

 

III . Géographie de l’intime

A . L’intime à travers le temps

L’auteur exprime à travers ses œuvres des sentiments profonds, relatifs à son intimité, à ses souvenirs, à son passé… L’exposition reflète une cartographie de ses souvenirs et de son intimité.

La notion de temps semble être importante pour C.J.H.B. Le temps qui passe, qui laisse une trace .Cette notion de temporalité est quasi présente dans toutes ses œuvres .

Nous retrouvons dans « Days Under Their Own Sun » (œuvre n°10) une géographie de l’instant. Les feuilles du calendrier libanais ont toutes été exposées au soleil sur le même créneau mais à des jours et des lieux différents. Les teintes s’en voient variées, il a réussit à « mettre sur papier » cet instant.

Un second exemple de temporalité est celui de l’oeuvre « Life variation » (œuvre n°6). Il s’agit d’un bloc de béton dans lequel l’artiste a disposé une pastèque. Le béton a séché, la pastèque a laissé sa trace et l’artiste a retiré le fruit. Seules trois graines de pastèques restent au fond du creux. Symbolisant les organismes vivants qui évoluent, qui croient et qui périssent. Le cycle se renouvelle infiniment. La présence de graines d’une prochaine pastèque semble rendre cette oeuvre éternelle, comme cyclique.

Enfin nous retrouvons l’oeuvre « Amitié » (œuvre n°7) qui se compose de deux baskets (Stan smith). L’une d’elle a été portée par l’artiste lors de ses voyages en Europe et la seconde par son ami vivant à Beyrouth pendant 6 mois. Il les réunit pour l’exposition. L’usure des chaussures, leur teinte, leur forme exprime cette temporalité propre aux deux hommes qui paraissent si loin et en même temps si proches quand on est face à l’oeuvre.

Days under their own sunAmitié

B. L’intime à travers le rêve

L’auteur tente également de cartographier l’univers du rêve par le bais d’une représentation géographique. Par exemple (l’oeuvre n°17), « Night Archive » tente de représenter par la peinture la quantité de rêve durant un cycle de sommeil. Cette représentation poétique permet à C.J.H.B de proposer aux visiteurs, une immersion dans le monde des rêves du personnel du centre d’art. Toujours dans cette recherche de permettre aux visiteurs de voyager, cette fois il s’intéresse au monde du rêve et tente de plonger le spectateur dans le monde intime des autres.

Night Archive

 

Conclusion

L’auteur va plus loin dans la recherche de géographie, en tentant même de créer un espace impalpable, invisible, isolé de tout, avec son oeuvre « 2m Long of Isolated. »

Pour C.J.H.B la géographie semble essentielle jusqu’à la vente de ses œuvres. Par exemple, l’artiste désir séparer les cinq stèles de marbres lors de la vente, de sorte à ce qu’elles soient emportées dans différents pays.

On retrouve plusieurs point impactant dans l’exposition de CJHB qui tournent particulièrement autour des dimensions géographiques. La dimension du voyage prend aussi une place importante et l’auteur partage cet intérêt tout en essayant de faire voyager le visiteur lui-même.

Il exprime des géographies à différentes échelles certaines plus terre à terre, d’autres plus impalpables, invisibles.

CJHB expose ici son expérience de voyageur et de sa vie intime.

2m Long of isolated Darkness

 

Decourcelles Clément, Nouadje Thibô, Delaporte Mona

Quotidien et émotions

vendredi 16 décembre 2022

Une plongée dans l’œuvre de Charbel-Joseph h. Boutros est proposée à la Criée. L’artiste libanais nous offre une porte ouverte sur sa vie avec son exposition The Sun is my Only Ally. Dans ce court écrit, nous tenterons de mettre en évidence la manière dont ses œuvres communiquent sur les émotions et sur le quotidien de l’artiste. Pour cela, nous analyserons les moyens employés par l’artiste dans ses œuvres. Nous porterons attention à la scénographie et à ce qui est perceptible sans informations complémentaires. Puis, nous nous attacherons aux titres de certaines œuvres, aux cartels et à leur sémantique. Enfin, nous ferons un parallèle entre le travail de Charbel-Joseph H. Boutros et celui du photographe Monsieur Bonheur. 

 

Tout d’abord, lorsqu’on rentre dans l’exposition, le placement de quelques œuvres peuvent nous évoquer la maison, qui serait ici celle de l’artiste. Proche de l’entrée, sur la droite près du mur, une paire de chaussures Stan Smith est présente. L’artiste à sans doute voulu exprimer l’habitude qu’il peut avoir à retirer sa paire de baskets à l’entrée de sa maison. Ensuite, tout à gauche de l’entrée dans le coin, trois chemises sont maintenues à l’aide d’un cintre sur un support métallique accroché au mur. Cette œuvre peut nous évoquer cette fois-ci le dressing de l’artiste. Si nous levons la tête, il est possible d’observer un lit suspendu qui peut faire partie de l’étage supérieur invisible de sa maison. Puis, un vélo est observable. Il peut appartenir à l’artiste. Enfin, une petite salle dispose d’un autre lit avec un verre d’eau posé sur une table de chevet. La disposition des œuvres dans cette salle donne l’impression d’une chambre reconstituée. Par ailleurs, la commissaire de l’exposition est autorisée à dormir dans ce lit. L’ensemble de ces choix scénographiques nous rappelle la maison en plus des œuvres qui sont pour la plupart des objets quotidiens : couettes, coussins, basket, chemises, vélo.

 

Charbel-Joseph H. Boutros nous livre des œuvres très personnelles, proches de son quotidien et de son vécu. Il utilise différents procédés pour faire apparaître son ressenti et ses émotions et questionner le visiteur à ce sujet.

Certaines de ses œuvres agissent comme des témoins de ces émotions, par exemple « Amitié » est constitué de deux chaussures Stan Smith séparées puis portées pendant six mois par l’artiste et son meilleur ami, au bout des six mois elles ont été réunies à nouveau. Ces chaussures ont acquis une nouvelle fonction, celle d’un souvenir de l’Autre. En les unifiant elles deviennent un souvenir de cette aventure grâce aux vécus visibles sur ces dernières. « Three Abstractions on Three Histories » est une autre de ces œuvres témoins, elle réunit trois chemises, ayant chacune appartenu à l’artiste, son père et son grand-père. Ces trois chemises alignées nous rappellent le passage du temps et le lien entre ces individus. Cette œuvre va plus loin et raconte aussi l’histoire du Liban et les épreuves que ses habitants ont dû endurer.

Charbel-Joseph H. Boutros questionne aussi notre rapport aux émotions et aux objets avec par exemple « Untouched Marble ». Cette installation nous expose deux cubes de marbre, un que seul l’artiste a touché et vécu avec pendant un mois et un autre que personne n’a jamais touché. Les deux cubes sont similaires en apparence et seule la scénographie permet de les distinguer, celui touché par l’artiste est posé sur le porte bagage d’un vélo tandis que l’autre est laissé par terre. On comprend donc que les émotions liées aux cubes restent invisibles à nos yeux et c’est au spectateur d’accepter ou non de croire à cette histoire.

Dans un autre registre, « Three Songs, Three Exhibitions », nous présente trois bouzouks en bois, chacun représentant le portrait d’une exposition réalisée par l’artiste, le luthier a joué sur chacun d’entre eux une mélodie, chaque mélodie et joué aux heures du coucher du soleil à Rennes, Gand et Beyrouth. Ces trois bouzouks ne sont pas, comme mentionné plus haut, des témoins de ces expositions mais ils représentent un instant dans le temps qui est lié à un souvenir de l’artiste. L’œuvre est chargée d’un sentiment de mélancolie sans pour autant avoir été le témoin de ces évènements.

 

Finalement, le travail de Charbel-Joseph h. Boutros peut être rapproché de celui du photographe Monsieur Bonheur. Bien que leurs pratiques artistiques soient différentes, les deux artistes portent une attention particulière au quotidien. Monsieur Bonheur de son vrai nom Marvin Bonheur prend en photo la banlieue parisienne et ses rencontres. À travers son travail, il souhaite donner une autre image aux villes des banlieues parisiennes dans lesquelles il a grandi (Aulnay-Sous-Bois, Bondy). Au même titre que Charbel-Joseph H. Boutros qui lui aussi utilise des éléments de son quotidien pour la réalisation de ses œuvres.

 

Alves Miguel

Wauquier Nao

Dévoiler l’intime

vendredi 16 décembre 2022

DÉVOILER L’INTIME

L’intime constitue l’essence d’un individu, et se rattache à tout ce qu’il y a de plus personnel en lui. Généralement, cet aspect reste de l’ordre du privé et est préservé des curiosités indiscrètes.

Dans son exposition The Sun Is My Only Ally présentée à la Criée, l’artiste Charbel-Joseph H. Boutros prend cette notion à contrepied en nous dévoilant plusieurs de ses aspects.

I. L’intime de l’artiste

Ses origines

À travers les œuvres présentées, l’artiste nous livre d’abord son propre intime, en mettant en avant une partie de son histoire.

Né au Liban en 1981 dans une région chrétienne à une époque de tension au sein du pays, l’artiste a vécu dans un contexte marquant, frappé par la dureté de la réalité. Aujourd’hui, l’artiste vit entre Beyrouth et Paris, et ses origines font partie intégrante de ses œuvres. 

Plusieurs lieux du Liban marquant sa vie se retrouvent dans le contexte de certaines œuvres. Nous pouvons citer notamment le Mont Liban, où à été tournée la vidéo « NO LIGHT IN WHITE LIGHT », dans laquelle un prêtre syriaque lit la Genèse en araméen. Ce rapport fort à la religion est aussi lié au contexte dans lequel a grandi l’artiste, et se retrouve également dans certains des matériaux utilisés, comme la cire qui provient de cierges du Mont Liban où sa mère se rend souvent pour prier.

Ses proches

À travers son exposition, Charbel-Joseph H. Boutros entretient un lien familial fort. Ses œuvres, en plus d’être ancrées dans ses origines, mettent en avant ses proches à travers différentes œuvres. Nous pouvons ainsi retrouver un aspect intime et brut que l’artiste retranscrit à travers son exposition. À travers l’œuvre « Life Variation #3, The Marble, The Ring and The Continents », le spectateur peut observer un anneau brisé en cinq morceaux répartis sur cinq stèles de granit. Cet anneau est celui d’une ancienne union entre l’artiste et sa femme. Cette œuvre reflète l’intime d’un amour brisé, que Charbel Boutros expose à la vue de tous.

L’artiste met également sa famille en avant à travers cette exposition, tel que le lien intergénérationnel qui le lie à son père et son grand-père, comme nous pouvons l’observer avec « Three Abstractions on Three Histories ». Cette œuvre témoigne de trois histoires étroitement mêlées par le lien intime qui les unis. Il ne retranscrit pas seulement ce lien familial fort à travers des œuvres, mais aussi à travers la matérialité de certaines œuvres. La présence de cire à travers la composition de certaines œuvres n’est pas anodine, cette cire témoigne d’un lien fort entre Charbel Boutros et sa mère. Cette cire est récoltée dans une église dans laquelle sa mère est coutumière d’aller. L’artiste met également en avant ses relations amicales et professionnelles.

À travers l’œuvre « Amitié » Joseph Boutros met en avant l’amitié en séparant une paire de chaussure afin que son ami et lui puissent les porter à deux extrémités du monde, avant de les assembler. Cette œuvre réfère à un lien intime qui unit les deux amis.  Une œuvre possédant également un rapport fort à l’intime et à ses proches est « The Booth, The Gallerist and The Mausoleum » qui fait référence à la conception d’un mausolée pour le galeriste, évoquant ce lien intime fort que l’homme à a la mort.

 

Life Variation #3, The Marble, The ring and The Continents

Sa vie quotidienne

Charbel-Joseph H Boutros met certes ses proches en avant à travers ses œuvres, mais celui-ci partage également une partie de son intimité en dévoilant des brides de sa vie quotidienne. À travers l’exposition « The Sun Is My Only Ally » différentes œuvres témoignent de sa vie quotidienne, nous rendant spectateur de sa vie privée. Nous pouvons dans un premier temps observer la vie de Joseph Boutros à travers l’œuvre « Mon Amour » celle-ci est constituée de deux tickets de caisse formant un acrostiche, sur lequel il est écrit “Mon Amour”. Nous pouvons à travers cette œuvre entrer dans l’intimité de la vie quotidienne de l’artiste en observant sa liste de course, le magasin dans lequel celui-ci fait ses courses, la date, l’heure, etc.

Dans une autre œuvre de Joseph Boutros  « If Close To Sun A Drop May Fall », nous sommes spectateurs d’un souvenir de l’artiste. Cette œuvre est composée de bobines de cassette que celui-ci a écouté il y a plusieurs années. Ces cassettes ont été fichées dans la cire, tel un souvenir figé dans le temps. L’artiste utilise alors ses propres cassettes lui rappelant un souvenir intime qu’il expose par la suite à la vue de tous. Joseph Boutros expose alors à travers son exposition des expériences et souvenirs intimes de différents degrés.

Nous pouvons par exemple voir qu’avec l’œuvre « Life Variation » que l’artiste partage à travers une œuvre la forme d’une pastèque qu’il a mangée, laissant pour seul souvenir de son existence une forme dans le béton ainsi que trois pépins. Ces œuvres témoins de sa vie quotidienne touchent des degrés d’estimation variables pouvant aller de très à moins intime.

Nous pouvons également citer des œuvres qui, contrairement aux autres, représentent l’intime de l’artiste sur une période plus conséquente. Il s’agit des œuvres « Untouched Marble » et « Amitié » qui sont représentées par un cube de marbre et une chaussure. Ces deux objets ont accompagné l’artiste durant de nombreuses semaines. Pour le cube de marbre, celui-ci n’ayant jamais été touché, accompagna Joseph Boutros au quotidien, rentrant dans l’intimité de celui-ci, comme pour les chaussures qui furent portées durant six mois, accompagnant l’artiste dans tous ses déplacements et s’inscrivant dans l’intimité de celui-ci. Joseph Boutros met alors en avant dans son exposition une partie de son intimité qu’il expose à la vue de tous.

Mon Amour

II. L’intime des autres

Relation avec le public

Charbel-joseph H.Boutros tend à instaurer un lien sensible et intime avec son public. « The Exhibition Between Us » (2019-2022) introduit cette exposition. Cette œuvre, composée de deux dalles en granit, est entièrement dédiée aux spectateurs, témoignant de leur visite et offrant une place particulière à deux d’entre eux. Sur chacune de ces pierres est respectivement gravé le prénom du premier et du dernier visiteur. 

The Exhibition Between Us

Durant l’exposition, Charbel-joseph H.Boutros a également organisé un concert de guitare à La Criée. L’artiste libanais convié devait jouer avec un instrument, jamais servi auparavant, comme s’il s’agissait de sa dernière représentation. La guitare, utilisée, sera exposée à l’occasion de sa prochaine exposition au Portugal. Seul le public ayant eu le privilège de participer à cet événement aura connaissance de ce vécu et entretiendra ainsi un lien intime avec l’œuvre. L’artiste souhaite en ce sens créer des connexions entre ses différentes expositions et développer avec ses visiteurs une relation singulière. 

Dévoiler l’intime des autres

En outre, Charbel-joseph H.Boutros souhaite dévoiler l’intime des autres et en particulier celui du personnel d’exposition. 

Durant l’exposition, l’artiste invite le personnel de La Criée à repenser ses déplacements. Ceux-ci doivent alors uniquement emprunter une plateforme : le « Catwalk » (2019-2022). Placés en hauteur, les médiateurs défilent comme sur un podium pour communiquer avec les visiteurs. La relation habituelle avec le public en est alors bouleversée et le rapport à leur propre intimité bousculé.

Dans une petite pièce, intitulée “Salle sommeil”, est placé un lit à même le sol, recouvert d’une couverture et d’un oreiller blanc. Entre œuvre et objet du quotidien, cet espace est mis à disposition pour la commissaire d’exposition ou le régisseur de La Criée pour qu’ils puissent s’y reposer. L’espace où se forgent les rêves est ainsi dévoilé à tous les visiteurs et rentrent d’une certaine manière dans l’intimité de ses usagers.

« Salle sommeil »

« The Booth, The Gallerist and The Mausoleum » (2021) dévoile un projet de mausolée contractualisé avec le galeriste Umer Butt. Ce monument funéraire rassemble principalement les proches de l’individu pour s’y recueillir et donc partager un moment intime par la pensée. La maquette est recouverte de cire fondue, récupérée par sa mère dans les églises du mont Liban. Chargées des souhaits des autres, ce matériau est riche de l’intime des autres.

Salomé Vanneste-Bendelé, Laura Gaydon, Emma Duval

La scénographie et l’immatériel

vendredi 16 décembre 2022

Une scénographie qui révèle des concepts impalpables

Comment la scénographie révèle-t-elle l’immatériel ?

 

Une exposition permet de mettre en avant les œuvres d’un artiste, ce qu’il a pu créer et penser au cours de sa vie. Charbel-Joseph H.Boutros vient exposer son travail dans trois lieux différents : Beirut Art Center, S.M.A.K en Belgique et La Criée centre d’art contemporain à Rennes. Ces trois expositions se déroulent sur trois temporalités distinctes mettant en avant les œuvres de l’artiste qui a voulu, par la scénographie de l’espace, nous plonger dans un univers qui lui est propre. Toute sa scénographie va nous permettre de le découvrir, lui et ses croyances, son histoire et de nous montrer ce que l’on ne perçoit pas toujours au premier abord, des concepts imperceptibles, immatériels. Il traite l’invisible comme une matière en mettant en avant des idées d’intimité, de géographie et de poésie. On se questionne alors sur comment la scénographie révèle-t-elle l’immatériel ?  

 

1- La scénographie qui permet de mettre en avant les liens personnels de l’artiste 

 

L’artiste à travers sa scénographie et ses œuvres met en avant indirectement sa vie et sa personnalité. En entrant, on découvre des œuvres installées dans cet espace sans comprendre clairement ce qu’elles représentent. Il faudra alors venir s’intéresser de plus près à chacune d’entre elles pour connaître leur signification pour l’artiste. En passant sous trois chemises suspendues qui possèdent toutes un coloris et une trace d’usure différente, « Three Abstractions on three histories », 2016, nous évoque trois temporalités différentes. L’artiste vient mettre en avant un lien générationnel avec la chemise de son grand-père, de son père et la sienne. En passant dessous on traverse alors leur histoire et on constate le lien familial qui les unit.

En continuant d’explorer l’exposition, une paire de Stan Smith posée au sol met en avant un autre lien, celui de l’amitié entre lui et son meilleur ami. Intitulée « Amitié », chacun des deux amis à porté une des deux chaussures (faisant la même pointure). Les chaussures sont une preuve d’un voyage à deux vécu séparément d’une durée de 6 mois. On perçoit alors des traces d’usures différentes et une séparation de cette paire qui finira par se réunir. Simplement par un objet du quotidien, encore une fois, l’artiste met en avant l’amitié.

L’amour est également un aspect important dans la vie quotidienne. L’artiste retranscrit alors ce lien qui unit deux personnes dans son exposition après avoir montré par des objets du quotidien la famille et l’amitié. « Life Variation #3, The marble, the ring and the continents » de 2022 est une œuvre qui est constituée de 5 stèles de marbre. Chaque marbre est différent et provient d’un pays différent : Liban, Brésil, Belgique, France et Grèce. Si l’on s’approche d’un peu plus près, on peut apercevoir sur chaque stèle un morceau d’une bague préalablement coupée qui est en réalité son alliance d’un mariage fini. Ces stèles proviennent des différents lieux où les anciens amants ont pu vivre. Par cette mise en scène, l’artiste commémore et rend hommage à son amour passé. Il s’agit donc ici d’un lien amoureux mis en œuvre ici. 

Ces trois œuvres sont alors des manières de mettre en exergue les liens forts que Charbel-Joseph H.Boutros a pu expérimenter au cours de sa vie tel que la famille, l’amitié et l’amour. Sa scénographie nous pousse à venir comprendre les œuvres en s’approchant, passant en dessous ou en les examinant de plus près. On est alors en contact proche de ces œuvres, de ces objets du quotidien de l’artiste et la scénographie nous fait entrer dans sa vie intime qu’on n’aperçoit pas tout de suite quand on arrive dans l’espace d’exposition. Cette idée de révéler des concepts habituellement imperceptibles se retrouve dans d’autres œuvres de cette exposition dont on va parler ensuite.

 

2- La scénographie révèle et rend visibles des concepts imperceptibles

 

L’artiste ancre son exposition dans la façon de révéler des concepts imperceptibles. L’un des exemples les plus parlant est celui de « Days under their own us » qui capture le soleil sur trois papiers qui sont exposés aux différents lieux où il travaille entre 2013-2016. Ce procédé d’exposé ces papiers à des moments de la journée et des lieux géographiques différents vont permettre de saisir des rayons de soleil divergents. Cela permet aux spectateurs de percevoir la différence d’ensoleillement impactant la teinte du papier. L’artiste capture alors l’imperceptible : les rayons du soleil.

La géographie est un aspect très présent dans l’œuvre de l’artiste qui vient adapter sa scénographie pour montrer ce concept de temps et de lieu inassimilable. Cette représentation des lieux d’expositions se retrouve aussi dans le projet « Three songs, three exhibitions » qui représente les lieux à travers des mélodies jouées au bouzouk (instrument a corde) par un luthier. Chaque mélodie a été enregistrée sur chaque lieu d’exposition, comme un adieu à l’exposition qui s’y tient et elle n’est ainsi interprétée qu’une unique fois en forêt à l’heure où le soleil se couche. Ses mélodies sont diffusées dans les lieux d’expositions à l’heure du coucher de soleil propre à chaque lieu où chacune à été interprétée. Par la musique, il vient saisir des temporalités et des géographies différentes, encore une fois. 

 

Pour terminer l’analyse de son travail, H.Boutros installe cette fois-ci une œuvre qui se constitue de deux dalles nommée « The Exhibition Between Us ». La première dalle, posée à l’entrée de l’exposition possède une gravure “Saira” qui correspond à la première personne ayant franchi les portes de sa première exposition au Liban. La deuxième, non gravée, attend le prénom de la dernière personne qui franchira les portes de sa dernière exposition, en France. L’artiste montre la relation qu’il a avec les visiteurs. Il vient ancrer la mémoire de l’exposition et du visiteur en rendant palpable un instant passé en le gravant dans le granit. L’idée de temporalité et d’impalpable rendu matériel est mise en avant ici. La volonté de mettre en avant le visiteur qui fait vivre l’œuvre et qui, sans lui, n’existerait pas.

 

 

Cette exposition est un travail de scénographie qui va permettre de nous montrer des concepts immatériels tels que les liens personnels de l’artiste, amicaux, familiaux et amoureux, ainsi que des concepts imperceptibles tels que les rayons du soleil, la musique et la vie de l’exposition à travers les visiteurs. Pour découvrir ces concepts, il va falloir que l’on ose s’approcher des œuvres et qu’on découvre ce qu’elles cachent et veulent transmettre. La scénographie est ainsi pensée pour que l’on puisse être proche des œuvres (passer dessous, s’approcher des très près, tourner autour, écouter…). L’artiste capture des instants et des lieux et nous les transmet.

 

 

Elisa Le Vaillant, Allison Sobotka, Ewen Jezegou

Observacteur ?

vendredi 16 décembre 2022

Observacteur ?

Lors de notre visite de l’exposition The Sun Is My Only Ally (Le soleil est mon seul allié) de Charbel-Joseph H. Boutros le 23 novembre 2022, nous nous sommes interrogés sur la place du public. A savoir dans quelle mesure l’artiste crée une connexion entre ses œuvres et le public ? 

Les intentions de l’artiste : une volonté de rendre vivante chaque exposition 

Quelles étaient les intentions de l’artiste ? 

L’artiste a pensé l’espace autour d’un catwalk qui vient contraindre la circulation, créant une forme de chorégraphie afin d’inclure le public dans l’œuvre. Charbel- Joseph a conçu l’exposition comme une galerie de portraits des éléments de sa vie personnelle, professionnelle, intime et amicale. 

L’exposition est en fait pensée comme une nouvelle géographie qui s’étend autour d’un espace central et des espaces satellites s’emparant des notions de rêves et d’amour. Son but étant de garder une trace et de créer une mémoire des expositions précédentes (Beyrouth, Gand), mais aussi, de faire en sorte que cette exposition change la vie de celui ou celle qui l’a voit, à travers sa manière de regarder et de ressentir, élargir la beauté. 

Charbel- Joseph rassemble un ensemble d’œuvres abstraites et poétiques qui viennent composer l’espace selon ses intentions. L’artiste tente de nous transmettre sa vie notamment à travers l’œuvre « Three Abstractions on Three Histories », composée de trois chemises plus ou moins similaires suspendues en hauteur. Il nous partage l’histoire de sa famille. Une œuvre qui de part l’ancienneté de certains éléments transmet l’invisible : l’histoire de la personne qui les a portées. Le public observe cette œuvre en hauteur et gravite autour, mais arrive-t-il à la comprendre ? 

La place du visiteur : un résultat contrasté entre la volonté de l’artiste et le ressentis du visiteur

Lors de notre visite nous avons sondés l’ensemble des étudiants présents. Voyons un peu les résultats de notre enquête : 

Le public interrogé était des étudiants en étude de Design ayant une approche coutumière à l’art. 84% d’entre eux se sont sentis observateurs, contre 16% à la fois observateurs et acteurs. Lorsqu’on les questionne sur leur positions de visiteurs, la plupart nous explique avoir manqué d’interactions avec les œuvres. Un manque pouvant s’expliquer par l’entrée dans le vie intime de l’artiste.  Certains ont même eu une certaine incompréhension puisque le cartel des œuvres n’est pas visible, ou même parfois à côté de celles-ci. Le travail d’explications faites par la médiatrice depuis le catwalk a permis à certains de comprendre les œuvres et donc de s’y connecter. 

Nous avons posé la question complexe de savoir si les visiteurs se sont sentis « satellite » lors de cette exposition. Pour faire plus simple, nous leur avons demandé s’ils ont eu une connexion avec l’exposition. Une connexion qui peut être de l’ordre sentimental ou encore de la déambulation dans celle-ci. Sur une échelle de un à cinq (un = faible attraction / cinq = forte attraction) 78% ont senti une attraction de l’ordre de 2 ou 3. Ce ressenti s’explique principalement par l’approche de l’artiste qui décide de nous dévoiler sa vie, dont lui-même possède les références. 

Pourtant, l’artiste a réussi à attirer certains vers une de ses œuvres. En effet, 84% ont eu une attirance pour une œuvre. En effet, l’œuvre  Mon amour, avec le ticket de caisse, est l’œuvre qui a le plus attiré. Une attirance due au message d’amour transmis d’une manière simple mais aussi singulière. La démarche poétique de l’artiste dans laquelle il crée un acrostiche à partir de la liste d’articles établit une connexion entre amour et consommation. Le mot amour étant écrit à partir d’encre et sur un papier de la vie quotidienne qui au fil du temps s’estompera jusqu’à sa perte. « Three Abstractions on three histories, no light in white light », sont aussi des œuvres qui ont touchées par leurs messages. 

Charbel-joseph H. Boutros, Mon Amour, 2012-2017, tickets de caisse de supermarché, marqueur, cadre

Mission réussie ?

Pour synthétiser, la mission donnée par l’artiste de nous connecter à ses œuvres est partiellement réussie. En effet, il arrive à rendre acteur le personnel de l’exposition, avec notamment le catwalk. Cependant, le visiteur n’arrive pas forcément à s’y connecter. L’approche de l’artiste semble ainsi trop personnelle . L’interprétation de chacune des œuvres se base sur l’expérience de vie et le vécu de chaque visiteur. Il faut donc réussir à s’identifier à travers l’invisible que l’artiste tente de nous transmettre. Cette exposition nécessite une intervention de la médiatrice pour pouvoir s’identifier et mieux comprendre le travail de l’artiste. Finalement, est- ce que ce n’était pas aussi le but de l’artiste de créer de l’interaction entre le visiteur et le médiateur ?

 

Amandine Le Cadre, Charlotte Sabatier, Antonin Brisson

LA TEMPORALITÉ COMME ÉCHAPPATOIRE

mercredi 7 décembre 2022

 

Comment Charbel-Joseph H.Boutros retranscrit la temporalité à différents niveaux à travers des objets du quotidien ?

 

La temporalité entre l’artiste et ses oeuvres

Charbel-joseph H. Boutros, Amitié, 2018
chaussures Stan Smith

Charbel-joseph H. Boutros partage une histoire intime avec ses œuvres. Né au Mont-Liban en 1981, ses œuvres retrace ses voyages, ses amitiés ainsi que le lien émotionnel avec sa famille et son pays natal, à travers des objets du quotidien mis en scène lors de cette exposition. Nombre de ses productions comportent un lien personnel avec l’artiste comme l’œuvre «Amitié» qui explore la temporalité à travers l’affection que l’artiste partage avec son meilleur ami. Ils ont chacun porté pendant six mois une paire de Stan Smith. Elle évoque leur trajet, leurs vies qui se rassemblent lors de l’expo avec la paire de gauche appartenant à l’artiste et celle de droite à son ami, comme une symbiose, une rencontre de leurs deux vies vécues. 

L’œuvre «The Marble, The Ring and The Continents» évoque un fort lien émotionnel brisé qui est retranscrit à travers cinq stèles de marbre, provenant de cinq pays différents (Brésil, Liban, France, Belgique, Grèce), où chacune d’entre elles est incrusté d’un morceau d’une alliance qui a été divisé en cinq. Au-delà de cela, ce lien est encore amené à se séparer puisque à la suite de l’exposition, les cinq stèles doivent trouver acquéreurs dans leur pays d’origine.

Charbel-joseph H. Boutros, Life Variation #3, The Marble, The Ring and The Continents (détail) , 2022
cinq stèles provenant du Brésil, du Liban, de France, de Belgique et de Grèce, morceaux d’une bague brisée, gravier, structure métallique, déplacement, amour, espoirs, exposition

 

«Three Abstractions on Three Histories» retrace également un fort lien à sa famille. Trois chemises sont exposées : l’une appartenant à son grand-père, l’autre à son père et la dernière est celle de l’artiste. La temporalité est représentée avec la présence de trois générations, trois guerres, trois histoires familiales vécues.

Charbel-joseph H. Boutros, Three Abstractions on Three Histories, 2016
trois chemises blanches, structure métallique

 

La temporalité est au cœur de cette exposition, dû au fait qu’elle est était présentée dans trois lieux d’expositions mais aussi avec sa production «Days Under Their Own Sun» qui expose chaque jour la feuille du calendrier libanais aux rayons du soleil et selon son impact UV, le jaunissement de la date du jour varie.

Charbel-joseph H. Boutros, Days Under Their Own Sun, 2013-2016
feuilles de calendrier libanais, soleils

 

La temporalité du cycle dans l’exposition

L’ensemble de ces œuvres, de la plus poétique à la plus abstraite, marquées d’histoires intimes témoignent d’un cycle. Un cycle affecté par notre histoire tangible. Saisir l’immatériel, prendre en considération l’invisibilité pour s’imprégner entre autre du message mémoriel. The Sun Is My Only Ally débute en 2019 à Beyrouth au Liban, mais s’arrête brusquement, indépendamment de l’artiste, suite au mouvement social qu’impose le début de la guerre civile. Comme un ricochet, un souvenir amer de son enfance, qui ressurgit, qui remémore une vie, une enfance à grandir entre deux retentissements.

L’exposition poursuit son itinéraire au S.M.A.C.K Gand en Belgique, 2020, où elle est de nouveau impactée, dû à la propagation sans frontière du Covid19. Les œuvres vivent au gré de l’évolution sociale imposée par la société. La temporalité est ainsi gravée différemment dans l’histoire de ce que l’artiste pouvait imaginer.

Chaque exposition dispose de ces œuvres, certaines évoluent de pays en pays et subissent des transformations afin d’asseoir leur fragilité. Les œuvres articulées par la cire «The Booth,The Gallerist, and The Mausoleum», «If Close to the Sun a Drop May Fall» ou encore «Night Cartography» sont remodelées, ainsi une couche de cire est fondue de nouveau, suivant les arrêts de ceux-ci expositions ; naît alors une couche de plus en plus épaisse pour contrer les faiblesses de ce matériau. Une cire, à l’histoire invisible mais remplie de prières, d’offrandes recueillies à l’origine, dans une église du Mont Liban par le parent de Charbel-joseph H. Boutros. 

Charbel-joseph H. Boutros, Three Songs, Three Exhibitions, 2022
trois bouzouks, support métallique, moquette, vidéo, son, trois expositions, coucher de soleil

L’auteur à pour souhait d’inclure, d’immerger le visiteur au cœur de l’exposition, d’ainsi marquer encore une fois un arrêt temporel par deux dalles en granit en attente d’être gravées du premier et dernier noms des visiteurs. De même pour «Three Songs, Three Exhibitions», trois bouzouks, trois sons, fabriqués par le même luthier, conçus comme le reflet des expositions réalisées par l’artiste. Ils interviennent à travers une mélodie d’adieu jouée une seule fois à chaque fin d’exposition, aux heures du coucher du soleil à Gand et Beyrouth. 

On est donc face à une exposition qui s’est construite autour de l’évolution sociale qui l’entourait, marquée par des points forts inattendus. Ressortent alors différentes temporalités, à la fois marquée dans les œuvres, des temporalités choisies par l’artiste et des temporalité extérieures, subies.

 

L’évolution des matériaux dans le temps

Comment l’artiste nous raconte ses souvenirs et expériences par divers niveaux de temporalité ?

La nature des matériaux présents dans les œuvres de cette exposition évoque plus ou moins directement la relation de l’artiste à la temporalité, qui elle, marque visiblement les matériaux, par sa transcription physique et son action concrète sur l’état et l’évolution des œuvres.

Là où «The Booth,The Gallerist, and The Mausoleum», ou encore «If Close to the Sun a Drop May Fall», arborent explicitement l’influence du soleil et du temps, déjà par le matériau en lui même ;  le cire coulée, mais également par son caractère éphémère, révélant le cycle de la cire dans les oeuvres, et au cours des trois différentes expositions.

Charbel-joseph H. Boutros, The Booth,The Gallerist, and The Mausoleum, 2021
bois, carton, cire de bougie votive, peinture acrylique, cendres des communiqués de presse, souhaits, espoir, structure métallique, tapis, tablette, vidéo 10 min, sable de plage, stand de foire d’art, galerie, contrat, mort

Charbel-joseph H. Boutros, If Close to the Sun a Drop May Fall, 2019-2020
bobine d’une cassette, album de musique, cire de bougie votive, souhaits

 

Certains matériaux dépassent d’ailleurs la matérialité, tel que le soleil, qui est omniprésent dans cette exposition, et que l’on peut considérer comme un matériau, ici le matériau principal, étant donné son influence sur plusieurs oeuvres de l’exposition et sur son principe même, ainsi que sur sa construction et sa diffusion.

Le soleil donc, et la lumière qui en découle, constitue l’élément qui, dans «No Light In White Light», permet au prêtre de lire jusqu’à ce que le soleil se couche et ne lui permette ainsi plus la lecture du livre. 

Charbel-joseph H. Boutros, NO LIGHT IN WHITE LIGHT, 2014
vidéo, 11 min

 

Par ailleurs, le personnel de l’exposition et le visiteur entrent également en jeu dans le processus de création de l’artiste, par exemple le personnel joue un rôle en empruntant l’oeuvre «Catwalk» afin de se déplacer au sein de l’espace et de présenter l’exposition. En effet, les visiteurs et le personnel d’exposition sont inclus comme acteurs, ils interagissent et participent à la matérialité de l’exposition.

Charbel-joseph H. Boutros, vue de l’exposition The Sun Is My Only Ally, 2022

 

Pour conclure, à travers cette temporalité, Charbel Joseph H. Boutros convoque ses souvenirs et les inscrit parfois littéralement au sein de ses œuvres, avec des matériaux qui font sens pour lui, et qui font écho aux souvenirs, à une sorte de mémoire évolutive et en même temps éphémère.

Solène Maubert, Auriane Barbier, Maël Janvier

On stage

samedi 12 mars 2022

Réalisation d’une vidéo de présentation de l’exposition « DARK-EN-CIEL » de la plasticienne Bertille Bak. L’exposition m’a particulièrement touchée c’est pourquoi j’ai voulu en faire une vidéo.

Dans l’exposition Mineur Mineur, Bertille Bak met sur scène et en avant l’exploitation des enfants dans les mines d’extraction. Pour autant, ce n’est pas pour cela que Bertille Bak a voulu noircir cette triste réalité. Bien au contraire, elle aborde ce sujet sous l’angle des « jeux d’enfants ». Le contraste entre le « jeu » et la réalité accentue encore plus la gravité des faits.

Dans cette vidéo, je me suis inspiré de la démarche de Bertille Bak mais en mettant en avant la chance des étudiants. Cette chance que nous avons de pouvoir étudier, avoir accès à la culture, au cinéma, à la lecture, à la flânerie… doit se démocratiser et être rendue accessible à tous.

   Paco

La trace, un acte volontaire comme involontaire

mercredi 5 janvier 2022

Molusma, ce mot vous semble sûrement inconnu. Il est apparu dans les années 60, originaire du grec, il signifie la tâche et la souillure. Maurice Fontaine en propose une définition : ère géologique actuelle. Celle-ci est marquée par la production des déchets qui vont profondément altérer notre environnement. Ainsi, il prend tout son sens dans le travail d’Elvia Teotski. La trace, qu’elle soit volontaire ou involontaire, n’a cessé de questionner l’artiste. 

Comment Elvia Teotski s’approprie la trace du vivant ? 

Tout d’abord, il est nécessaire de définir la trace. La trace est une empreinte ou une suite d’empreintes, de marques, que laisse le passage d’un être ou d’un objet. Elle peut prendre différentes formes : être à peine perceptible à l’œil nu comme être imposante dans le paysage. Ces variations peuvent-être dues à l’acteur d’une trace.

Ainsi, celle-ci peut être à la fois un acte volontaire ou involontaire. Volontaire, par l’activité humaine et sa transformation sur le paysage, l’Homme va ainsi dégrader son environnement par le biais de constructions ou même d’un simple passage par exemple. Il va marquer son passage en laissant des indices derrière lui. Nous pouvons l’observer dans l’exposition Molusma où l’artiste a souhaité laisser les déchets de l’Homme comme une paire de lunettes et un briquet. Ils sont entremêlés avec les algues et la terre.

Enfin, la trace peut être involontaire. Par le mouvement, les êtres vivants sans le vouloir vont venir laisser un indice de leur passage. Elvia Teotski a intégré des criquets dans le lieu de l’exposition. Par leurs déplacements, ils vont créer des empreintes sur les structures en brique de terre. La trace peut donc prendre diverses formes et avoir un impact plus ou moins important sur le paysage et ainsi transformer l’environnement.

 

Le travail de l’artiste a été modifié par différents facteurs. La variation du climat causé par les flux de personnes dans le lieu, la température extérieure et intérieure ont produit involontairement des traces sur les micro-architectures. Ces causes ont des conséquences sur l’aspect visuel des constructions, mais aussi sur leurs matérialités. Par exemple, on peut observer que la plasticité de la terre augmente en rugosité, elle se rétracte, elle devient plus friable, elle se divise et elle s’affaisse. De plus, la teinte de la terre a subi une modification involontaire de l’artiste, car elle a été prélevée de son environnement puis mise en forme dans un espace intérieur, par conséquent elle n’a plus ses apports nutritifs. Toutefois, la marge de contrôle que l’artiste n’a pas sur l’évolution de cette matière vivante laisse place à une esthétique singulière avec un camaïeu de brun et d’orange.

Dans les productions de l’exposition, le processus technique de l’artiste a produit des traces. Les outils (mains, eau, moule, spatule, coffrage…) qu’elle a pu utiliser pour mettre en forme les briques de terre et d’algue, ajouter des jointures puis fonder des ensembles (leur organisation) laissent chacun leur marque. La maîtrise des outils utilisés est variable, car le geste de l’humain n’est pas mécanique. Il est modifié par la tension, la force, l’agilité et les caractéristiques de la surface sur laquelle il agit. Il peut être répétitif, mais il n’est pas identique.

D’autre part, les multiples pierres que l’artiste a décidé d’incorporer à ses structures présentent des traces issus de leur contexte de provenance (chantier de démolition). La trace de certaines techniques de construction est nettement visible comme les briques organisées et fixées avec du ciment. Ayant été prélevé d’un assemblage de matériaux, les pierres sont irrégulières, impactées, fendues, brisées et râpées. Ces actions sur les pierres ont pu être réalisées par le temps, les outils de démolition ou bien par plusieurs matières qui se sont chevauchées. Cependant, la soustraction des morceaux sur les pierres offre un aperçu de la composition intérieure du matériau et pas seulement de son état de surface extérieure. L’exposition Molusma nous questionne sur les constructions humaines à travers divers éléments tangibles. Toutefois, elles apparaissent aussi sous la forme de l’écriture avec des informations marquées à la peinture, au marqueur ou bien au crayon.

 

Tout d’abord, la trace est présentée de différentes manières comme expliquée ci-dessus, toutefois, la manière la plus explicite de la rencontrer, est celle de l’Homme par la présence de déchets (briquet, lunettes, éponge, textile, mousse, béton, morceaux de plastique…) mais aussi de déchets végétaux.

En effet, les algues emportent ces déchets, des déchets qui évoluent dès leur contact avec la nature, une dégradation de ces déchets est visible à l’œil nu dans Molusma. 

Ces déchets montrent une évolution différente dans le travail de la brique, car finalement, ils la composent involontairement. Les déchets ayant déjà plus ou moins évolués dans le milieu naturel, n’ont pas la même apparence et influencent l’évolution de la brique employée par Elvia Teotski, leur apparence diffère dans le temps. 

La composition naturelle des briques (terre et algue) n’est pas la même car la nature ne produit pas des choses similaires. L’aléa de cette composition montre une évolution différente que l’on peut constater par le séchage, des craquelures sont présentes, tandis que sur d’autres, on remarque de la moisissure, des déchets comme des morceaux de béton, de plastique, de textile sont de plus en plus visibles après le séchage. 

La température du lieu d’exposition joue aussi sur l’évolution de la brique, car plus il fait chaud plus la terre aura du mal à garder sa forme initiale. Au fur et à mesure de l’exposition la terre s’effrite sur le sol, on voit une différence entre le début et la fin de l’exposition. 

En parallèle, Elvia Teotski utilise ses algues pour faire passer un message aux habitants bretons. La présence des déchets montre une activité humaine qu’Elvia Teotski cherche à dénoncer par l’utilisation d’algues vertes toxiques et envahissantes sur le littoral breton. La trace de l’algue est présente dans l’exposition afin de mettre en avant la problématique de la région importante à traiter pour préserver le paysage breton. 

Elvia Teotski a donc utilisé des éléments du territoire breton, travailler localement, pour limiter son impact sur l’environnement et révéler l’impact des êtres vivants sur l’environnement. Cet acte peut être plus ou moins néfaste sur l’environnement du fait de sa nature : volontaire ou involontaire.

Victoire, Maud, Léa M.